Rechercher
Rechercher

Actualités - REPORTAGE

Société - A-t-on le droit de donner la mort à un malade incurable, à sa demande ? Le débat sur l’euthanasie divise spécialistes et magistrats (photos)

« A-t-on le droit, oui ou non, de donner la mort à une autre personne pour supprimer sa souffrance ? » Depuis l’affaire Vincent Humbert en France, le problème de l’euthanasie est remis sur le tapis partout dans le monde. Ce jeune homme de 19 ans, renversé par une voiture, est devenu, rappelons-le, tétraplégique, aveugle et muet. Sujet à des souffrances extrêmes, il implore sa mère de l’aider à mourir. Il écrit même au président de la République lui demandant le droit de mourir. Ce dernier ayant refusé, la mère introduit le 23 septembre 2003 une dose de produit toxique dans la perfusion de son fils. Vincent entre dans un état comateux. Les médecins essaient de le réanimer. Le père et le frère leur demandent de ne pas s’acharner. Le respirateur artificiel est débranché. Vincent décède le 26 septembre. Le même jour, une biographie élaborée par un journaliste est publiée. Une autopsie et des examens légaux montrent que la mort de Vincent a été provoquée par deux injections mortelles réalisées après l’arrêt du respirateur. Le médecin traitant est mis depuis le 5 février en examen pour « empoisonnement avec préméditation ». Il s’agit, aux yeux de nombreux spécialistes, d’une affaire médiatisée pour aboutir à une législation officielle sur l’euthanasie. Au Liban, nous en sommes encore loin. Certes, le code pénal et celui de la déontologie médicale condamnent cette initiative. Il s’agit toutefois d’un acte pratiqué en coulisses, comme l’affirment des infirmières dans des services de réanimation. Même l’opinion publique est partagée, comme partout ailleurs, entre les défenseurs de cette idée et ceux qui lui sont hostiles, et qui paradoxalement scandent le même slogan : « la sauvegarde de la dignité humaine ». Une enquête a été effectuée dans ce sens par le Comité consultatif national libanais d’éthique pour les sciences de la vie et de la santé auprès de 128 magistrats libanais. Soixante-quatorze acceptent d’y répondre et se déclarent croyants, qu’ils soient chrétiens ou musulmans. À la question de savoir si un malade en phase terminale, adulte, lucide et victime de fortes douleurs, a le droit de demander que l’on mette fin à sa vie, 25 d’entre eux se déclarent favorables à la demande. De même, 33 d’entre eux affirment qu’ils sont prêts à légaliser l’euthanasie dans des cas précis. Le débat suscité par cette question n’est pas de toute simplicité. Si ceux qui défendent l’euthanasie insistent dans leur argumentation au droit à la liberté de disposer de son corps, ceux qui lui sont hostiles affirment, au nom de ce même droit, qu’il s’agit d’une liberté individualiste. « L’Orient-Le Jour » a mené l’enquête. Chawki Azouri : « J’ai plaidé en faveur de la pratique, mais je n’ai pas pu le faire » L’histoire se passe en France. Le Dr Chawki Azouri, psychiatre, a participé durant plusieurs années à une émission télévisée au cours de laquelle il déclarait être favorable à l’euthanasie du point de vue philosophique et dans certaines conditions bien précises. « J’ai également déclaré que je ne le ferai pas, puisque le code de déontologie me l’interdit et que je ne voulais pas être un hors-la-loi », dit-il. Ces propos tenus à la TV ont poussé un patient à se mettre en contact avec le Dr Azouri, à travers un parent à lui. « Il m’a demandé si j’acceptais de lui rendre visite, puisqu’il était paralysé, poursuit-il. D’habitude je ne le fais pas. Mais j’ai cédé. » Au jour J, le psychiatre se retrouve dans une chambre obscure, face à un jeune homme atteint d’une sclérose latérale amyotrophique, avec pour seul moyen de communication un minuscule appareil accroché à sa paupière et relié à un ordinateur. Cette maladie paralyse progressivement les muscles de l’organisme et attaque en dernier lieu les muscles respiratoires, entraînant un arrêt respiratoire et cardiaque. « Il était avenant, souriant et ne pouvait s’exprimer que