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Actualités - ANALYSE

ÉCLaIRAGE Le bras de fer entre Anjar et Awkar s’amplifie à dix jours des retrouvailles syro-US à Rome

Il a d’abord suffi que deux Premiers ministrables de poids, Sélim Hoss et Négib Mikati, soient invités ex abrupto, samedi en milieu d’après-midi, à se rendre dès potron-minet, le lendemain, au palais des Mouhajerine pour un tête-à-tête dominical avec le président syrien, Bachar el-Assad, pour que le landernau local sorte de son gentil ronron de campagnes présidentielles pseudo-occidentales, et s’emballe. Il ne manquait que la cerise sur le cake présidentiel pour qu’ensuite ce microcosme s’affole totalement. Et cerise il y a eu, avec la visite-éclair (et aveuglante d’opacité) du ministre syrien des Affaires étrangères, Farouk el-Chareh, reçu hier à Baabda par le chef de l’État, Émile Lahoud. Sans compter que tout cela ne peut être lu ou entendu hors contexte ; et le contexte est désormais on ne peut plus clair. Puisque c’est pratiquement jour après jour que se succèdent, d’un peu partout, les appels américains au retrait de l’armée syrienne du Liban et à une désaliénation de la libre décision libanaise de la tutelle syrienne. En attendant, bien évidemment, le deuxième épisode des rencontres syro-US, prévu le 27 août à Rome. Bachar el-Assad avait prévu, certes depuis quelque temps, un nouveau round d’entretiens avec différents responsables libanais. Mais contrairement à ce qui était attendu – et généralement coutumier –, ce n’est pas avec Nabih Berry et Rafic Hariri que le n° 1 syrien a ouvert le bal de ces concertations, mais avec deux sérieux prétendants au Sérail, au cas où... Et à Sélim Hoss et Négib Mikati, se succéderont dès aujourd’hui auprès de Bachar el-Assad, dans le désordre, Hussein Husseini, Omar Karamé et – à tout seigneur maronite prosyrien tout honneur – Sleimane Frangié. Avec les trois derniers aujourd’hui, comme avec les deux premiers dimanche, le président syrien compte bien, du moins dans la forme, recueillir les opinions, la vision, les idées. À propos de cinq thèmes principaux : le dossier régional, ainsi que le conflit israélo-palestinien (et, partant, israélo-arabe) ; le Hezbollah ; la présence syrienne au Liban ; la présence des réfugiés palestiniens sur le territoire libanais, et l’Irak. Arrive entre-temps à Beyrouth l’omniprésent Farouk el-Chareh. Évidemment, naturellement, protocolairement, le président libanais ne saurait être convié, au même titre que les autres, à Damas. Le chef de la diplomatie syrienne a donc soigné sa mise en scène pour recueillir l’avis d’Émile Lahoud au sujet des cinq centres d’intérêt syriens : message solennel (dont la teneur n’a pas été divulguée) de Bachar el-Assad transmis en tête à tête par le ministre syrien au président libanais, et refus catégorique du même ministre, contrairement à ses habitudes, de répondre aux questions des journalistes à sa sortie de Baabda. Pourquoi avoir commencé par deux personnalités sunnites de premier plan ? Pourquoi tout ce cérémonial autour de la visite de Farouk el-Chareh ? Un ancien ministre, toujours particulièrement bien informé et observateur à l’œil de lynx, évoque différentes hypothèses. « Le président Assad a cherché, par l’intermédiaire d’une interview accordée à un journal koweïtien et en proclamant la libanisation de l’échéance automnale, à rectifier le tir d’une déclaration faite quelque temps auparavant sur al-Jazira (ndlr : interrogé sur la présidentielle 2004, il avait alors affirmé qu’il « ne s’est pas encore décidé »). Or, l’on se rend compte de plus en plus à Damas que l’option de la reconduction – aussi plausible et probable, aux yeux de la Syrie, que celle de l’alternance –, rassemble contre elle un éventail particulièrement ample de personnalités libanaises. Comme si Damas sentait que cette libanisation est en train de prendre des proportions telles qu’elle serait sur le point de lui échapper », indique la source en question. Les convocations, de même que l’aller-retour de Farouk el-Chareh auraient ainsi pour but de rétablir l’équilibre de la balance. De rappeler à qui serait tenté de l’oublier que tout reste possible, que tout restera dans le flou, au moins jusqu’au 25 septembre. À tel point que l’on évoque avec une certaine insistance une éventuelle session parlementaire extraordinaire