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Actualités - OPINION

Pourquoi Lahoud à tout prix ? Des énigmes et des hommes

par Issa GORAIEB On a beau se creuser la cervelle, échafauder les hypothèses les plus tortueuses, se prêter aux plus sinueuses circonvolutions de la mentalité de bazar oriental, on est bien en peine de trouver une réponse convaincante à cette question toute simple : en quoi la réélection annoncée du président Émile Lahoud revêt-elle un caractère aussi vital pour le régime syrien, au point qu’il en vient à fouler aux pieds les sentiments et aspirations des Libanais, à humilier ses plus proches alliés, à défier de si abrupte manière les puissances occidentales ? Oui, qu’est-ce qui rend Lahoud absolument irremplaçable aux yeux des Syriens ? Des diverses tentatives de réponses apportées çà et là, aucune ne saurait à elle seule satisfaire l’esprit. Et expliquer ce qui reste largement inexplicable. La fidélité sans faille de Lahoud. C’est un fait que tout au long de son commandement militaire puis de son sexennat, le chef de l’État n’a jamais laissé planer le moindre doute sur son indéfectible alliance avec Damas. Si parfaite d’ailleurs a été la concordance de vues qu’elle n’aura nécessité que quelques rares rencontres au sommet. Lahoud n’est guère le seul, cependant, à se prévaloir d’aussi bonnes dispositions : les candidats maronites au poste sont légion, ils sont presque tous adeptes de la communauté de destin et des relations privilégiées, et Bachar el-Assad n’avait qu’à puiser dans le tas sans trop de risques de tomber sur le mauvais numéro. Une élection plus ou moins régulière, du moins en apparence (et rigoureusement contrôlée de toute manière), aurait accrédité l’idée d’une certaine « libanisation » de l’échéance présidentielle promise par le jeune Raïs et démontré du même coup cette volonté d’ouverture dont se pare – ou se laisse parer – ce dernier depuis son accession au pouvoir. Au lieu de tout cela, c’est pour un frileux retour à l’ère du rideau de fer que vient d’opter Damas. Un atout décisif, l’armée. C’est bien ce que suggère le parcours de ce général qui, après avoir fourni une mince couverture légale à l’assaut syrien de 1990 contre le réduit de Michel Aoun, a effectivement réunifié l’institution militaire ; cette opération étant placée toutefois sous le signe d’une coopération tous azimuts avec l’armée syrienne, particulièrement en matière de renseignements. Un général président, quoi de plus commode, de plus courant, de plus banal en système républicain de type arabe ? Il reste qu’Émile Lahoud a peut-être trop bien fait les choses et que les apparences peuvent tromper dans un pays proprement arraisonné tel le Liban où nul, même les amis les plus sûrs, n’est admis à concentrer trop de pouvoirs entre ses mains : précaution élémentaire quand on sait que le tuteur syrien est tenu de jouer savamment des rivalités interlibanaises pour perpétuer son pouvoir d’arbitrage. Et donc de décision. Un contrepoids à Rafic Hariri. C’est absolument vrai, sans pour autant que la suprématie de Lahoud, notée depuis quelque temps déjà, signifie un quelconque réajustement en faveur de la communauté maronite, à laquelle appartient le chef de l’État, du partage des pouvoirs découlant de l’accord de Taëf. L’alignement total sur Damas, la carte blanche délivrée au Hezbollah, l’exclusion des forces vives chrétiennes, l’absence de toute réponse significative aux ouvertures amorcées par le patriarcat maronite ne sont pas faits pour élargir un tant soit peu l’assise communautaire du chef de l’État. C’est fort surtout du soutien syrien, donc, qu’Émile Lahoud fait barrage à l’envahissant Hariri dont les connexions séoudites et les amitiés françaises ou américaines ont fait la bête noire de Damas. Ce même phénomène avait pu être observé, bien que de manière plus sporadique, sous le mandat du président Hraoui dont la fidélité résista à toutes les avanies, ce qui lui valut sur le tard un regain d’influence au sein de la « troïka » libanaise et, en prime, une prorogation de son mandat. C’est dire qu’aujourd’hui comme hier et quels que soient les acteurs, c’est la Syrie qui désigne les vainqueurs et les vaincus du moment. En quoi un Liban sans Hariri mais toujours coiffé par Lahoud sera-t-il mieux gouverné, plus proprement et sainement géré, nul ne le sait. Mais le pire serait encore que le premier ministre, piteusement