par la vivacité de son regard et cette machine, indique le Dr Azouri. Je lui ai demandé la raison pour laquelle il avait insisté à me rencontrer. Des minutes plus tard s’affiche sur l’écran de l’ordinateur le mot “euthanasie”. » « La demande m’a choqué, avoue-t-il. Nous avons longtemps discuté et il m’a raconté que ses muscles se paralysaient progressivement, qu’il savait qu’il n’y avait pas de remèdes à sa maladie et que lorsque ses yeux seront à leur tour paralysés et fermés, il ne pourrait plus communiquer avec son entourage. Il serait emmuré dans son propre corps. » « Non seulement il était conscient de l’horrible situation dans laquelle il se trouvait, mais il a réussi à m’en faire part, poursuit le Dr Azouri. Je suis resté longtemps chez lui et au bout d’une longue conversation, il m’a demandé pour la deuxième fois si j’acceptais de l’euthanasier. Je n’ai pas pu répondre. Sur le plan humain, je savais que je me trouvais devant une personne qui souffrait le martyre. Mais je savais aussi que, toujours du point de vue humain, je ne pouvais pas donner la mort à une personne avec qui je pouvais communiquer. Impossible. C’était plus fort que moi. J’ai refusé et lui ai expliqué que malgré tout ce qu’il endurait, il devait continuer à vivre pour faire part de son expérience à d’autres. » Le psychanalyste a donc refusé, lui a rendu visite à plusieurs reprises et ils ont surtout communiqué par e-mail. « Peu de temps après, il est décédé, note-t-il. Il m’avait envoyé auparavant une documentation dans laquelle il raconte ce que sa maladie lui a appris. » En quête d’amour La communication et la relation avec l’autre ne peuvent être exclues de la demande d’euthanasie, estime le Dr Azouri. « Si l’entourage n’était pas horrifié par la déchéance physique et morale du malade et si ce dernier acceptait l’idée de la mort, la question ne se poserait pas de la même façon », constate le psychiatre, qui ajoute : « L’acharnement thérapeutique est un mot-clé dans le problème de l’euthanasie. La médecine est devenue tellement scientiste, dans le sens qu’elle se base sur l’idéologie, qu’on ne distingue plus aujourd’hui la maladie de la mort. Si le médecin considère que la mort est une limite à son action, il va continuer à s’acharner. Mais il faut savoir qu’il y a une limite à notre action et c’est notre impuissance. Nous ne sommes pas des dieux sur terre. Le problème, c’est qu’on agit comme si la mort n’existait pas. On la craint beaucoup, au moment où il s’agit de la fin d’un parcours. Et puis, nos rites et traditions nous apprennent à pactiser avec elle. La médecine doit réfléchir beaucoup sur ces questions-là, qu’il faut d’ailleurs enseigner dans les facultés. » Et le Dr Azouri de conclure que la psychanalyse lui a appris que dans les relations humaines ou médicales, quel que soit le contenu de la demande, c’est de l’amour qu’on recherche avant tout. Antoine Masri : « Nous avons continué à croire qu’il se réveillera » Le 21 mai 1991, Roy, jeune homme de 22 ans, a été la victime d’un chauffard inconscient qui l’a renversé alors qu’il traversait, à 6h40, l’autoroute de Dora, aux côtés d’autres piétons, pour se rendre au travail. La vie de Roy a, depuis, basculé dans le néant. Au bout de trois mois de soins et de traitements, les médecins ont conclu à la mort clinique du jeune homme et au bout de quatorze mois, ils conseillent à la famille de le ramener à la maison, ne pouvant plus rien pour lui. Roy s’éteindra onze années plus tard. « Durant toute sa maladie, nous n’avons jamais pensé à l’euthanasie », explique Antoine Masri, le père de Roy, qui a transformé la chambre de son fils en une vraie chambre de soins intensifs. Les membres de la famille se relayaient pour administrer les soins à leur malade. « La seule chose à laquelle j’ai pensé était de faire don de ses organes, poursuit-il. Je n’ai toutefois pas osé en parler à ma femme. Finalement, sa mort subite nous a pris de court et je n’ai pas pu le faire. » La famille Masri est croyante. Et c’est sa foi qui l’a empêchée d’envisager la question de l’euthanasie. « Nous