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Réédition - « Une guerre pour les autres » de Ghassan Tuéni, en format de poche Les Libanais se seraient-ils trompés de paix ?

Il y a, dans la culture politique, des livres jalons qui font la somme d’un moment donné de l’histoire et permettent, d’un coup, d’embrasser le passé, le présent et une partie de l’avenir. Publié en 1985 et épuisé en quelques mois, Une guerre pour les autres de Ghassan Tuéni, réédité en format de poche par Dar an-Nahar, est de ceux-là. Pour comprendre l’histoire, disons-nous. Pour saisir les enjeux qui la marquent. Nous vivons une époque à la fois passionnante et lassante, et les images que nous retransmettent les télévisions, aussi bien en Irak qu’en Palestine, pourraient nous acculer à l’indifférence. C’est aussi le cas des événements internes, de notre propre histoire et de celle de nos rapports avec le régime syrien. L’indifférence que nous affichons n’est en réalité qu’une réaction de défense contre un présent inacceptable, pourtant apparemment immuable. L’ouvrage cerne parfaitement l’une des grandes constantes de notre histoire. « Le principal et certainement le plus dramatique des paradoxes libanais qui viole toute logique est que les Libanais ne semblent jamais avoir été seuls dans leur pays, seuls et ensemble (c’est l’auteur qui souligne) ; on est tenté de dire que le pays n’a jamais appartenu exclusivement à ses seuls citoyens. C’est là sans doute la principale constante, plus ou moins avouée, de son histoire », écrit Tuéni. Dans une postface écrite pour l’édition de poche, le rédacteur en chef d’an-Nahar note que le titre de son ouvrage a été déformé. « Une guerre pour les autres » est devenu, dans le vocabulaire politique, « Les guerres des autres sur notre territoire », comme si les Libanais étaient innocents du sang qui a coulé sur leur terre. La lecture de l’ouvrage montre bien que ce n’est pas du tout le sens que Tuéni a voulu donner à ce titre complexe. « Notre intention n’est pas de déculpabiliser les Libanais qui ont mené cette guerre, à quelque bord qu’ils appartiennent », dit-il. Toutefois, explicitant l’énoncé de ce titre, l’auteur écrit : « On pourrait donc énoncer ainsi la règle qui a régi les événements du Liban depuis le début des hostilités : il ne s’agit pas, il ne peut pas s’agir, d’une guerre civile, mais de la projection de conflits externes dans des structures internes naturellement conflictuelles. » De telle sorte qu’« en se battant comme ils se sont battus, les Libanais ont mis leur pays non seulement à la merci de la guerre des autres, mais aussi à la merci d’une paix que négocieraient les autres ». L’une des données dont le Liban est l’otage, explique encore Tuéni, est l’« open game strategy » inaugurée en 1976 et offrant « une vaste complémentarité d’intérêts entre deux puissances théoriquement ennemies », Israël et la Syrie. Le Liban, ajoute-t-il, « ne peut espérer jouir d’une paix durable tant que se poursuit cette alliance objective » entre les deux puissances. Comment sortir du cercle vicieux ? À la veille d’une élection présidentielle incertaine qui doit avoir lieu à l’automne prochain, les Libanais ne se demandent plus, comme en 1984, s’ils se sont « trompés de guerre », mais plutôt s’ils ne se sont pas « trompés de paix », écrit dans sa postface Ghassan Tuéni. Ainsi, pour « trouver durablement le chemin de la paix », dit-il, le Liban « doit pouvoir (...) éviter que sa paix ne demeure monnaie d’échange dans un règlement, par les autres, d’un confit dont il demeurerait otage et serait, éventuellement, une fois de plus victime ». « En termes concrets, enchaîne Tuéni, la recherche de la solution à la question palestinienne doit se dérouler en Palestine et en Israël, et non au Liban. » Il ne s’agit pas, selon lui, d’un « désengagement arabe du Liban ». Il s’agit, par contre, « de ne pas faire subir au Liban ni de lui faire entreprendre davantage que ce qu’entreprennent les autres Arabes chez eux et à leurs frontières ». La « paix pour les autres (...) doit se situer, géographiquement et politiquement, chez les autres », dit aussi Tuéni, qui conclut : « Cela s’appellera, si l’on veut, la nouvelle indépendance. » En somme, à Taëf, les Libanais ont conclu la paix des autres. Ils doivent encore, « enfin libres, se déclarer une paix qu’ils imposeront aux autres ». Il y a, dans l’ouvrage de Tuéni, un effort de dépassement pour penser le Liban, pour le saisir, pour maîtriser ses conditions d’apparition et d’existence, qui le rend admirable. À l’heure où l’on redécouvre les ouvrages de Michel Chiha, n’attendons pas cinquante ans pour découvrir Ghassan Tuéni et nous impliquer dans notre histoire. Fady NOUN

Il y a, dans la culture politique, des livres jalons qui font la somme d’un moment donné de l’histoire et permettent, d’un coup, d’embrasser le passé, le présent et une partie de l’avenir. Publié en 1985 et épuisé en quelques mois, Une guerre pour les autres de Ghassan Tuéni, réédité en format de poche par Dar an-Nahar, est de ceux-là.
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