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Morgues de barbarie

Échanges culturels : c’est le titre – laconique mais fort éloquent – de deux dessins que publie côte à côte le journal satirique Le Canard Enchaîné. Sur le premier on voit des fragments de corps humains, ceux des quatre Américains lynchés dernièrement à Falloujah, se balançant sous un pont ; le second montre ce prisonnier irakien encagoulé et juché sur une caisse, les bras écartés et garnis d’électrodes : terrible image qui, s’écrie le sénateur démocrate Edward Kennedy, menace de supplanter celle de la statue de la Liberté dans la perception qu’on a un peu partout de l’Amérique. L’humanité n’est pas près d’en avoir fini, hélas, avec ce genre de spectacle. Le Pentagone s’apprête à publier ainsi, à son corps défendant, un nouveau lot de photographies retraçant les sévices, à caractère très souvent sexuel, infligés aux pensionnaires du centre carcéral d’Abou-Ghraïb par des interrogateurs psychopathes. Et c’est ce moment précis que l’on choisit, par un malheureux hasard, pour asséner au monde – et singulièrement aux Palestiniens eux-mêmes comme à tous les Arabes – celles d’activistes du Hamas paradant hier dans le centre de Gaza et exhibant, tels de glorieux trophées, les restes de soldats israéliens tués au cours d’ une incursion dans cette ville. Ces six soldats, il est vrai, ne se trouvaient pas là en touristes, pas plus d’ailleurs que les quatre mercenaires américains engagés comme supplétifs par le Pentagone qui s’étaient aventurés dans les faubourgs de Falloujah. Et si ces militaires ont été littéralement pulvérisés par l’explosion de leur véhicule – au point que lesdits trophées se réduisaient à des fragments de cuir chevelu ou à des moignons de bras ou de jambes –, c’est que celui-ci était bourré de dynamite destinée à détruire, à faire des morts. Il reste cependant que la fête macabre de Gaza n’est guère à la hauteur de la juste cause des Palestiniens, pas plus qu’elle n’est conforme d’ailleurs aux préceptes religieux commandant le respect des morts. Plus grave encore, elle ne peut qu’apporter de l’eau au moulin de ceux qui s’érigent en champions du monde dit civilisé, en pourfendeurs du terrorisme et de la barbarie, alors qu’ils se rendent eux-mêmes coupables des pires excès. Injustifiables à tout point de vue, totalement inopportunes, les tristes festivités de Gaza peuvent trouver sans doute une explication dans l’interminable calvaire qu’endure depuis des générations le peuple palestinien. Aux prises avec un occupant dont l’insatiable appétit territorial vient d’obtenir une choquante couverture américaine, les Palestiniens ne disposent que de l’arme du faible, celle qui naît de la frustration, du désespoir face à tant d’injustice : les attentats-suicide. Et aussi quelques kalachnikovs ou lance-roquettes RPG, dérisoires moyens de défense contre les super-helicoptères Apache utilisés pour liquider l’un après l’autre les chefs palestiniens : chaque sortie de ces formidables machines se soldant, comme on sait, par de nombreuses victimes civiles dans ce bidonville surpeuplé qu’est Gaza. En langage faussement « civilisé », cela s’appelle des opérations « ciblées », entraînant des dommages « collatéraux ». Mais la barbarie, car c’en est bien une, est plus criante quand elle est le fait non point de milices mais d’un État constitué. Le terrorisme, car c’en est incontestablement un, n’est-il pas plus condamnable encore quand il se trouve érigé en ligne politique et que cette doctrine obtient de surcroît l’aval de l’unique superpuissance mondiale ? La civilisation contre la barbarie, les nations libres et évoluées contre l’obscurantisme et la tyrannie : de tous les slogans dont s’est bardée la riposte américaine aux épouvantables attentats de septembre 2001, le plus mensonger finalement aura été celui de la loi démocratique, et pas seulement parce que Washington a fait fi de la plupart des démocraties occidentales opposées à la guerre contre l’Irak. Car où est-elle aujourd’hui la démocratie promise à ce pays débarrassé de Saddam Hussein et appelée à rayonner dans tout le Moyen-Orient ? De quelle démocratie peut se targuer Israël qui foule aux pieds les accords signés avec l’OLP et où on parle ouvertement, de plus en plus, de transfert des Palestiniens vers les pays voisins ? Comment les président, Premier ministre et ministres de ces grandes démocraties que sont les États-Unis et la Grande-Bretagne peuvent-ils se dire non informés des horreurs pratiquées dans les geôles d’Irak, alors que leurs gouvernements étaient, depuis des mois, relancés par la Croix-Rouge internationale ? Et où George W. Bush trouve-t-il le phénoménal culot de s’en aller au Pentagone féliciter pour son « merveilleux travail » le même Donald Rumsfeld qui pourtant est au cœur du scandale des tortures ? C’est dire qu’en ce dément, en ce terrifiant début de millénaire, la barbarie n’est l’apanage de personne. Et que si Oussama Ben Laden a criminellement dévoyé les enseignements du Coran, d’autres – et non des moindres – ne se privent pas de malmener, au gré de leurs suspectes visions, qui la Torah et qui la Bible. Gare aux apprentis prophètes, ils sont tous devenus fous. Issa GORAIEB
Échanges culturels : c’est le titre – laconique mais fort éloquent – de deux dessins que publie côte à côte le journal satirique Le Canard Enchaîné. Sur le premier on voit des fragments de corps humains, ceux des quatre Américains lynchés dernièrement à Falloujah, se balançant sous un pont ; le second montre ce prisonnier irakien encagoulé et juché sur une caisse,...