avons été à deux reprises à Saint-Charbel et à Sainte-Rafca également, note le père. Jusqu’à la dernière minute, nous gardions l’espoir de le voir se réveiller de sa léthargie. » A-t-il exprimé le souhait d’être euthanasié ? « Il fallait d’abord lui poser la question, au moment où nous n’avions jamais envisagé la question, répond-il. De plus, il ne pouvait pas communiquer. » Et d’insister : « J’ai toujours été contre l’euthanasie et je continuerai à l’être. Quand on a ramené Roy à la maison, sa santé s’est beaucoup améliorée, parce que nous le soignions avec amour. » Le père Jean Ducruet : « Éviter à tout prix de détruire le caractère humain d’une société » La souffrance et la solitude demeurent les mots d’ordre qui poussent les patients à réclamer l’euthanasie. C’est l’avis du père Jean Ducruet, président du comité d’éthique à l’Hôtel-Dieu de France, qui déclare qu’une loi en faveur de cette pratique n’aura d’autre effet que de « détruire le caractère humain d’une société ». « L’euthanasie est un problème de société et non une question individuelle, insiste-t-il. Ceux qui défendent cette pratique parlent de dignité humaine. Mais dans leur optique, celle-ci est fonction de l’état, de l’apparence et du comportement d’une personne en fin de vie ou même du jugement porté sur elle en référence à certaines conventions sociales. Alors que ceux qui rejettent l’euthanasie considèrent que la dignité humaine est une qualité fondamentale qui ne peut être déterminée ni perdue. Elle est indépendante de la situation, de l’état physique ou mental d’une personne. Il ne s’agit pas d’un label qu’une société décerne à un homme, mais d’une affirmation de sa spécificité et de sa valeur intrinsèque. » « Reconnaître et accorder donc le droit de demander la mort seraient établir la conviction sociale que certaines personnes ont perdu leur valeur et leur dignité, estime-t-il. Une pression sociale, consciente ou inconsciente, serait alors exercée sur les handicapés, les vieillards, les malades incurables, qui ont le désir de vivre, mais qui peuvent à tort être malheureusement déjà un peu culpabilisés dans le sentiment d’être inutiles et à la charge de leurs proches. Ces personnes seraient beaucoup plus culpabilisées si elles étaient mises en situation de ne pas demander les “bienfaits” d’une euthanasie qui leur serait légalement offerte. » « Par ailleurs, ajoute-t-il, les demandes d’euthanasie censées être exprimées en souveraine liberté sont souvent l’expression d’une souffrance à soulager, d’une solitude à partager, d’un sentiment de déchéance à ne pas confirmer. La liberté invoquée dans ce cadre est totalement individualiste puisqu’elle implique une autre personne, souvent un soignant. » Soulager ou tuer ? Il est important de rappeler à ce stade que l’euthanasie est le fait de donner sciemment et volontairement la mort à un patient dans le but de mettre fin à ses souffrances, que ce soit à sa demande ou à son insu. « Elle se définit donc par l’intention de donner la mort qui est voulue, imposée et différente d’une mort naturelle, explique le père Ducruet. C’est une pratique que nous ne pouvons pas admettre, encore moins d’un médecin, car cela est contraire à sa mission. Sans oublier qu’elle détruit la relation médecin-patient. Ce dernier ne saura plus si le médicament qu’on lui administre est destiné à le soulager ou à le tuer ! » Résister à l’euthanasie consiste, selon lui, à développer les services destinés à accompagner le malade, « et d’une manière plus profonde à éviter de faire la coupure entre la vie et la mort ». « Celle-ci fait partie de la vie et elle s’assume très souvent dans la souffrance, précise-t-il. La mort est éprouvante, d’autant qu’il s’agit d’un phénomène que nous ignorons et que nous n’avons pas expérimenté. » Ce service ne doit pas être séparé de ceux destinés à soigner les malades. « C’est un service de suite, dans le sens qu’il prépare le malade à sortir pour retrouver une vie normale, mais aussi pour retrouver la mort, insiste-t-il. De son côté, l’équipe de l’hôpital doit être