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EN DENTS DE SCIE Les meccanos du général

Trente-septième semaine de 2004. Que les choses soient bien claires : ce n’est pas un énième et artistique redéploiement des forces syriennes, moins de dix jours après l’adoption à New York de la 1559 ; une nouvelle gesticulation médiatique ostentatoire à la veille de l’arrivée à Damas de William Burns, le gentillet secrétaire d’État adjoint ; encore de la poudre jetée aux yeux des Libanais, qui risquent de changer quoi que ce soit. Parce que le (très grand) mal est fait, sur le plan national comme au niveau planétaire. Une Constitution qui a fini de subir les derniers outrages, une démocratie souillée comme au cours de la plus sordide des tournantes, une volonté populaire méprisée, avilie : volontairement ou pas, consciemment ou pas, Émile Lahoud a bousculé la nation (ou ce qui lui tient lieu d’ersatz, depuis l’implantation de la tutelle syrienne), il l’a rudoyée, effarée et poussée dans ses ultimes retranchements. L’alternative est ainsi la suivante : parce que les impondérables internationaux sont ce qu’ils sont, les trois années Lahoud II à venir pourraient être celles qui incrusteraient, au quotidien, un ignoble régime militaro-sécuritaire, liberticide, abortif ; celles qui assureraient une fusion sororale qui ne dira pas son nom, honteuse, létale ; celles qui confirmeraient l’irrécupérable et très délétère grand écart entre un peuple et ses dirigeants. Ou bien... ces trois années seraient celles qui commenceraient à recoller les morceaux, qui commenceraient à bâtir un État, étape nécessaire et suffisante pour l’édification d’une nation, qui commenceraient à créer un embryon de confiance ; trois années qui commenceraient à privilégier l’idée d’un nouveau pacte national, basé, seulement, sur l’indiscutable respect de l’indépendance et de la souveraineté du Liban État de droit, de sa nécessaire émancipation, de sa Constitution, l’indiscutable respect de sa démocratie, de son Parlement, de ses libertés, de ses spécificités, de sa convivialité. Seul un homme est à même de provoquer tout cela : Émile Lahoud. Jusqu’à hier, le locataire de Baabda continuait, par le biais de sources proches du palais, par le biais de visiteurs qui ne disent pas leur nom, par le biais de communiqués aussi froids qu’industriels, à multiplier promesses et autres signes de bonne volonté. Mais ni les Libanais, ni l’opposition, ni la communauté internationale ne souffrent de crétinisme ; personne, désormais, n’est dupe ; plus personne, désormais, n’est prêt à faire le premier pas. C’est à cette nation déglinguée – et directement – que le chef de l’État reconduit, investi d’une inoxydable confiance damascène, devrait s’adresser. Sur toutes les chaînes de télévision, de la LBCI à la Future en passant par la NBN, la New TV, Télé-Liban, et, idéalement, « stratégiquement », la MTV, relégitimée. Et vite. Parce que le tic-tac est de plus en plus soutenu. Audible. Mais discourir pour dire quoi ? Pour faire quoi ? Dire (et faire en sorte) que le gouvernement Hariri, qui démissionnera le 20 septembre prochain, sera immédiatement remplacé par un cabinet de crise. Expliquer que la seule nature, la seule culture, et le seul objectif possibles de ce cabinet de crise sont l’entente nationale. Pas la confrontation avec la communauté internationale, comme d’aucuns le souhaiteraient, non, mais la véritable, l’incontournable, l’urgente entente nationale. Parce qu’aucun pays n’accepterait de se suicider en direct, de dedans comme au-dehors, le chef de l’État devrait dire (et faire en sorte) que le prochain gouvernement du Liban comprendra 9 membres : Rafic Hariri (qui présidera le Conseil des ministres) et Sélim Hoss ; Nassib Lahoud ou Nayla Moawad et Sleimane Frangié ou Jean Obeid ; Nabih Berry (qui aura auparavant démissionné de la présidence de la Chambre) ou Ayoub Hmayed et Hassan Nasrallah ou Mohammed Fneiche ; Élias Murr ; Michel Pharaon ; Walid Joumblatt ou Marwan Hamadé. Sans cela, ou une formule équivalente, le pouvoir reconduit serait presque nu (même s’il lui restera quelques alliés, le Hezbollah et Karim Pakradouni), et la nudité en politique, on le voit tous les jours depuis quelques semaines, accule, et installe tous les abus. Plus important encore, parce que même démarionnettisée, même exclusivement ou presque composée de ténors, même la plus équilibrée qui soit en ces temps où tout un système politique est à construire, une équipe gouvernementale ne fera qu’errer au gré des vents syriens si elle ne définit pas les bons objectifs. Si elle ne s’attaque pas, d’abord, au maillon premier. Voilà pourquoi, en s’adressant à ses compatriotes, Émile Lahoud devrait dire (et faire en sorte) que la déclaration ministérielle du cabinet à venir évoquera on ne peut plus clairement, « et réalisera pleinement », le démarrage officiel des négociations visant au rééquilibrage des relations libano-syriennes et à l’arrêt de la tutelle politique, dans l’intérêt des deux pays voisins. Et qui mieux que le fondamental Fouad Boutros pourrait être chargé, par ce gouvernement national à venir, de cette délicate et essentielle mission ? Sans oublier, bien entendu, que cette déclaration ministérielle devra impérativement comporter, noir sur blanc, le texte d’une (urgente) loi électorale juste et représentative ; un plan de sauvetage économico-financier du pays ; le coup d’envoi de la réconciliation et du dialogue national (par les nécessaires libération de Samir Geagea et retour d’exil de Michel Aoun), et les sacralités d’usage (État de droit, justice indépendante, libertés publiques, etc.). Mission impossible que cet essentiel, ce salutaire assemblage de legos politiques ? Seul le général Lahoud peut y répondre. Par ses actes. Ziyad MAKHOUL
Trente-septième semaine de 2004.
Que les choses soient bien claires : ce n’est pas un énième et artistique redéploiement des forces syriennes, moins de dix jours après l’adoption à New York de la 1559 ; une nouvelle gesticulation médiatique ostentatoire à la veille de l’arrivée à Damas de William Burns, le gentillet secrétaire d’État adjoint ; encore de la poudre...