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Actualités - OPINION

L’ÉDITORIAL de Issa GORAIEB Onze de barbarie

Détrôné, obsolète, le chiffre treize. En cette ère de sombres maléfices liés – et alliés – aux plus épouvantables accès de violence aveugle, ce qui semble attirer le malheur dans notre imaginaire collectif, c’est désormais le onze, que rien ne vouait pourtant à aussi funeste gloire : onze, ces deux innocents bâtonnets bien droits, parfaitement parallèles, à l’image des deux tours volatilisées du World Trade Center. 3 000 morts en septembre 2001 à New York, 200 il y a deux jours à Madrid : malgré la disproportion des chiffres, c’est le même et formidable traumatisme qui, après l’Amérique, frappe une Europe unie surtout aujourd’hui dans la douleur et l’effroi. ETA ou el-Qaëda ? Des indices contradictoires – un démenti formel ici, une revendication là – sont venus tout à la fois étayer l’une et l’autre de ces deux hypothèses sans toutefois permettre de trancher avec certitude. La politique politicienne, et plus précisément la proximité des élections législatives prévues pour demain dimanche en Espagne, n’est pas faite d’ailleurs pour clarifier les choses. On ne peut manquer d’être frappé en effet par l’exceptionnelle célérité et la ferme assurance (tempérée par la suite, il est vrai) avec lesquelles les autorités espagnoles ont nettement privilégié la piste basque. Durant ses huit années de gouvernement, le Premier ministre José Maria Aznar a fait de la lutte contre le terrorisme séparatiste l’une de ses priorités ; mieux, c’était là un des thèmes majeurs de sa campagne électorale. On imagine dès lors la défaveur que connaîtrait son parti s’il s’avérait qu’en réalité, ce pays vient de payer bien cher, par les soins d’Oussama Ben Laden, son alignement total sur les États-Unis dans l’affaire irakienne : une option à laquelle s’opposait massivement l’opinion publique espagnole. Et si c’était l’ETAëda ? « Terroristes de tous les pays, unissez-vous ! » : la globalisation, ce maître mot de la période ouverte par l’effondrement de l’Empire soviétique et l’émergence d’une unique superpuissance américaine, n’a pas seulement révolutionné les économies en les affranchissant de toute barrière, avertissent nombre d’experts. Elle pourrait avoir aussi donné naissance à une sorte d’Internationale de la terreur reposant sur des échanges de mauvais procédés entre groupes disparates, d’opérations confiées en sous-traitance au gré des opportunités, de mise en commun des ressources logistiques. On tremble à l’idée d’un tel scénario-catastrophe, d’un cartel terroriste aux ambitions criminelles décuplées dans un monde où ne se comptent plus les mégapoles, où des centaines de millions de personnes prennent tous les jours l’autobus, le train ou l’avion et où armes, explosifs ou poisons biochimiques circulent peut-être à travers un dense réseau de filières souterraines. C’est dire qu’aucun pays n’est vraiment à l’abri de la violence de masse. Il ne s’agit pas seulement ici de la France en butte à la mystérieuse organisation AZF, de la Grèce olympique hantée par le spectre d’un nouveau Munich, de la Pologne qui a envoyé des troupes en Irak ou de l’Italie américaine de Berlusconi, désignée comme prochaine cible : et cela à partir de Londres, on croit rêver, par un cheikh salafiste qui y explicitait le plus tranquillement du monde le bulletin de victoire d’el-Qaëda publié jeudi dans la capitale britannique ! C’est dire aussi que tous les pays du monde vont devoir tôt ou tard prendre position, choisir leur camp autrement qu’en sacrifiant au rituel des classiques condamnations. À amplifier le champ des écoutes téléphoniques, à scruter avec plus de minutie encore que pour le blanchiment d’argent les transferts bancaires, à violer de nouveaux territoires de la vie privée, les démocraties occidentales – sécurité oblige – risquent évidemment d’y laisser une bonne part de leur démocratie. Carrément cornélien, lui, est le dilemme qui attend les États arabo-musulmans, l’ombre omniprésente d’el-Qaëda ayant fini par occulter le fait que les terroristes basques, irlandais et tchétchènes, sans parler des plastiqueurs fous d’Oklahoma City, n’ont rien d’arabe. Car, d’une part, ces États ne peuvent plus, sans se mettre au ban de la communauté internationale, continuer de laisser planer des doutes sur leur coupable propension au laxisme, sur leurs sulfureuses fréquentations ; ils devront plus que jamais montrer patte blanche, procéder à des rafles, livrer les renseignements qu’ils peuvent détenir, passer au crible les canaux de donations – pas toujours innocentes – aux associations caritatives. Il reste que ces pays, et le problème se pose pour eux avec beaucoup plus d’acuité que pour le reste du monde, répugnent à se ranger inconditionnellement sous la bannière d’un George W. Bush qui a menti à son peuple et au monde pour justifier son invasion de l’Irak. Qui gère désastreusement l’après-Saddam.Qui, surtout, laisse Sharon s’en donner à sang joie en Palestine. La morale et la justice ne sont pas fractionnables. De persister à l’ignorer par incompétence ou malveillance ne fera que nourrir, que gaver ce monstre à abattre qu’est le terrorisme.

Détrôné, obsolète, le chiffre treize. En cette ère de sombres maléfices liés – et alliés – aux plus épouvantables accès de violence aveugle, ce qui semble attirer le malheur dans notre imaginaire collectif, c’est désormais le onze, que rien ne vouait pourtant à aussi funeste gloire : onze, ces deux innocents bâtonnets bien droits, parfaitement parallèles, à...