consciente que les soins accordés à une personne sur son lit de mort sont naturels et normaux si, lors de son hospitalisation, elle a également été accompagnée d’une manière normale. » Mais le plus important demeure, selon le père Ducruet, la nécessité d’administrer au patient des soins proportionnés. « À tout traitement ses avantages et ses inconvénients, dit-il. Ceux-là doivent être équilibrés. Si le diagnostic établi pour un cas précis est négatif et que le médecin est sûr que le patient ne survivra pas, il n’y a aucune raison de lui faire subir des examens supplémentaires et des traitements encore plus agressifs et qui sont tout à fait disproportionnés. Il faut le laisser mourir en paix. Mais les médecins ont toujours tendance à donner plus et les parents à demander le maximum. » Et de conclure : « Du point de vue éthique, nombreuses sont les questions qui ne peuvent faire l’objet de compromis. L’euthanasie en fait partie. » « On défait ce qu’on a fait », avoue un jeune médecin Il est contre l’acharnement thérapeutique. Jeune néonatolgue, il explique que lors de sa formation au Liban et en France, il a assisté à plusieurs cas qui ont abouti à une des deux formes de l’euthanasie : passive et active. « Quand je me trouve face à un mauvais pronostic, je préfère ne pas m’engager dans des traitements inutiles, qui ne contribueront qu’à prolonger de quelques jours la vie du malade, note-t-il. Cela n’est pas toujours facile, d’autant qu’on se sent coupable. On se dit toujours qu’on aurait pu faire mieux. » Mais la décision d’interrompre le traitement ou de ne pas le pousser plus loin, il ne la prend jamais seul. « J’ai appris à demander conseil à des collègues, remarque-t-il. D’ailleurs, des comités de bioéthique commencent déjà à être créés au sein des hôpitaux. Il s’agit d’une bonne initiative, d’autant que des spécialistes se chargeront de décider si l’acharnement thérapeutique et, le cas échéant, l’euthanasie doivent être pratiqués. » « Vous savez, on défait ce qu’on a fait, poursuit-il. Quand on se lance dans l’acharnement thérapeutique, on arrive à un stade où l’on ne peut plus rien faire. On se voit obligé d’arrêter le traitement et de faire marche arrière. L’euthanasie se présente alors comme ultime solution. L’euthanasie passive, ou le renoncement à poursuivre un traitement, je la pratique. Si, un jour, je serai obligé de donner la mort à un patient, je ne sais pas si je le ferais. » La position des religions monothéistes • Pour les catholiques, l’euthanasie directe, consistant à mettre fin à la vie de personnes handicapées, malades ou mourantes, est moralement irrecevable. Ainsi, une action ou une omission, qui, de soi ou dans l’intention, donne la mort afin de supprimer la douleur, constitue un meurtre gravement contraire à la dignité de la personne humaine et au respect du Dieu vivant, son Créateur. La cessation de procédures médicales onéreuses, périlleuses, extraordinaires ou disproportionnées, avec les résultats attendus, peut être légitime. Il s’agit du refus de l’acharnement thérapeutique : on accepte de ne pas pouvoir empêcher la mort. Même si la mort est considérée comme imminente, les soins ordinairement dus à une personne malade ne peuvent être légitimement interrompus. L’usage d’analgésiques pour alléger les souffrances, même au risque d’abréger les jours du patient, peut être moralement conforme à la dignité humaine. Les soins palliatifs constituent une forme privilégiée de la charité désintéressée et doivent, à ce titre, être encouragés. • Pour les orthodoxes, quand on est devant un décès inéluctable à court terme, tout acharnement thérapeutique est perçu comme retenant l’âme inutilement sur Terre. Si par euthanasie, on entend une « bonne mort » sans souffrance, l’orthodoxe ne pourra que s’y souscrire puisqu’il demande à chaque liturgie que lui soit accordée « une fin sans douleur et sans honte ». Si l’euthanasie signifie cependant une action délibérée du médecin pour abréger la vie, l’orthodoxe pense qu’il s’agit d’une attitude qui va à l’encontre de « tu ne tueras point ». De plus, les Écritures ne font pas état d’un exemple de malade auquel on aurait apporté la mort par « miséricorde ». • Pour la communauté sunnite : le haut comité des ulémas a promulgué une « fatwa » en mai 1997 interdisant l’euthanasie et la considérant comme étant non autorisée par la charia. Cela rejoint l’un des points essentiels de la loi coranique selon laquelle la personne humaine a un caractère sacré et la vie est un don de Dieu. Par conséquent, on ne peut pas en disposer à sa guise. Le corps lui aussi a été confié par Dieu à l’homme qui est chargé de l’entretenir et non de lui porter atteinte. • Pour la communauté chiite : la « charia islamique » considère que la mort d’un individu ne peut être provoquée que s’il est l’auteur d’actes illégitimes portant atteinte à la sécurité et à la croyance des gens, un crime commis délibérément, à titre d’exemple. De plus, dès sa conception, l’embryon a droit à la vie et tout avortement est considéré comme un homicide. La même prohibition entoure l’euthanasie, appelée également « mort douce et tranquille », qui consiste à procurer la mort à un patient dans un état incurable, désespéré et terminal. N’ayant pas de droit absolu sur sa propre vie, l’homme ne peut demander à un médecin de lui injecter une dose létale pour abréger ses souffrances, d’autant plus qu’une maladie incurable aujourd’hui peut ne pas l’être demain. Par ailleurs, l’euthanasie est non seulement la négation du progrès scientifique, mais aussi un monstrueux pacte avec l’enfer, qui avilit l’individu et l’éloigne de Dieu. En effet, supporter la douleur à force de patience et de prières est un symbole de foi fervente qui rapproche l’homme de son Créateur et lui ouvre les portes du paradis. Une législation qui ne passerait pas le cap de la décision gouvernementale Le Comité consultatif national libanais d’éthique pour les sciences de la vie et de la santé (CCNLE) s’est officiellement déclaré contre l’euthanasie, qui demeure « une attitude qui procède à la fois des sources spirituelles, morales et philosophiques, et de l’approche traditionnelle, qui caractérise le tissu social libanais », comme l’affirme le président du comité, le ministre Marwan Hamadé. Cette pratique constitue un grand danger social. « On ne respecte plus la frontière entre la vie et la mort, déplore-t-il. Cette pratique est susceptible d’élargir le concept de la mort clinique et d’ouvrir la voie à des dons prématurés ou même à des ventes d’organes. » « Il est évident que nous adoptons une attitude qui est à la fois d’inspiration subjective, mais qui relève également du pragmatisme qui doit, en l’état actuel, diriger notre démarche, affirme-t-il. Nous ne nous faisons pas d’illusions. Une législation permettant cette pratique n’aurait aucune chance de passer le cap de la décision gouvernementale ou de la ratification parlementaire. » Et de rappeler à l’occasion que, déjà en 1994, le nouveau code de déontologie médicale n’avait pu être promulgué « sans le passage obligé de la consultation auprès de dix-sept chefs de communauté ». « Sans ce porte-à-porte religieux, poursuit-il, le projet serait encore en souffrance dans les tiroirs des commissions parlementaires ». « Il convient de rappeler, par ailleurs, ajoute-t-il, que le CCNLE a préparé des textes contre l’acharnement thérapeutique. Certains pourraient déceler des signes timides d’autorisation de l’euthanasie passive, et d’autres considérer par contre que le respect de la dignité humaine implique l’obligation de laisser les personnes s’en aller paisiblement, sans douleur, lorsque la science médicale a levé les bras et que le maintien en vie est pratiquement, sinon totalement, artificiel. » En outre, M. Hamadé assure que durant les six années qu’il a passées au ministère de la Santé, il n’a reçu aucun rapport sur des cas d’euthanasie. Si elle a été pratiquée, elle l’aurait été d’une façon clandestine et rare. « Viendra un jour où les approches à l’égard de l’euthanasie se modifieront, mais je ne prévois ni des délais courts ni une large adoption d’une attitude