le 15 septembre, flanquée d’une pétition que signeront plusieurs députés en faveur d’une reconduction ou d’un renouvellement du mandat Lahoud. Une pétition à laquelle répondront les anti, épaississant ainsi encore davantage le flou autour des intentions syriennes. Ce réveil estival syrien tend également à rappeler qu’Émile Lahoud est une ligne rouge, une constante syrienne, et que les attaques dont il est la cible, de la part même d’alliés de Damas, sont « inadmissibles ». Encore plus inadmissibles que ces attaques risquent de remettre en cause, ne serait-ce qu’indirectement, la politique étrangère de Lahoud et les choix nationaux qu’il a constamment défendus. Les reconductionnistes locaux ont immédiatement réagi, d’ailleurs, après cette visite, pour décréter que le président sortant retrouverait certainement, dans deux mois, son fauteuil à Baabda. Contrairement à leurs compatriotes opposants, qui ont vu dans la visite du chef de la diplomatie syrienne une sorte de « consolation » accordée au président Lahoud et dénuée de tout contenu ou signifiant politiques. La source précitée voit une autre explication à tout ce ramdam. Se basant sur les rumeurs « persistantes », selon elle, d’« une volonté syrienne de remplacer Rafic Hariri au Sérail », elle rappelle la formation précipitée et paniquée (les chars US encerclaient Bagdad) du deuxième cabinet Hariri du mandat Lahoud. Et retrouve aujourd’hui cette même panique, cette même « impulsivité ». Sans compter le discours syrien on et off the records, qui insiste sur la nécessaire stabilité sécuritaire libanaise, indispensable à un éventuel boom des investissements (dans les deux pays). Comme un écho au discours lahoudien il y a quelques jours, au cours de la fête de l’Armée. Troisième hypothèse – la plus vraisemblable : les convocations syriennes et la visite de Farouk el-Chareh sont des réactions naturelles, des réponses instinctives à l’étalage américain, aux incessants appels US au retrait syrien du Liban (et au désarmement du Hezbollah), trois mois après l’entrée en vigueur des sanctions imposées par Washington à Damas, et à dix jours de la reprise des pourparlers syro-US à Rome. Des pourparlers au cœur desquels la présidentielle libanaise se taillera sans aucun doute, pour mille et une raisons, la part du lion. Le leitmotiv US, amplifié en juin par des déclarations communes franco-américaines au plus haut niveau (on dit que les convergences de Jacques Chirac et de George W. Bush à propos du Liban sont particulièrement solides), a été repris hier, dans un entretien avec le quotidien an-Nahar et après ses déclarations à la LBCI, par l’ambassadeur américain sortant. « Il est temps que l’armée syrienne se retire du Liban », a dit Vincent Battle. Quelques jours après qu’une délégation de congressmen américains eut estimé, par la voix de Christopher Shays, que « dix ans après l’accord de Taëf, et après le retrait des troupes israéliennes, les forces syriennes devraient pouvoir également s’en retirer, et permettre aux Libanais d’assurer leur propre sécurité ». Et même si, malgré la clarté des propos US et les décibels rarement atteints, la délégation US a été ensuite reçue le plus normalement du monde à Damas. Où elle a certes, comparé à Beyrouth, baissé sensiblement le ton. Il n’en reste pas moins que tout cela ne doit pas cacher l’essentiel. Qu’à dix jours de la réunion romaine, entre convocations expresses, visites solennelles à Baabda et déclaration agressives, c’est à un véritable « bras de fer entre Anjar et Awkar » (pour reprendre la décisive formule de la source précitée) que les Libanais assistent depuis plusieurs jours. En direct de Beyrouth. Des Libanais dont la très grande majorité, sensible aux réalisations comme aux ratages de l’ensemble des dirigeants actuels, a compris qu’il ne fallait rien attendre de personne, et qui ne souhaite qu’une chose : que la Constitution soit respectée, l’accord de Taëf appliqué, et l’État de droit consacré. Ziyad MAKHOUL
Il a d’abord suffi que deux Premiers ministrables de poids, Sélim Hoss et Négib Mikati, soient invités ex abrupto, samedi en milieu d’après-midi, à se rendre dès potron-minet, le lendemain, au palais des Mouhajerine pour un tête-à-tête dominical avec le président syrien, Bachar el-Assad, pour que le landernau local sorte de son gentil ronron de campagnes présidentielles...