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Actualités - OPINION

Prix d’ami

«Qui n’est pas à nos côtés dans cette affaire est avec l’Amérique : et donc contre nous. » De tous les arguments qu’a dû brandir Damas face à ses propres alliés publiquement hostiles à la reconduction du président Émile Lahoud, celui-ci est sans doute le plus pernicieux : car non content de placer l’ensemble des Libanais devant un faux dilemme, il prétend culpabiliser – pire, condamner d’avance – tous ceux qui aspirent à des rapports véritablement fraternels et privilégiés entre les deux États libanais et syrien, mais ne se refusent pas moins à la vassalité, à l’hégémonie, à la domination. Avec nous ou contre nous : avec l’entrée en scène de la résolution 1559 de l’Onu, la question ne se limite plus au pitoyable épisode de la reconduction forcée. Ce texte d’inspiration franco-américaine réclamant le départ des troupes étrangères du Liban et prohibant toute ingérence dans les affaires de notre pays a dû être édulcoré, comme on sait, pour prévenir tout veto au Conseil de sécurité. La Syrie n’ y est pas explicitement citée et il n’est assorti d’aucune menace de sanctions internationales, ce qui a d’ailleurs porté Damas à crier victoire tout en s’offusquant de la démarche occidentale. Le surréalisme de la situation figurera en bonne place sans doute dans les annales des relations internationales. Voilà bien en effet une Syrie qui fait la pluie et le beau temps au Liban sans trop se préoccuper de préserver les formes : au point que l’on peut très sérieusement se demander si les Syriens ont vraiment conscience de se rendre coupables d’« ingérence », s’agissant d’un pays où ils règnent en maîtres depuis près de trois décennies, où ils se sentent chez eux : où l’hôte officiel les prie de faire comme chez eux. Et c’est les mêmes Syriens qui s’offusquent, en renvoyant à l’expéditeur le label d’ingérence, d’un rappel à l’ordre américain, dont ils n’arrivent apparemment pas encore à saisir le degré de sincérité et de fermeté. Car après tout cette mainmise sur le Liban n’a-t-elle pas bénéficié, dès 1976, de l’acquiescement de Washington ? Ne figurait-elle pas en filigrane dans l’accord de Taëf béni par les États-Unis et dont toutes les clauses contraignantes pour la Syrie sont vite tombées dans l’oubli international ? Et le même Washington ne cautionnait-il pas à nouveau cette mainmise en 1990, obtenant en échange l’acrobatique ralliement de la Syrie à la première expédition internationale contre l’Irak de Saddam Hussein ? Tout cela a-t-il changé avec George W. Bush ou bien reste-t-il malgré tout, quelque part, matière à arrangement ? C’est là la seule interrogation qui compte désormais : d’où l’importance exceptionnelle des entretiens que doit avoir durant le week-end à Damas l’adjoint du secrétaire d’État US, William Burns. Celui-ci a jugé parfaitement superflue une escale au Liban, pourtant l’objet du litige ; mais ce n’est pas là le plus aberrant quand, à Beyrouth, on nage carrément dans l’absurde. Car si le Liban était maître de ses décisions, la résolution 1559 n’aurait pas eu de raison d’être. Et c’est encore parce qu’il n’est pas maître de ses décisions que l’État libanais accuse d’immixtion dans « ses » (?) affaires les auteurs de la 1559. Il reste que cette triste logique de l’absurde risque désormais d’exposer à l’isolement et même à des sanctions internationales un pays surendetté comme le nôtre ; qui sollicite périodiquement la bienveillance financière des puissances ; et qui inonde de plaintes et d’appels au secours les Nations unies à chaque fois qu’il est agressé ou menacé par l’ennemi israélien. C’est dire à quel point la prorogation du mandat Lahoud, imposée contre la volonté de la communauté internationale comme des Libanais eux-mêmes, pourrait s’avérer coûteuse. Pas plus que le prochain redéploiement (encore un !) des troupes syriennes évoqué hier par les proches de Baabda, les velléités de « confrontation » que l’on prête au régime ne peuvent suffire à rasséréner les Libanais. Pour ceux-ci, ce n’est certes pas se rallier aux thèses de George W. Bush que d’appeler de leurs vœux une régulation internationale des relations libano-syriennes dénaturées, depuis plus d’un quart de siècle, par les erreurs de Damas comme par la servilité de la classe dirigeante libanaise. Ce n’est pas se faire l’ennemi de la Syrie, bien au contraire, que de l’engager à nouer avec son voisin des rapports fondés sur les nombreux intérêts communs, sur la dignité, sur le respect réciproque. Alors, avec nous ou contre nous ? Il serait grand temps, pour changer, que ce soit un président libanais qui pose la question. Issa GORAIEB
«Qui n’est pas à nos côtés dans cette affaire est avec l’Amérique : et donc contre nous. » De tous les arguments qu’a dû brandir Damas face à ses propres alliés publiquement hostiles à la reconduction du président Émile Lahoud, celui-ci est sans doute le plus pernicieux : car non content de placer l’ensemble des Libanais devant un faux dilemme, il prétend...