libérale », conclut-il. De son côté, le secrétaire général du CCNLE, le Dr Fouad Boustany, a souligné qu’il s’agit d’un sujet difficile à exposer, d’autant que le consensus à trouver est élastique dans le monde. « Même les pays qui légalisent l’euthanasie mettent des garde-fous pour éviter les dérives, insiste-t-il. Les gens glissent facilement du légal à l’illégal. » « L’euthanasie existe depuis l’Antiquité, explique-t-il. Socrate a été euthanasié et Platon, dans sa République, invite les médecins à s’occuper des bien portants et à laisser mourir les personnes malades. La mort n’a jamais été sacralisée. On tuait les gens, on continue à le faire avec la peine de mort. La douleur et la mort étaient une rédemption. On faisait tout pour l’autre vie. Ce concept a changé. Rares sont ceux qui croient en une seconde vie et beaucoup ne veulent plus souffrir. C’est un sujet éternel. Jamais on n’arrivera à un consensus universel. » Ce que dit la loi Bien que le mot euthanasie ne figure dans aucun article du code pénal libanais, la loi est claire sur ce sujet : il s’agit d’une pratique interdite, punissable d’une détention pouvant aller jusqu’à dix ans de prison (articles 552 et 553). Par ailleurs, l’article 27 du code de déontologie médicale condamne l’acharnement thérapeutique, précisant que « si le malade est atteint d’un mal incurable, le rôle du médecin doit se limiter à alléger les souffrances physiques et psychiques par la prescription de traitements compatibles, autant que possible, avec le maintien de la vie. Le médecin n’a pas le droit de provoquer délibérément la mort, mais il est préférable de ne pas avoir recours à des moyens techniques excessifs pouvant prolonger l’agonie. Le médecin doit assurer la continuité des soins jusqu’au décès du malade tout en lui conservant sa dignité ». L’euthanasie est un sujet qui pose un grand nombre de problèmes, estime Me Nicole Khoury. « C’est une question qui met en conflit des droits tout aussi importants, à savoir la liberté de disposer de son corps, le droit à la vie et le respect de la vie. Il s’agit de deux droits reconnus dans la Convention internationale des droits de l’homme et dans la Convention européenne des droits de l’homme, deux traités ratifiés par le Liban. » « Le courant favorable à l’euthanasie est celui qui a légalisé l’interruption volontaire de grossesse, poursuit l’avocate. Les sympathisants de ce courant parlent de la dignité humaine, à la base de tous les principes et de tous les droits fondamentaux. Ils considèrent par conséquent qu’être dans un état végétatif est contre la dignité et que l’homme doit avoir la liberté de choisir sa mort. » À ce courant s’oppose un autre, formé notamment d’hommes de religion, de médecins, considérant que leur rôle est de protéger et de prolonger la vie, et de handicapés qui craignent que cette loi ne s’applique à leur situation d’une façon arbitraire, une fois leur jugement annihilé. « Le vrai problème qui se pose au juge demeure la difficulté de rédiger une loi à portée générale, qui pourra saisir la relation singulière et intime qui s’installe entre un médecin et son patient, indique Me Khoury. La majorité des médecins refuse que cet acte soit légalisé. Toutefois, ils y accèdent par humanité. » Et d’ajouter : « Sur le plan de la terminologie, on distingue entre l’euthanasie passive, qui signifie interrompre les soins et qui, à mon avis, est un abus de langage car c’est une mort naturelle ; et l’euthanasie active, qui implique la provocation de la mort par médication ou par injection. » « Même si elle pose des restrictions sévères, une loi légalisant l’euthanasie est difficile à contrôler, d’autant que le juge qui va trancher n’a pas été présent pour vérifier les conditions dans lesquelles cet acte a été pratiqué, ce qui laisse la place à beaucoup de subjectivité », conclut Me Khoury. Dans le monde L’évolution de l’opinion publique sur l’euthanasie a entraîné des projets de loi « compréhensifs ». Rares sont ceux qui ont été retenus. • En Australie, le Territoire du Nord avait promulgué en 1995 une