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ÉCLaIRAGE La main de Hariri, la prophétie Ahdab, la déliquescence camérale, l’insensée autarcie et tous les Harry Potter du monde...

Il y a l’immédiat. La main de Rafic Hariri (et avec elle, celle de beaucoup, beaucoup de députés). Pas la main bandée, la gauche, non. C’est la droite, la valide, celle qui lui restait pour dire non qu’il a levée pour dire oui au moment où le greffier du Parlement prononçait son nom, quand l’heure était venue pour l’hémicycle de voter l’amendement de l’article 49 de la Constitution, la reconduction pour trois ans d’Émile Lahoud à Baabda. Lever ? Le terme est totalement impropre. Le Premier ministre n’a pas levé sa main, il l’a crachée, vomie ; le pouvait-il qu’il l’aurait enfouie, ou momentanément amputée. Une main molle, mais pleine de colère ; une main absente, désincarnée, mais qui prenait toute la place ; une main timide, la paume presque fermée en un presque poing presque rageur ; une main amaigrie, touchante tellement elle devenait pathétique, soumise, télécommandée ; une main qui ne s’est détachée au-dessus des travées ministérielles que l’espace d’un souffle, pour retomber ensuite, lourde, métallique ; une main calquée sur celle de chacun de ses députés moins un, clonée mais amplifiée à l’infini, démesurée ; une main qui expi(r)ait, une main, peut-être, qui espérait, assurée, crispée de promesses, peut-être, mais comme seule une main néophyte, facilement bercée, bernée, pourrait l’être. En levant la main pour voter la triple rallonge à son ennemi politique intime, forcé, obligé pour on ne sait quelle raison, Rafic Hariri a fini de prouver qu’il devra à jamais se contenter de la seule étoffe, très dorée mais un peu frustrante, d’homme d’affaires. L’histoire étant la gueuse que l’on connaît, qui ne repasse qu’une fois tous les dix siècles le même plat, Rafic Hariri ne sera pas un homme d’État. Mais qui a dit qu’il le pouvait ? Qu’il le voulait ? Peut-être ses yeux, hier, lorsque ses hommes disaient oui. Il y a, plus sérieux, plus urgents, les court, moyen et long termes. Le valeureux Misbah Ahdab, qu’aucune scandaleuse pression n’aura épargné ces quatre derniers jours, a épelé hier, en pleine séance plénière, le germe mortifère que le court terme, qui le cache, pourrait révéler dans les semaines à venir. Se demandant, et demandant à l’opinion publique locale et internationale, où irait désormais se nicher le pouvoir exécutif ? Dans un Conseil des ministres réuni ou alors dans un impensable système présidentiel. Il est clair, et les observateurs sont quasi unanimes, que Taëf est depuis hier bien loin. Bien inaccessible. Et pas seulement parce que la Constitution de laquelle il a accouché a été allègrement violée. Ce serait un véritable new-deal, certes, mais qui n’aurait rien de Kennedy, au contraire, puisqu’il viendrait saper, du dedans comme du dehors, la lettre et l’esprit du document censé avoir clos, même fragilement, des éternités de guerre libanaise. Que signera, peut-être, la main du maître de Koraytem ? Quelle place Rafic Hariri décidera-t-il d’occuper dorénavant ? Sera-t-il au cœur de ce new-deal, et dans ce cas, pourra-t-il jouir des rachitiques promesses d’Anjar ; disposer, en Conseil des ministres à venir, sinon d’une majorité, du moins de cette fameuse minorité de blocage, quelle ironie, à même de lui assurer les moyens de sa politique ? Ou végétera-t-il en sa périphérie, attendant des jours meilleurs, des mois de mai, des opportunités qui viendraient d’on ne sait où ? Les Cassandre des deux rives font fortune et multiplient les rumeurs. Lundi, Walid Joumblatt et ses députés décideront si oui ou non ils se retireront du gouvernement, si oui ou non ils continueront à rester les seuls alliés, au sein des Trente actuels ou à venir, du Premier ministre. Sachant que l’incontournable chef du PSP a réitéré hier son attachement à sa relation politique avec Rafic Hariri (qu’il a été voir avant le vote), malgré les nombreuses et conjoncturelles divergences. Le moyen terme serait doublement, après la séance d’hier, facteur d’anxiétés. En votant à 77 % la reconduction d’Émile Lahoud, en acceptant, le cœur strié pour certains, le diktat d’une tutelle qu’ils ont pourtant contribué à installer le plus confortablement possible, ou en refusant, pour certains autres – c’est légitime quand on ne fait pas le poids –, de scier la branche sur laquelle ils se goinfrent, la majorité des députés, emmenée par les régimes syrien et libanais, a totalement ignoré la résolution lancée à peine douze heures plus tôt par la seule instance que le Liban place au-dessus de tout et utilise au quotidien