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EN DENTS DE SCIE Cela s’appelle l’aurore

Trente-cinquième semaine de 2004. « Comment cela s’appelle quand tout est gâché, saccagé, et que pourtant l’air se respire, et qu’on a tout perdu ? » Le processus syrien semble définitivement enclenché. Bachar el-Assad a certainement confronté, dix fois, cent fois, le pour et le contre ; évalué, au centime près, le prix à payer ; soupesé, au milligramme, les appels aussi bien internationaux que purement et largement locaux en faveur du respect, dans son esprit comme dans sa lettre, de la Constitution libanaise ; puis il a jaugé le tout à l’aune d’intérêts dits stratégiques. Le résultat est saisissant : ce ne sera qu’Émile Lahoud. Pour trois, cinq, six ou douze ans, peu importe ; ce qui compte, c’est l’image donnée, rendue, et qui est venue s’écraser sur toutes les rétines. Que le camp libanais prosyrien, qui pullule pourtant d’hommes de bonne volonté, a été réduit à une seule personne – si tant est qu’il existe encore aujourd’hui, à une ou deux exceptions à peine, de véritables antisyriens à Beyrouth. Cette profusion occultée au-delà de toute logique aurait pu trouver ses racines dans ce que quelques œils de lynx ont appelé la volonté de cloner le système syrien au Liban, maillon régional faible. Mais non. Le processus occidental semble sérieusement enclenché. C’est peut-être par cela que pourrait s’expliquer la mise à feu tous azimuts, à partir des rives du Barada, du mécanisme de reconduction ; que pourrait se comprendre la réaction syrienne, épidermique, sanguine, instinctive, face à ce que certains pourraient qualifier de « menace » franco-anglo-américano-germanique au plus haut niveau ; de ce qui ressemble plutôt à un unisson occidental ultrasynchronisé et jamais entendu auparavant en faveur du respect de l’actuelle Constitution libanaise, laquelle prévoit l’élection, chaque six ans, d’un nouveau président de la République. Chaque capitale occidentale a certainement ses intérêts propres, ou a décidé de renforcer ceux d’une autre ; l’important n’est pas véritablement de connaître les dessous du bras de fer syro-US, relancé depuis hier à Rome, ou de savoir sur quoi céderait éventuellement Damas (le Hezbollah, le Hamas, etc.) et en contrepartie de quoi. Le seul dénominateur commun au même niet de Washington, Paris, Londres et Berlin reste pour l’instant leur volonté commune – du moins celle qu’ils affichent – de participer à panser les plaies de la seule véritable démocratie proche-orientale, maillon fort de la région, pour qu’elle puisse servir de modèle et d’exemple aux pays de la région. Que ce soit par le biais d’un extravagant Grand Moyen-Orient ou grâce à des injections de collagène bien moins invasives ou interventionnistes. Les Libanais seraient-ils en train de miser sur l’Occident ? Bien sûr que non. Le processus libano-libanais s’est, depuis longtemps, fermement, inexorablement enclenché. Quelque part, par les grâces d’on ne sait quel déclic, les Libanais ont compris qu’il ne leur fallait désormais compter, pour préserver l’intégrité de leur Constitution, que sur eux-mêmes. Tous les Libanais : religieux soient-ils (l’Église maronite, Dar el-Fatwa, le CSC), politiques (Koraytem, Moukhtara, Kornet Chehwane) ou civils (et, encore une fois, nul besoin de sondage, quelle que soit son origine, pour démontrer la quasi-unanimité des citoyens en faveur de l’alternance). Les initiatives et les prises de position se sont multipliées, diversifiées, affirmées ; les définitions de la libanisation se sont affinées, privilégiant la sérénité avec la Syrie, un choix couleur cèdre à négocier ensuite outre-Masnaa ; les sursauts républicains, nécessaires, salvateurs, ont commencé ici et là, à Dimane d’abord, naturellement, mais aussi à Clemenceau, chez Walid Joumblatt. On a évoqué – et on continue de le faire – une minorité de blocage, impensable théoriquement dans un Parlement aux trois quarts préfabriqué, rempli sur mesure, et qui, mine de rien, gentiment, pourrait se transformer en une heureuse réalité. Si tant est que Rafic Hariri se rende compte, malgré son taux d’adrénaline on ne peut plus légitime, de l’opportunité qu’il a de devenir un homme d’État au vrai sens du mot. C’est la conjoncture des astres. Une rencontre fortuite des énergies – en politique il n’y a aucun hasard – qui pourrait profiter, d’abord et surtout, à Beyrouth et à Damas. Quelque part, surtout aujourd’hui, la Syrie voit et entend que sa tutelle sur le Liban ne pourrait être pérenne. Voit-elle, entend-elle, que c’est avec l’aide du Liban et des Libanais eux-mêmes qu’elle pourrait, en cette présidentielle 2004, en cette occasion en platine, au nez et à la barbe de n’importe quelle capitale occidentale, établir les meilleures, les plus équilibrées des relations de voisinage ? A-t-elle lu le Syrien Mohammed Ali Atassi expliquer que c’est le Liban qui doit contaminer la Syrie et pas l’inverse ? C’est la voie royale. Pourtant, les Trente ont été convoqués hier dans la nuit, après l’aller-retour de Rafic Hariri à Anjar, pour un Conseil des ministres extraordinaire aujourd’hui samedi à 10h00. Il n’empêche. « Comment cela s’appelle quand tout est gâché, saccagé, et que pourtant l’air se respire, et qu’on a tout perdu ? Cela s’appelle l’aurore. » Une mirorité de blocage. Ziyad MAKHOUL
Trente-cinquième semaine de 2004.
« Comment cela s’appelle quand tout est gâché, saccagé, et que pourtant l’air se respire, et qu’on a tout perdu ? »
Le processus syrien semble définitivement enclenché.
Bachar el-Assad a certainement confronté, dix fois, cent fois, le pour et le contre ; évalué, au centime près, le prix à payer ; soupesé, au milligramme, les...