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PATRIMOINE ARTISTIQUE - La fondation Audi à Saïda Un îlot de civilisation et de culture au cœur de la médina (photos)

On le connaît banquier, esthète et mécène, mais on ignorait tout de l’homme profondément attaché à la ville qui l’a vu naître et grandir, Saïda, où «je me sens avoir toujours huit ans», comme il aime à le repéter. Les odeurs, les sons, les lieux, tout le fait tressaillir. Raymond Audi, puisque c’est de lui qu’il s’agit, a tout simplement répondu à l’appel des racines. Une réponse synonyme d’action. Et le résultat de son engagement est tout simplement surprenant de civilisation et de culture; celles qui se conjuguent avec l’intérêt de la chose publique, la beauté des lieux, la revalorisation du site, des us et coutumes, de l’art, de l’artisanat. Une civilisation et une culture faites aussi d’écoute, d’échange et de respect de l’autre dans sa différence, porteuse de richesse. Le résultat est un «îlot Audi». Plus de 5000 m2 au cœur de la vieille ville, cette médina qu’il connaît si bien, traduisent tout l’intérêt que l’homme porte à son projet: une savonnerie familiale sortie des décombres, restaurée et devenue un musée du savon, petit chef-d’œuvre d’architecture ancienne; un mini-musée au cœur du musée regroupe des pièces rares trouvées dans cette terre remuée à la recherche de l’histoire ; un appartement personnel à plusieurs niveaux, véritable musée de la pierre sculptée ; une demeure familiale transformée en fondation qui accueille artistes, artisans, gens de passage qui ont à offrir la beauté en partage, au service de la ville; une cafétéria qui propose les bonnes recettes de douceurs et de sirops au goût d’hier; une boutique où l’on trouve tout pour un «hammam»; un souk qui retrouve son charme d’antan, pierre après pierre, échoppe après échoppe et dalle après dalle; un personnel rodé veillant sur ce rêve devenu réalité et, enfin, des guides prêts à piloter les visiteurs à travers l’îlot, mais également dans la médina et chez le voisin et ami Debbané, à la découverte de sa belle demeure en pleine restauration. Mais ce n’est pas tout. Audi ne s’arrête pas en si bon chemin. Il élargit son domaine et se fait un malin plaisir de prendre tout ce qui s’offre à lui dans le prolongement de son îlot, pour lui redonner vie: petites bicoques ou modestes demeures tombant en ruine, rien ne l’arrête. Prochaine étape, la restauration de deux acquisitions en hôtels de charme et la réhabilitation de la rue des petits commerçants, à l’instar de celle de Byblos. Une visite guidée avec le maître de céans, c’est comme accompagner un amoureux racontant sa dulcinée, qu’il est autrement plus intéressant de découvrir avec lui. Car Raymond Audi connaît et vit, au plus profond de lui-même, sa ville et sa casbah avec ses trois principaux khans (Frange, Echlé et Riz, en appuyant sur le z), ses ruelles intérieures, piétonnes ou non, les fouilles du British Museum qui jouxtent l’îlot, les mosquées, églises, arcades, portes de la ville, murailles, ports, senteurs, bruits... Bref les petits et grands détails qui font l’histoire des lieux et que déroule ce narrateur passionné. Maria CHAKHTOURA La savonnerie À tout seigneur tout honneur: la savonnerie, d’une richesse architecturale insoupçonnée. Elle a constitué la première étape de l’opération restauration. Et quand les techniques modernes viennent au secours de l’ancien (éclairage, mariage de la vieille pierre avec des matériaux plus récents), l’effet ne peut être que des plus concluants. Pour le plus grand bonheur des visiteurs. Près de deux cents personnes défilent chaque jour dans ces lieux qui avaient été une petite fabrique de quartier pour les besoins de la population et des hammams de la ville. Aujourd’hui, c’est un vrai musée thématique du savon «baladi». Et à partir des cuves restaurées, on découvre successivement les différentes étapes de la fabrication artisanale du produit et de ses diverses formes. Deux allées en forme de L présentent aux visiteurs des objets d’art. Car à force de creuser, à la suggestion de l’archéologue Leïla Badr, une pro avertie, les propriétaires sont tombés sur un fumoir («mahchaché»). Ainsi, plus de 60 pipes, en terre, de différentes formes et longueurs, récupérées des décombres, sont exposées dans des vitrines pour mieux les protéger. Mais ces pipes ont une histoire. Elles sont généralement composées de trois parties: la pipe en elle-même, le filtre et la tige en bois. La longueur de cette dernière variait de un à quatre mètres, selon l’importance du personnage et sa richesse, et il fallait un domestique pour la tenir et suivre son propriétaire. Le bois aussi avait son importance. Ainsi, trois sortes étaient utilisées: bois de cerise, d’abricot ou de rose. Mais le plus cher était celui du jasmin qui avait le pouvoir d’absorber la nicotine. Autre détail important: une pipe qui ne pouvait être fumée que quatre ou cinq fois seulement avant d’être jetée en raison de sa composition fragile. On peut également admirer des pièces et des plats trouvés sur le site remontant au XVIIIe siècle, ainsi qu’une collection cédée par Fayza el-Khazen. La fondation Une demeure familiale, construite au début du siècle dernier sur la savonnerie, est restaurée et transformée en fondation. Cette dernière a pour objectif de développer des projets divers dans trois domaines précis: organiser des activités culturelles et artistiques, des conférences, des rencontres mais toujours autour du patrimoine culturel, social et artistique de la ville; participer à la remise en état des dédales et ruelles environnantes, à l’instar des travaux de réhabilitation entrepris par d’autres organismes engagés dans ce processus de mise en valeur de la médina; collaborer avec le service public, afin de créer un musée régional pour la ville de Saïda qui compte beaucoup de richesses éparpillées dans les plus grands musées du monde. Aussi, la demeure est divisée aujourd’hui en salles d’exposition et de rencontres, une bibliothèque appelée à être spécialisée en la matière et une cuisine équipée pour que les produits du terroir soient «fabriqués» sur place. Deux salles sont consacrées, l’une à l’œuvre de la maman Audi, qui était peintre à ses moments perdus, et l’autre à Jean Audi, le fils décédé à 34 ans, qui avait été l’élève de Georges Cyr. Il ne faut surtout pas oublier d’admirer les plafonds dont les poutres en bois peint ont retrouvé leurs couleurs initiales. Les idées foisonnent dans cette fondation, mais chaque chose en son temps. Une porte sur le souk Située au cœur de la médina et constituant une porte de cette casbah, la fondation se donne également pour tâche de procéder à la «toilette» des ruelles du souk et de restaurer les lieux: murs nettoyés pierre par pierre, portes des échoppes refaites dans l’esprit de l’époque avec du beau bois, canalisation pour l’évacuation des eaux... Petit à petit, le souk est en train de retrouver un autre look, pour la plus grande joie des commerçants. Mieux, une brochure sur le musée et un plan détaillé du circuit interne de la médina ont été établis par la fondation à l’intention des visiteurs. Ces derniers peuvent d’ailleurs se faire accompagner par des guides mis gracieusement à leur disposition.

On le connaît banquier, esthète et mécène, mais on ignorait tout de l’homme profondément attaché à la ville qui l’a vu naître et grandir, Saïda, où «je me sens avoir toujours huit ans», comme il aime à le repéter. Les odeurs, les sons, les lieux, tout le fait tressaillir. Raymond Audi, puisque c’est de lui qu’il s’agit, a tout simplement répondu à l’appel...