pour blinder sa théorie et son discours politiques : les Nations unies. S’opposer aux desiderata américains est une chose, respectable et nécessaire pour d’aucuns ; se mettre soi-même au ban de la communauté internationale en est une (tout) autre, incompréhensible, insensée, surtout lorsque l’on sait que ni Damas et encore moins Beyrouth peuvent se permettre ne serait-ce qu’un éphémère simulacre d’autarcie. Cette élection est « un défi à la communauté internationale », a affirmé hier le Quai d’Orsay. Le Liban d’Émile Lahoud et la Syrie de Bachar el-Assad ont réussi à se mettre à dos la France : quel talent et quel gâchis. Sans compter Washington, qui a qualifié la séance d’hier de « parodie de démocratie »... « Stratégie, combien de crimes ont été commis en ton nom ? » s’est interrogé hier Salah Honein en démarrant son implacable intervention. Nassib Lahoud, mais aussi Antoine Ghanem, ont une nouvelle fois relevé hier ce qui, année après année, se confirme comme une évidence : l’échec cuisant et amer, douze ans après, l’agonie ou le suicide préféreront certains députés, du Parlement post-Taëf de Nabih Berry. Qui s’est retrouvé pour la troisième fois en moins d’une décennie pour amender, à chaque fois de la même et inacceptable manière – l’article 49 –, la loi fondamentale. Le patron du Renouveau démocratique, qui a administré hier une véritable leçon de chef d’État, a relevé tout haut ce que tous les Libanais ou presque marmonnent tout bas : que va dire l’histoire, encore elle, que va-t-elle raconter aux générations futures, à propos des Parlements de la paix civile au Liban ? Surtout que ce Parlement avait fini par devenir la seule institution libanaise (et assurément régionale) capable un tant soit peu de respecter et d’asseoir, même bancalement, les indispensables usages démocratiques. Tout cela semble désormais caduc et illusoire. Le vote d’hier place de l’Étoile a réussi à rendre obsolète l’essence (constitutionnelle) même du Liban : la démocratie parlementaire. Quant au long terme – pas si long que cela : trois ans, c’est, parfois, vite (et mal) fait –, il est franchement noir. À moins d’être illuminé par l’esprit divin, à moins de se transformer en un étincelant Goldorak, à moins de s’adjoindre la collaboration de chaque instant de tous les David Copperfield et autres Harry Potter de la planète, Émile Lahoud ne pourra jamais réussir en trois ans ce qu’il a raté en six : transformer le plomb en or. Parce que, dans un pays devenu une termitière géante, rongée de l’intérieur, tout est à (re)faire. À commencer par une loi électorale basée sur le caza, d’entières réformes politiques et administratives, une réconciliation puis une entente nationales, une indépendance de la justice, une démilitarisation du pays, une sacralisation de l’État de droit, de la démocratie et des libertés publiques, un combat infini contre la corruption et les mafias, etc. À commencer, donc, par l’application stricto sensu du cinquième et historique appel des évêques maronites. Le ferait-il, qu’Émile Lahoud, de président le plus impopulaire de l’histoire du Liban, deviendra l’homme duquel tous ses successeurs s’inspireront, pendant cent ans, naturellement et indiscutablement. Reste le Libanais, perclus d’ihbat, mais qui, quand il assiste en direct à l’assassinat avec préméditation de sa volonté nationale, acquiert encore plus de mémoire qu’un troupeau de sages éléphants. Et il est désormais évident que ce Libanais, où qu’il soit, d’où qu’il vienne, se souviendra sur le terrain de ce qu’ont fait hier Misbah Ahdab, Antoine Andraos, Élie Aoun, Ghazi Aridi, Mansour Ghanem el-Bone, Farès Boueiz, Nabil Boustany, Akram Chehayeb, Ayman Choucair, Mikhaël Daher, Abdallah Farhat, Ahmed Fatfat, Pierre Gemayel, Antoine Ghanem, Mohammed Hajjar, Marwan Hamadé, Boutros Harb, Henri Hélou, Salah Honein, Walid Joumblatt, Ghattas Khoury, Nassib Lahoud, Nayla Moawad, Georges Dib Nehmé, Fouad Saad, Bassem Sabeh, Farès Souhaid, Alaeddine Terro et Nehmé Tohmé. En mai prochain, et quelle que soit l’ampleur de la coercition et de la sanction, quels que soient les sévices, et les Services, ces 28 hommes et cette femme sont sûrs de retrouver leur strapontin parlementaire. Qu’ils ont surtout utilisé pour représenter celles et ceux qui les ont élus. Ziyad MAKHOUL
Il y a l’immédiat.
La main de Rafic Hariri (et avec elle, celle de beaucoup, beaucoup de députés). Pas la main bandée, la gauche, non. C’est la droite, la valide, celle qui lui restait pour dire non qu’il a levée pour dire oui au moment où le greffier du Parlement prononçait son nom, quand l’heure était venue pour l’hémicycle de voter l’amendement de l’article...