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Actualités - OPINION

analyse - Beyrouth, ou la difficile synthèse de Rafic Hariri

Rafic Hariri est mécontent. Au soir du scrutin municipal du 9 mai, une bonne partie des commentateurs s’est évertuée à lui gâcher son plaisir en braquant la lumière sur la victoire quelque peu tronquée de la liste qu’il parrainait à Beyrouth, du fait de la très faible participation de l’électorat. Dès le lendemain matin, après la lecture des grands titres de la presse, le Premier ministre s’est efforcé de réfuter cette analyse, affichant sa satisfaction à l’égard de la mobilisation des Beyrouthins, pointant du doigt les différences de voix avec les listes concurrentes et soulignant le succès du pari sur la parité confessionnelle au sein du conseil municipal. Lundi soir, lors du meeting de célébration organisé secteur Verdun, M. Hariri a laissé exploser sa colère contre ceux qui « cherchent à minimiser l’ampleur de la victoire (...) alors qu’ils n’ont pas réussi à faire élire un seul moukhtar ». Mais qui sont donc ces gens qui en veulent au leadership de Rafic Hariri dans la capitale au point de lui contester le succès ? Les propos du chef du gouvernement tendent à définir une cible unique, autrement dit à mettre tout le monde dans le même sac, censé contenir à la fois ses adversaires au sein du pouvoir et à l’étranger, les courants qui présentaient des listes concurrentes à Beyrouth et... les journalistes qui font leur métier. Que les premiers se réjouissent ouvertement de la performance moyenne de la liste de l’Unité de Beyrouth et tentent de l’exploiter avec l’arrière-pensée de diminuer la stature du Premier ministre est tout naturel. Comme l’est aussi le souci de ce dernier de les contrer pour empêcher une telle exploitation. Mais cette bataille-là n’a pas commencé au soir du 9 mai. Elle faisait rage déjà au moment de la gestation de la liste « bulldozer », comme tout un chacun pouvait le constater. Pour ce qui est de la deuxième catégorie, c’est-à-dire essentiellement le courant aouniste et ses associés, le moins qu’on puisse dire est qu’elle ne saurait être confondue avec la précédente. Les enjeux des uns et des autres étaient d’ailleurs à ce point différents qu’ils ne se sont presque pas effleurés. Ne pas constater cette évidence reviendrait à prétendre que la bataille municipale de Beyrouth était une bataille entre haririens et aounistes ! Non, les « vrais » adversaires étaient ailleurs. Tout près. Au sein même de l’Unité de Beyrouth. Et Rafic Hariri le sait. Quant à la presse – en tout cas celle qui n’est a priori ni pour ni contre le chef du gouvernement –, elle s’était tout simplement fondée sur le fait que M. Hariri avait lui-même relevé la barre il y a à peine une dizaine de jours en exhortant les Beyrouthins à voter en masse et en expliquant longuement qu’un conseil mal élu souffrirait d’une légitimité contestable. Constater, le plus objectivement du monde, que les électeurs n’ont pas « voté en masse » ne signifie pas nécessairement faire le jeu de l’adversaire. Les contradictions, les enchevêtrements, la superposition d’enjeux sont devenus tels au Liban – et donc à Beyrouth – que les électeurs de la capitale, un peu moins enclins à suivre des élans claniques que leurs concitoyens dans d’autres régions du pays, sont naturellement perplexes le jour des élections. Et ce n’est pas la manière avec laquelle la liste de l’Unité de Beyrouth a été fabriquée qui pouvait les aider à y voir plus clair. De plus, ce qui vaut pour Rafic Hariri vaut doublement pour les autres. Si le Premier ministre a enregistré à Beyrouth une victoire en demi-teinte, c’est bien un échec – et pas en demi-teinte – qu’ont connu ses adversaires, tous ses adversaires, y compris ceux dont les candidats se sont, au final, placés devant les haririens. Il suffirait, en effet, d’une lecture un peu moins arithmétique et un peu plus politique des