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Actualités - REPORTAGE

Zoom - Il a été président des étudiants kataëb entre 1968 et 1970 Karim Pakradouni, le réformisme au cœur de la scène estudiantine(photos)

Il passe pour être « l’homme-paradoxe » par excellence, par-delà toute optique kierkegaardienne. En effet, l’approche par binômes est déroutante dès lors qu’il s’agit de l’appliquer à Karim Pakradouni, sur qui porte le portrait « zoom » de cette semaine. Pourtant, au fil de l’itinéraire estudiantin (au sein du parti Kataëb) de M. Pakradouni, beaucoup d’inconnues tombent, et l’on découvre les multiples facettes du personnage, qui convergent, en fin de compte, vers une certaine cohérence dans l’itinéraire – contrairement à ce que beaucoup croient. Avec Karim Pakradouni, c’est toute l’histoire du mouvement estudiantin qui défile, du début des années 60, temps fort des luttes idéologiques dans un monde en pleine décolonisation, à la fièvre contestataire de mai 68, axée sur les idées de justice sociale et de révolution dans l’enseignement, à travers notamment les idées de Pierre Bourdieu. Puis, nettement moins heureux, l’après-69 au Liban, et les débuts politiques de l’affrontement entre la droite libanaise et les forces propalestiniennes, un avant-goût de la guerre de 1975. « Cette période était caractérisée par les mouvements idéologiques, et, partant, par beaucoup de romantisme. Il y avait des partis de masse organisés au niveau estudiantin et un clivage global entre la gauche et la droite, avec beaucoup de pluralisme à l’intérieur de chacun des camps : une multitude de formations à l’intérieur de la gauche et de la droite. Tout cela a créé un cadre de luttes pour les étudiants », se souvient M. Pakradouni. « Il y avait, à l’intérieur de la droite, une partie conservatrice et une partie réformiste. Au sein du Service des étudiants kataëb (SEK) et du Front libanais, nous représentions la gauche. De l’autre côté, il y avait une gauche révolutionnaire, une gauche palestinienne, une gauche communiste et une gauche réformiste – notamment avec Kamal Joumblatt et le PSP. Il y avait des accords sur deux points entre nous. Cette période était d’abord un moment de prise de conscience au niveau social, à la suite d’une étude, initiée par Fouad Chéhab, sur le développement global au Liban, présentée par l’Irfed (présidée par le père Lebré). Nous avons découvert que 4 % de la population avait 50 % de la richesse nationale ! Par conséquent, une lutte commune devait porter sur la notion de justice sociale, et, dans ce cadre, la lutte aux côtés de la CGTL était une constante. Les étudiants constituaient une force beaucoup plus importante que la force syndicale et ouvrière », affirme-t-il. « Le deuxième point de rencontre était la démocratie de l’enseignement (gratuité de l’enseignement, savoir pour tous) et la participation des étudiants au niveau universitaire (notamment après 68). La bataille qui nous a valu le plus de manifestations, c’était l’Université libanaise. Nous réclamions à l’époque les facultés de sciences appliquées, qui n’existaient pas (notamment les facultés d’agronomie, de médecine et de génie), avec au moins une manifestation pour chaque faculté », indique-t-il. Un parcours qui remonte à 1959 Le parcours de Karim Pakradouni commence au parti Kataëb en 1959. « À la suite de la crise de 1958, les chrétiens ont senti que si l’armée venait un jour à s’effondrer, le parti pourrait nous défendre. Il y a donc eu un mouvement de masse qui a entraîné les jeunes vers le parti – et nous avons fait partie du lot », explique-t-il. En 1960, il y a eu une décision de dissoudre l’Organisation des jeunes et de la remplacer par le SEK, réforme qui a été confiée à Joseph Abou Khalil. Sur la scène estudiantine – à l’époque, le jeune Pakradouni poursuit encore ses études scolaires – il y avait déjà Ibrahim Najjar, Élie Karamé et Chaker Aoun. Lui-même a été recruté par Chaker Aoun. Promotion 1962 du Collège Notre-Dame de Jamhour, le chef du parti Kataëb rappelle qu’il « y avait