loi légalisant l’euthanasie, qui a été abrogée en 1997 par le Parlement fédéral. • Dans les États de Washington et de Californie, des projets de loi incluant l’euthanasie ont été rejetés, alors qu’une loi légalisant l’assistance médicale au suicide a été votée par l’État d’Oregon en 1994. Mais en 1997, la Cour suprême des États-Unis a jugé constitutionnelles des lois interdisant l’aide au suicide d’un tiers. • En Suisse, l’euthanasie reste interdite, mais l’assistance au suicide n’est pas condamnée. Une association créée en 1998 et baptisée Dignitas aide les malades à mourir. Ils doivent pour cela présenter des certificats qu’ils sont atteints d’une maladie incurable et doivent être diagnostiqués par l’un des médecins de l’association. De 2000 à 2002, l’association a reçu 2 700 demandes, principalement de patients étrangers. • En France, l’acte d’euthanasie ne figure pas dans la loi. Au regard du droit pénal, il s’agit d’un homicide. Les crimes en France relèvent de la cour d’assises, dont l’élément essentiel est la présence d’un jury populaire dont les membres sont tirés au sort et qui rend des arrêts sur base de l’intime conviction. Par ailleurs, le code pénal de 1994 précise que la peine maximale pour un crime est de 30 ans de réclusion. • Aux Pays-Bas, la loi du 1er juin 1994 dépénalisait l’euthanasie accomplie sous diverses conditions précises et au terme d’une procédure de notification que réglait le décret du 17 septembre 1994. L’euthanasie a représenté l’année suivante 7 % des causes de décès. Une loi en avril 2001 a légalisé l’euthanasie : les médecins étaient autorisés non seulement à assister un patient dans son suicide, mais aussi à donner la mort que celui-ci réclame expressément. • La Belgique a tranché en septembre 2002 en faveur d’une législation contrôlée de l’euthanasie. Le médecin n’est toutefois pas autorisé à donner lui-même la mort. • L’Association médicale mondiale, qui regroupe 70 Ordres nationaux de médecins, a réaffirmé que l’euthanasie est contraire aux principes fondamentaux de la pratique médicale. Condamnant les législations hollandaise et belge, elle a exhorté les praticiens dans ces deux pays à ne pas pratiquer l’euthanasie, même si leur législation les y autorise. La mort donnée en coulisses Nous l’appellerons Leila. Infirmière depuis près de vingt ans, Leila est confrontée au quotidien à la mort. Elle a été au chevet de malades dans les soins intensifs et a rejoint depuis plusieurs années le service de néonatologie. « L’euthanasie se pratique dans les hôpitaux, chez les enfants comme chez les adultes, explique-t-elle. Mais le médecin ne prend jamais seul la décision de débrancher les machines qui maintiennent le patient en vie ou même d’injecter une dose létale. C’est un comité médical qui se réunit, à la demande du médecin traitant, pour décider de la démarche à suivre. L’euthanasie est souvent pratiquée aussi à la demande des parents d’enfants en état de mort cérébrale. » « Ce ne sont jamais les infirmières qui débranchent les appareils ou injectent la dose, poursuit-elle. Ce sont les résidents ou le médecin traitant lui-même qui le font. Personnellement, je quitte la chambre du patient, quand l’instant fatal arrive. » Leila raconte, par ailleurs, qu’un adulte qui souffrait beaucoup lui a demandé de mettre fin à sa souffrance. « Nous n’avons pas pris sa demande au sérieux, mais nous avons essayé de le soulager autant que possible, souligne-t-elle. D’ailleurs, il s’est rétabli des jours plus tard. On essaie aujourd’hui d’introduire les soins palliatifs dans les hôpitaux, certains établissements ont déjà créé ce service, dans l’espoir de résoudre le problème de la souffrance. » Nada MERHI
« A-t-on le droit, oui ou non, de donner la mort à une autre personne pour supprimer sa souffrance ? » Depuis l’affaire Vincent Humbert en France, le problème de l’euthanasie est remis sur le tapis partout dans le monde. Ce jeune homme de 19 ans, renversé par une voiture, est devenu, rappelons-le, tétraplégique, aveugle et muet. Sujet à des souffrances extrêmes, il implore...