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Actualités - OPINION

Lettre ouverte au président Émile Lahoud Et la grandeur, Excellence ?

Par Issa GORAIEB – J’appelle pour vous remercier de votre éditorial de ce matin. Je ferai de mon mieux pour être à la hauteur des espérances. – Les espérances sont grandes en effet, Monsieur le Président, et vous avez droit d’emblée aux vœux de succès, au soutien de tous les Libanais. Cela dit, il n’y a pas lieu de remercier, je ne fais rien d’autre que coucher sur le papier mes convictions. – C’est chose bien connue. Et je vous y engage vivement, ne changez surtout pas ! (15 octobre 1998) Monsieur le président, Ces aimables propos que j’ai précieusement gardés en mémoire, vous m’en faisiez l’honneur au téléphone le jour même de votre triomphale élection. Et c’est parce que je ne crois pas avoir trop changé, c’est parce que tant de choses en revanche ne sont plus ce qu’elles étaient que je me résous à vous adresser respectueusement cette lettre ouverte. Au terme d’un long silence qui en réalité ne trompait personne, et dans un subit accès de transparence, vous venez de confirmer ce que tout le monde pressentait : à savoir que vous vous portez volontaire pour un nouveau mandat. Mieux, et pour la première fois dans les annales, vous n’avez même pas attendu pour cela, comme le veut l’hypocrite usage, que se soit prononcée en votre faveur une majorité parlementaire : ce qui, en apparence du moins, ne vous eut laissé d’autre choix que de vous incliner. Mieux encore, vous avez paru inciter à se mettre en besogne une Assemblée figée dans l’attente de la consigne. Malgré toutes ces singulières innovations, il était grand temps, Monsieur le Président, que vous vous décidiez à dévoiler vos batteries. Car dans ce climat d’incertitude savamment entretenu depuis des mois, le pays, qui allait déjà bien mal, se trouvait frappé chaque jour un peu plus de paralysie. Force est de constater toutefois que le pays ne se porte guère mieux, qu’il n’est pas près de jeter au loin ses béquilles, maintenant qu’il est fixé sur vos dispositions et intentions. Ce qui aggrave le mal libanais, c’est le décevant bilan de ces six dernières années ; et ce qui effraie, abat et déprime les Libanais, c’est la perspective des années à venir durant lesquelles vous vous promettez – et promettez aux sceptiques que nous sommes, ou sommes devenus – de remplir enfin les clauses demeurées inappliquées du contrat qui vous liait au peuple. Bilan et perspectives : en politique comme en affaires, ce sont là, Monsieur le Président, les deux paramètres de base de toute gestion saine. Et sans évidemment que votre personne soit mise en cause, ils ne plaident ni l’un ni l’autre pour une réédition à grands frais – et même au prix fort – d’une expérience qui a largement montré, hélas, ses limites. Devant vos visiteurs mardi, vous avez tiré fierté d’accomplissements «stratégiques» qui reposent invariablement, tous, sur l’axiome d’un amarrage sans faille à la Syrie. Et force est de reconnaître que sur ce plan, vous avez effectivement réussi au-delà de toute espérance : syrienne, s’entend. Votre régime aura vu, c’est vrai et c’est admirable, la libération du Liban-Sud, premier territoire arabe qu’Israël ait jamais évacué sous la pression des armes : libération qui n’a heureusement pas été ternie par les règlements de comptes et autres séquelles sanglantes notées en Europe à la fin de la Seconde Guerre mondiale. Mais a-t-il réellement réintégré la République, ce territoire cédé en concession à une milice décidant à sa guise de la température à la frontière et sensible aux souhaits de Téhéran comme de Damas, mais certes pas des «stratèges» de Beyrouth ? C’est dire, Monsieur le Président, que vous n’avez jamais convaincu vos concitoyens que tout ce qui est bon pour la Syrie est forcément, nécessairement, invariablement bon pour le Liban, dussent en souffrir la légitime quête de souveraineté, le sentiment national, nos traditions démocratiques et notre respectabilité internationale. C’est néanmoins sur ce capital de fidélité «stratégique» que vous misez surtout pour vous rendre irremplaçable aux yeux de Damas. Mais ne serait-il pas extraordinaire, énorme, accablant qu’après trois décennies de mainmise, les Syriens se retrouvent à court d’amis inconditionnels, au point qu’un seul homme, en l’occurrence vous-même, soit jugé digne de leur confiance ? Plus nuancée mais non moins sujette à discussion, Monsieur le Président, aura été votre évaluation de la situation interne. Vous