déjà, en 62-63, une cellule importante à Jamhour ». Cellule qui comptait, entre autres, outre M. Pakradouni, Amine Gemayel, Chaker Aoun, ou encore Robert Ghanem (l’actuel député). À la faculté de droit de l’Université Saint-Joseph (USJ), où il s’inscrit pour faire ses études, Karim Pakradouni côtoie Amine Gemayel, Chaker Aoun, puis Antoine Chader. À la faculté de médecine, il y avait, à la même époque, Fouad el-Metni et Élie Karamé, se souvient-il. « Nous avons noyauté fortement les facultés de droit et la faculté de médecine, dans toutes ses ramifications », dit-il. En 1962, à l’issue du premier congrès des étudiants kataëb, Ibrahim Najjar est nommé à la tête du SEK. Lui succéderont, au fil des années et jusqu’en 1975, Élie Karamé, Antoine Chader, Karim Pakradouni, Khalil Nader, Michel Samaha, Émile Farah, puis Louis Honeïné. Entre 1962 et 1968, M. Pakradouni est secrétaire général du SEK. Il est ensuite élu par les étudiants – une première au sein du parti Kataëb – en 1968, jusqu’en 1970, à la tête du SEK. À l’époque, le SEK joue un rôle important sur la scène politique. Il s’agit de l’aile active du parti, et elle ne suit pas toujours les directives de la hiérarchie. Karim Pakradouni rappelle, à titre d’exemple, que les étudiants défiaient toujours l’interdiction de manifester proclamée par le ministre de l’Intérieur qui, en ce temps-là, n’était autre que... Pierre Gemayel. En 1969, il est nommé, à titre d’observateur, membre du bureau politique du parti. Il prône à l’époque une participation active des étudiants dans les décisions de la hiérarchie. « C’était très important, dans la mesure où chaque président du SEK, depuis, est membre du bureau politique », précise-t-il. Entre Béchir et Arafat Les années 1968, 1969 et 1970 ont constitué l’âge d’or du SEK et du mouvement estudiantin, estime Karim Pakradouni, qui évoque l’expérience de l’Unul (Union nationale des universitaires libanais), fondée en 1960, et qui regroupe toutes les facultés de l’USJ, les facultés de l’AUB, celles de l’Université arabe, et La Sagesse. Les élections se déroulaient par université, puis chaque amicale déléguait un représentant à l’Unul, et l’ensemble de ces représentants, formant le comité de l’Unul, élisait un président. La rivalité opposait surtout les Kataëb et les communistes, indique M. Pakradouni, évoquant certains noms qui se sont illustrés durant cette période : Nabih Chartouny, Élie Karamé, Camille Ziadé ou encore Fouad el-Metni. À partir de 68, affirme-t-il, les manifestations ont cessé de porter sur la question sociale et sur l’enseignement. Le clivage s’est déplacé, portant progressivement sur la question palestinienne. « Il y avait les défenseurs de la liberté de la lutte armée des fedayin contre Israël et les défenseurs de l’armée. Le premier débat estudiantin entre la gauche et la droite s’est déroulé à l’époque à L’Orient, en 1968. Il y avait Samir Frangié, Béchir Gemayel, Amine Maalouf et moi. C’est là que le clivage est clairement apparu », se souvient Pakradouni. « Après cela, il y a eu cette manifestation commune en 1969 entre la gauche et la droite pour l’Université libanaise. Tout se déroulait calmement, et puis, soudain, quelqu’un a brandi un calicot en faveur de la liberté d’action palestinienne. Le conflit a éclaté. J’ai réalisé que le mouvement de gauche était complètement noyauté par les Palestiniens. J’ai voulu mener des discussions avec la Fédération des étudiants palestiniens. Ils disaient que nous ne comprenions pas leur combat, que les armées arabes étaient finies depuis 1967, que les régimes arabes ne valaient pas un sou... », dit-il. Mais cette amorce de dialogue avec les Palestiniens n’est pas bien perçue au sein des Kataëb, notamment par Béchir Gemayel qui, à cette époque, était à la tête des universitaires (Karim, lui, était président du SEK, qui regroupait les scolaires et les universitaires. Il avait 24 ans). « Béchir avait ses camarades à l’AUB : Abdallah Bou Habib, Alfred Madi. Moi j’avais les miens à l’USJ et à l’UL, comme Michel Samaha. Il y avait un