contraint de se dédire et d’initier de sa propre main le processus d’amendement constitutionnel nécessaire à la réélection de Lahoud, se voie refuser par la Sublime Porte jusqu’au droit de rendre son tablier. Si l’impossible cohabitation devait se poursuivre, c’est moins le mandat présidentiel que la crise que l’on aurait ainsi prorogés. La Syrie piégée. Ce serait un peu là une réédition – à rebours – du célèbre épisode au cours duquel l’ambassadrice américaine April Glaspie, une vieille connaissance des Libanais, amenait Saddam Hussein à croire que Washington ne réagirait pas trop vivement à une invasion irakienne du Koweït. En multipliant ces dernières semaines les injonctions publiques à l’adresse du régime syrien, sommé jour après jour de ne pas s’ingérer dans le scrutin, les États-Unis n’auraient pas fait autre chose que de l’acculer à relever le défi: car il y allait non seulement, désormais, de son autorité au Liban, mais de sa crédibilité et de son prestige internes. En s’affirmant non plus comme grand électeur au Liban, mais comme seul et unique électeur, en imposant cavalièrement envers et contre tous, y compris ses plus proches alliés locaux, une réélection de Lahoud, la Syrie a peut-être sauvé la face, mais elle s’est exposée aussi à de graves déboires internationaux, illustrés par le projet de résolution de l’Onu auquel œuvrent en ce moment les États-Unis et la France. C’est dans cette réaction excessive de Damas, cet « overshoot » comme disent les Yankees, qu’aurait résidé le piège : lequel pourrait ne pas épargner non plus le Liban de Lahoud II. L’alarme libanaise. De toutes les causes présumées du spectaculaire raidissement syrien, c’est la plus réconfortante, la plus porteuse d’espoir : la plus clémente aussi pour une dignité nationale trop souvent bafouée. Engoncés dans leur personnage de seigneur et maître, les baassistes syriens auraient-ils à ce point perdu le sens des réalités et oublié les rudiments de la psychologie des peuples ? Sans qu’elle ait jamais été prise au pied de la lettre, l’éphémère promesse de « libanisation » du scrutin a déclenché une réaction en chaîne qui semble bien avoir surpris et dérouté Damas. Des langues amies se sont déliées, et elles n’étaient guère tendres pour le président Lahoud. Les candidatures plus ou moins publiques à la présidence se sont multipliées, et parmi elles celles de personnalités en tout point conformes aux normes et exigences syriennes. Et surtout, les Syriens ont constaté avec affolement que ce parlement libanais, qui est largement leur créature pourtant, recelait bel et bien une minorité virtuellement capable de faire obstruction à la réélection de Lahoud. Voilà qui ne rendait celle-ci que plus nécessaire et urgente. Étouffer dans l’œuf la contestation devenait plus pressant même que de faire la nique aux Américains : d’où les pressions considérables exercées sur les récalcitrants dont certains, pour leur honneur et celui du pays, trouvent encore la force de se refuser à la soumission. Que cette minorité de blocage aille en s’effilochant à mesure qu’approche la date fatidique du vote est certes possible et même probable. Mais d’ores et déjà, le coup de force syrien apparaît paradoxalement comme un signe de faiblesse, puisqu’il ne fait que traduire l’échec d’une politique de domination vieille de trois décennies mais qui, au grand dam de la Syrie, peut encore réserver des développements hors programme, des surprises. Et comme pour la scandaleuse censure qui a frappé dernièrement l’appel des muftis libanais au respect de la Constitution, on n’a, en réalité, rien étouffé de tout : autant d’acharnement à le réduire n’a rendu que plus visible, plus lumineux un sursaut parlementaire que nul n’attendait plus. Il faudra plus que le courage de ces quelques braves, et à leur tête Walid Joumblatt, pour racheter aux yeux de l’opinion une Assemblée peu estimée car toujours prête à toutes les concessions. Mais un précédent, une première vient d’avoir lieu. Et tôt ou tard, les précédents font des petits.
par Issa GORAIEB

On a beau se creuser la cervelle, échafauder les hypothèses les plus tortueuses, se prêter aux plus sinueuses circonvolutions de la mentalité de bazar oriental, on est bien en peine de trouver une réponse convaincante à cette question toute simple : en quoi la réélection annoncée du président Émile Lahoud revêt-elle un caractère aussi vital pour le...