n’avez pas manqué de courage en reconnaissant que de nombreux points de votre ambitieux programme de gouvernement étaient demeurés lettre morte, et que les trois présidences en portent conjointement la responsabilité. Suite page 4 C’est un fait que votre régime, pas plus que celui qui l’a précédé, n’a réalisé une réconciliation nationale véritable et entière ; que nombre de Libanais continuent de n’être pas authentiquement représentés au Parlement, en raison de lois électorales scélérates ; que les tiraillements sectaires se sont aggravés, attisés qu’ils étaient par les rivalités politiciennes et les prosaïques conflits d’intérêts ; que l’État de droit reste une chimère; que les libertés publiques sont trop souvent bafouées ; que les ingérences des services occultes vont jusqu’à compromettre le bon fonctionnement de la justice ; et que la corruption des dirigeants et de leurs proches n’a jamais été plus insolemment affichée. Mais au nom de quelle logique un échec consommé, avéré, un échec à moitié (ou même au tiers) avoué ouvrirait-il la voie à une nouvelle chance, à une session de rachat en septembre ou octobre ? De combien de décennies de présidence ininterrompue faudrait-il alors récompenser les mandats réussis, les parcours sans faute ? Que fait-on de la règle de l’alternance, pilier essentiel de toute démocratie quand bien même serait-elle aussi approximative que la nôtre? N’avez-vous pas déjà bénéficié, Monsieur le Président, d’une prorogation exceptionnelle de votre commandement militaire puis d’un premier amendement de la Constitution qui vous a catapulté sans transition de Yarzé à Baabda ? À multiplier de la sorte, à des fins personnelles, les atteintes à la loi fondamentale dont vous êtes le gardien, ne finit-on pas par désacraliser celle-ci jusque dans ses clauses fondamentales, mettant en péril ainsi le principe du refus de l’implantation des réfugiés palestiniens ? Et quelle sollicitude internationale – matérielle ou morale – le Liban pourra-t-il encore s’attirer en faisant fi des puissances qui, sans relâche, lui prêchent le respect de la Constitution ? Monsieur le Président, C’est fort surtout de vos amitiés d’outre-frontière, dont vous escomptez qu’elles se répercuteront immanquablement place de l’Étoile, que vous briguez en ce moment une extension de mandat : démarche dont vous savez parfaitement qu’elle suscite l’hostilité latente, rentrée, ravalée ou proclamée d’importantes forces politiques locales et instances religieuses. Vous serez inévitablement attaqué pour cela si vous êtes réélu, et vous devrez vous défendre avec les armes du bord : ce qui augure d’une ère d’instabilité à laquelle le dispositif qui vous entoure ne saurait répondre autrement que par l’imposition d’un ordre musclé. Ce serait la militarisation à outrance du système, la fin de la démocratie libanaise. Au brillant officier de marine que vous avez été, Monsieur le Président, il serait bien prétentieux de prodiguer des conseils de navigation. Même un moussaillon cependant vous dirait qu’en ce moment, seules deux routes s’offrent à vous ; et à nous tous avec vous, dérivant sur la même galère. La première route, que vous avez entrepris d’écumer déjà, est semée d’écueils ; c’est la porte étroite, et il faut se faire tout petit pour s’y glisser. L’autre voie, c’est celle du grand large : elle consisterait pour vous à répudier une aventure aussi gratuite que chargée de périls. À dire merci, mais c’est non merci. À endosser la même dimension historique que votre propre modèle, le général-président Fouad Chéhab, qui, au terme de son mandat, se refusa à une rallonge requérant un amendement de la Constitution et qui lui était offerte sur un plateau d’argent. Et qui, parce qu’il le jugeait politiquement inopportun, dangereux, néfaste, dédaigna six années plus tard un retour, pourtant assuré et parfaitement conforme aux textes constitutionnels cette fois. Pour vous-même, pour la place qui sera la vôtre dans l’histoire, pour le Liban, pour son peuple martyrisé par la guerre et trahi par l’après-guerre : pour tout cela et pendant qu’il en est encore temps, jouez donc la grandeur, Monsieur le Président ! Issa GORAIEB

Par Issa GORAIEB

– J’appelle pour vous remercier de votre éditorial de ce matin. Je ferai de mon mieux pour être à la hauteur des espérances.
– Les espérances sont grandes en effet, Monsieur le Président, et vous avez droit d’emblée aux vœux de succès, au soutien de tous les Libanais. Cela dit, il n’y a pas lieu de remercier, je ne fais rien d’autre que...