conflit entre nous. Le SEK s’est divisé. Béchir et l’AUB étaient hostiles au dialogue, ce qui n’était pas le cas de l’USJ et de l’UL. Nous avons voté, et le dialogue s’est poursuivi. Puis le président de la Fédération des étudiants palestiniens m’a adressé, en 1969, une invitation pour rencontrer Yasser Arafat, qui était à Amman à l’époque. J’ai posé le problème au SEK. Béchir était contre. Le cadre de cette visite dépassait le SEK, nous avons aussitôt consulté le bureau politique, lequel s’est opposé à cette initiative. Le SEK a refusé de se plier aux injonctions du bureau, et nous avons été à Amman, où Arafat a plaidé pour une ouverture de plusieurs fronts arabes, selon la théorie du foco guerillero. À notre retour, nous avons été déférés devant l’instance disciplinaire du parti. Mais la procédure a été arrêtée à la suite de l’enlèvement de Béchir et de Abdo Chakhtoura, l’un des leaders estudiantins de l’époque, par des Palestiniens à Tall el-Zaatar. Je suis entré en contact avec Arafat, et lui ai dit que c’était là une occasion de prouver qu’il respectait effectivement la souveraineté libanaise. À la suite de tout cela, les deux hommes ont été libérés », raconte Pakradouni. Il évoque ensuite la politisation, la désidéologisation, et donc l’effritement du mouvement estudiantin sur font de crise libano-palestinienne. « C’était la sécurité du Liban contre la sacro-sainte question palestinienne », rappelle-t-il. Avec, en toile de fond, le débat sur le système libanais, le libéralisme ou le socialisme, le pacte, la vocation du pays... Conclusions Karim Pakradouni évoque rapidement le parcours d’Amine Gemayel, qui, sitôt les études universitaires terminées (1966), s’est tourné vers le Metn, avant de devenir député en 1970. À l’opposé, Béchir est resté dans les cercles estudiantins de 1965 à 1972, avant de se consacrer au « service d’ordre » du parti, vers lequel il a drainé la jeunesse. Puis, en 1973, se souvient M. Pakradouni, le président Frangié affirme à MM. Pierre Gemayel et Camille Chamoun qu’ils ne peuvent plus compter sur l’armée face aux Palestiniens, et qu’ils devront compter sur eux-mêmes. « Cheikh Pierre est retourné, il a réuni dix membres du bureau, et nous a dit que nous devions nous défendre. Nous tous avons décidé de transformer le service d’ordre en milice et d’inciter les jeunes à subir un entraînement militaire. C’est là où l’on s’est retrouvé avec Béchir, après des années de conflits sur la gestion des étudiants, ajoute-t-il. Mais la dynamique estudiantine, il fallait la briser, de facto. C’était désormais la guerre. » M. Pakradouni estime qu’il y a eu trois réalisations essentielles durant ces années : « – La création d’une conscience sociale chez les chrétiens, surtout chez les Kataëb, parce que le Bloc national et le PNL représentaient plus la bourgeoisie. – Le renforcement de l’école publique et de l’UL, et la diffusion du concept de l’éducation pour tous. Avant, les chrétiens n’allaient pas à l’école publique. – La création d’un élan important, réformiste, à l’intérieur du parti, sans lequel les Kataëb n’auraient pas joué ce rôle. Nous avons proposé le personnalisme de Mounier contre Marx. Dans la droite, qui est généralement rigide, nous avons créé un mouvement important de réforme. Et celui qui a le plus symbolisé cette tendance réformiste, étrangément, à la fin, c’était Béchir. » Concernant la scène estudiantine actuelle, M. Pakradouni estime qu’elle est plongée dans les slogans et qu’elle manque d’encadrement et de structuration, même si l’esprit de changement existe toujours. « Pour passer à l’action, il faut structurer. Mais le Liban ne peut exister sans sa force estudiantine », conclut-il. M.H.G.

Il passe pour être « l’homme-paradoxe » par excellence, par-delà toute optique kierkegaardienne. En effet, l’approche par binômes est déroutante dès lors qu’il s’agit de l’appliquer à Karim Pakradouni, sur qui porte le portrait « zoom » de cette semaine. Pourtant, au fil de l’itinéraire estudiantin (au sein du parti Kataëb) de M. Pakradouni, beaucoup...