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Actualités - OPINION

Résidence secondaire

On avait beau s’être armé de réalisme et de pragmatisme en prévision de l’inévitable, il n’empêche que des épisodes tel celui d’hier soir place de l’Étoile continuent de heurter, de blesser, de faire mal au plus profond de l’âme libanaise. Dans cette contrefaçon de république, cette sous-province même pas autonome qu’est devenu le Liban, les mots ne veulent plus rien dire, et en particulier ces mots-clés dont on vous rebat ces jours-ci les oreilles. La Constitution, que font le serment de préserver les présidents novices ? Rien qu’un bout de papier qui ne vaut que par ce coquin d’article 49 qu’il s’agit absolument d’amender lorsqu’un mandat vient à son terme. La prochaine élection présidentielle? Une désignation sans appel qui, du bénéficiaire, fait forcément l’obligé du généreux donateur. Idem d’une Assemblée attentive aux injonctions de Damas, même s’il lui faut pour cela trahir les aspirations des citoyens qu’elle est supposée représenter. Par la même et cruelle ironie des mots, l’écrasante majorité parlementaire qui s’est prononcée pour le fatidique amendement n’est en réalité qu’une majorité... d’écrasés : de personnages aux intérêts électoraux, politiques, ministériels, matériels, personnels et autres si vulnérables, qu’il leur faut se prêter à l’amicale, à la fraternelle persuasion. Voilà qui commande un immense respect pour les 29 députés qui, jusqu’au bout et sans le moindre espoir d’infléchir la tendance, auront obéi à leurs seules convictions. Grands, très grands dans la défaite auront été ces élus parmi les élus. Il est en revanche des victoires dénuées de toute gloire. Et celle que remporte le chef de l’État est de celles-là, malgré les folkloriques gesticulations des édiles municipaux rameutés pour la circonstance, malgré les feux d’artifice et autres artifices censés traduire une hypothétique liesse populaire. Une extension de bail de trois années au palais de Baabda, c’est sans doute bien long pour les Libanais déçus, frustrés, las, désargentés et avides de changement. Mais c’est peu pour le président qui aime, lui, prendre son temps. C’est un plein et entier sexennat que paraissait escompter M. Lahoud quand il admettait dernièrement son échec à réaliser son programme de réformes internes tout en se disant prêt à terminer le travail si l’opportunité lui en était – c’est bien le cas de le dire – offerte. Il est clair cependant que ce qui n’a pu être accompli en six ans ne le sera pas en trois. Et que cette moitié de mandat verra l’édification de l’État de droit, la primauté d’une loi que l’on s’évertue aujourd’hui encore à fouler du pied et l’éradication de la corruption, laquelle continue de se porter très bien merci. C’est d’un simple bonus, d’un bonus qui a trop l’air d’un bonus, le même d’ailleurs qui vint récompenser les bons et loyaux services de son prédécesseur Élias Hraoui, que vient d’être gratifié le président Lahoud. Et cela pour son malheur comme pour le nôtre : car c’est à seule fin de bien faire bien comprendre aux Américains qui commande en maître ici que Damas fait l’impasse sur le Liban, sur son mieux-être, sur son progrès. Qu’il s’aliène du même coup, avec une ampleur inégalée, les Libanais toutes appartenances confondues. Et qu’à un prix aussi exorbitant il n’offre en définitive à son poulain qu’un règne voué à être aussi stérile que contesté. On ne saurait sous-estimer, certes, la gravité des pressions internationales dont la Syrie est actuellement l’objet et qu’illustre la résolution onusienne réclamant le départ de ses troupes stationnées au Liban. En se glissant promptement dans la brèche, en se répandant en menaces contre Damas, Israël ne fait d’ailleurs qu’exacerber les alarmes du régime baassiste. Et que rendre plus délicate encore la démarche des Libanais œuvrant à une juste et saine redéfinition de leurs rapports avec le voisin syrien mais qui se refusent dans le même temps à toute manipulation. Cela dit, faire l’impasse sur la question libanaise, ce n’est pas l’occulter : amendement constitutionnel ou pas le malaise est là, il n’a jamais été plus profond, et il est loin de se limiter, désormais à ce qu’on appelle « l’opposition chrétienne ». Que la Syrie ait dû faire de cet amendement le texte suprême de la fidélité de ses amis en dit bien long : c’est bien elle qui est aujourd’hui dans l’impasse, elle que l’on veut contraindre au changement et elle qui y résiste en s’accrochant à ce qui est de plus en plus le passé. C’est bien cela une mentalité d’assiégé. Et c’est éminemment dangereux, pour soi-même comme pour les autres. Issa GORAIEB
On avait beau s’être armé de réalisme et de pragmatisme en prévision de l’inévitable, il n’empêche que des épisodes tel celui d’hier soir place de l’Étoile continuent de heurter, de blesser, de faire mal au plus profond de l’âme libanaise.
Dans cette contrefaçon de république, cette sous-province même pas autonome qu’est devenu le Liban, les mots ne veulent...