chiffres pour constater que les quelques milliers de voix supplémentaires qui se sont portées sur les cinq ou six vainqueurs apparents (non haririens) sont ce que valent ces candidats. Les 50 000 premières voix ne leur appartiennent pas. C’est ce que la locomotive Hariri a apporté à tout le monde. Force est de reconnaître qu’à l’actif du Premier ministre, figure son rôle d’incontournable fédérateur. Qui d’autre que lui peut se targuer aujourd’hui encore de pouvoir assumer et gérer les contradictions religieuses, politiques, culturelles, sociales et économiques d’une ville comme Beyrouth ? De ce fait, son leadership dans la capitale demeure aujourd’hui encore incontestable et sans partage. Mas ce leadership n’est pas statique. Il bouge, avance, recule. Il est façonné par les évolutions tant locales que nationales, voire régionales et internationales. Ce qu’il perd, les autres ne le gagnent pas, c’est le vide qui le happe. Dans un environnement régional et mondial qui se livre chaque jour un peu plus à la barbarie la plus immonde, une barbarie multinationale, le Beyrouth de Rafic Hariri, quels que soient les défauts qu’on peut lui trouver, fait figure de havre de civilisation, de modération, de tolérance. De toutes les grandes cités à majorité musulmane du monde, cette ville est l’une des rares, sinon la seule, à ne pas avoir été gagnée ces dernières années par un islamisme rampant. Est-ce seulement le fruit d’une massive présence chrétienne ? Soyons réalistes. Quelle que soit la justesse de leur combat, ce ne sont pas les aounistes qui pourraient empêcher une telle évolution. Pas plus que tous les courants chrétiens réunis, qu’ils soient pro ou antisyriens. Ni d’ailleurs l’opposition sunnite, dont le manque de moyens, d’envergure, d’influence et, surtout, de projet, s’étale quotidiennement. Dès lors, on peut comprendre que M. Hariri s’oppose aussi farouchement à une division électorale de la capitale sur une base confessionnelle. Parce qu’à ses yeux, une telle séparation renverrait à ses vieux démons chacune des familles spirituelles composant la ville. C’en serait fait de toute tentative de synthèse des diverses aspirations qui s’y juxtaposent, mais aussi du Premier ministre lui-même. Sauf qu’un tel accroc à la démocratie n’est justifiable que si Rafic Hariri – ainsi que ses successeurs, car il n’est pas éternel – cesse complètement d’être un simple leader sunnite. Faire la synthèse à Beyrouth, c’est d’abord opérer une synthèse au niveau personnel. Ne nions pas que cet effort-là, M. Hariri l’a tenté. Les aléas du système politique libanais et de la réalité politicienne l’ont cependant empêché d’aller jusqu’au bout de cette logique. Trop de dilemmes, politiques, économiques, libanais, syriens, syro-libanais, sunnites, chiites, chrétiens, saoudiens, arabes, israéliens, américains, européens, l’ont paralysé et continuent de le paralyser. Il y a plusieurs années, le chef du gouvernement avait réussi, par son pragmatisme et sa modération, à séduire une bonne partie de la bourgeoisie chrétienne de Beyrouth. L’affaire des agences exclusives a quelque peu entamé ce crédit sans toutefois l’anéantir. Depuis, l’aventure du haririsme n’a pas connu que des embellies. D’où l’inquiétude grandissante des Beyrouthins et en particulier des chrétiens. Une inquiétude désormais tributaire du moindre signe venant de Rafic Hariri ou à travers lui. Au point où il doit, par exemple, jauger de l’impact désastreux que peut avoir sur son image certain projet au centre-ville, qu’il en ait été ou non l’initiateur. Élie FAYAD
Rafic Hariri est mécontent. Au soir du scrutin municipal du 9 mai, une bonne partie des commentateurs s’est évertuée à lui gâcher son plaisir en braquant la lumière sur la victoire quelque peu tronquée de la liste qu’il parrainait à Beyrouth, du fait de la très faible participation de l’électorat.
Dès le lendemain matin, après la lecture des grands titres de la...