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Actualités - REPORTAGE

Ce qu’ils en pensent - AFFAIRE AL-MANAR

À l’heure où l’Ordre des journalistes vient de réélire son président et l’ensemble du conseil pour un nouveau mandat, les médias libanais et arabes sont confrontés à un nouveau problème, la suspension provisoire de la diffusion de la chaîne du Hezbollah, al-Manar, en France, en attendant l’avis du Conseil d’État français, annoncé pour le 20 août. Cette action en justice fait suite à la plainte déposée par le Conseil supérieur de l’audiovisuel contre la chaîne. Au Liban, une vaste campagne de solidarité avec al-Manar, menée par le Conseil national de l’audiovisuel, a été lancée. Nous avons demandé à M. Abdel Hadi Mahfouz, président du CNA, ce qu’il en pense. Abdel Hadi Mahfouz, président du CNA Q : Que pouvez-vous faire pour aider al-Manar et éviter son interdiction en France ? R : « Il n’y a pas encore d’interdiction. L’affaire est devant le Conseil d’État français qui doit rendre un avis le 20 août. Nous avons pleinement confiance dans la justice française et dans le fait que la France est un pays de droit et un foyer pour les libertés et le respect des principes démocratiques. Nous tentons d’expliquer que la chaîne al-Manar respecte la loi libanaise 382/94, elle-même inspirée de la loi française. De toute façon, la plainte émane d’institutions juives, notamment le CRIF, et accuse la chaîne du Hezbollah d’antisémitisme, alors que Sharon lui-même, il n’y a pas si longtemps encore, accusait la France d’être antisémite et appelait les juifs de France à se rendre en Israël. Il faut aussi ajouter que la justice française a eu plusieurs affaires d’antisémitisme à traiter et elle a souvent rejeté les plaintes, après avoir mené ses propres investigations. Il faut donc lui laisser le temps d’étudier le cas d’al-Manar, en sachant que la chaîne est prête à se conformer aux exigences de la loi française et à présenter une demande dans les règles. » Q : Mais cette solidarité reste de pure forme. Ne comptez-vous pas envoyer une délégation en France, mener une véritable campagne en faveur d’al-Manar ? R : « Nous ne nous contentons pas d’un appui de pure forme. Nous avons préparé une note que nous comptons remettre à l’ambassade de France à Beyrouth. De plus, un membre du CNA, Hassan Hamadé, a été envoyé en France pour défendre sur place la cause d’al-Manar. Il a déjà entrepris des contacts avec des responsables et des représentants des médias français. De même, le ministère des Affaires étrangères libanais a envoyé une note au Quai d’Orsay et le président de l’association des correspondants arabes en France, Élie Masbounji, entame de son côté une action en ce sens. Enfin, une commission présidée par le père Michel Lenon, chargé par le Vatican du dialogue islamo-chrétien, cherche à expliquer le cas d’al-Manar. Tout cela pour dire que tous les moyens sont mobilisés pour aider la chaîne, tout en sachant que le Liban ne fera pas de cette affaire un problème avec la France, et les responsables d’al-Manar ont eux-mêmes émis un souhait en ce sens. Toutefois, nous misons sur l’attachement de la France aux libertés et aux valeurs démocratiques et nous sommes confiants dans l’avenir. Demain, jeudi, une rencontre de solidarité avec la chaîne est organisée à Beyrouth, pour aussi montrer à la France que tous les médias libanais se sentent concernés par cette affaire. » Q : Si une autre chaîne qu’al-Manar avait eu ces problèmes, auriez-vous réagi de la même manière ? R : « Évidemment. De toute façon, nous pensons que le problème dépasse al-Manar pour toucher tous les médias arabes. Voyez ce qui se passe avec al-Jazira et al-Arabiya aux États-Unis. Déjà, al-Jazira vient d’être suspendue en Irak. Nous sommes évidemment contre cette décision. » Q : Vous ne vous êtes pourtant pas violemment opposés à la fermeture de la MTV au Liban ? R : « C’était une autre affaire. Nous avons été les premiers à attirer l’attention du propriétaire de la chaîne sur le fait que ses agissements sont en violation de la loi électorale. À partir de là, l’affaire ne relevait plus de notre compétence, mais de celle de la justice. Le propriétaire de la chaîne a préféré mener une bataille électorale à partir de sa télé. Nous aurions certes préféré que la sanction n’atteigne pas la fermeture totale et définitive, et nous avons demandé un amendement de la loi dans ce but. Mais nos prérogatives ne nous permettent pas d’aller plus loin. Et puis, dans notre conception, l’information ne peut être mise au service d’un homme et de ses intérêts. » Q : Tous les médias étrangers s’installent désormais à Dubaï. N’est-ce pas le Liban qui aurait dû les accueillir, s’il y avait plus de liberté de presse ? R : « Il y a une grande liberté de presse au Liban. Elle frise même le désordre. Dites-moi dans quel pays de la région le chef de l’État peut être la cible quotidienne de campagnes féroces dans les médias écrits et audiovisuels, sans que ceux-ci soient sanctionnés ? Le Liban reste un paradis pour la liberté de presse. Mais il aurait dû créer une cité des médias comme à Dubaï, pour attirer les journalistes étrangers. Le problème, c’est qu’il n’y a pas une véritable stratégie de la presse au sein de l’État. Nous essayons de leur dire qu’il s’agit là d’une industrie rentable, mais ils ne semblent pas encore convaincus. Et puis, au Liban, le secteur privé qui possède la plupart des médias a des difficultés qui l’empêchent de s’épanouir comme il le devrait. Mais notre pays reste la capitale régionale de la presse écrite. Nous espèrons qu’il le sera aussi pour les médias audiovisuels. » Élie Younès, étudiant en information Q : Que pensez-vous de l’affaire al-Manar et que devrait faire le Liban ? R : « Je ne suis pas vraiment un fan d’al-Manar et je ne regarde pas beaucoup cette chaîne qui me paraît très idéologique. Mais je suis quand même choqué par l’attitude de la France. Pour un pays des libertés qui a vu naître les grands principes de la démocratie, c’est quand même une attitude inexpliquée. Avant d’interdire, il faut donner une chance à la chaîne pour qu’elle puisse se conformer aux critères européens. L’interdiction ne devrait être qu’un dernier recours. C’est en tout cas ce que nous réclamons au Liban. Il n’y a aucune raison de tolérer ces mesures de la part de pays que nous prenons pour modèle. Et puis, en agissant ainsi, la France politise l’affaire et transforme al-Manar en victime... C’est quand même dommage. » Scarlett HADDAD

À l’heure où l’Ordre des journalistes vient de réélire son président et l’ensemble du conseil pour un nouveau mandat, les médias libanais et arabes sont confrontés à un nouveau problème, la suspension provisoire de la diffusion de la chaîne du Hezbollah, al-Manar, en France, en attendant l’avis du Conseil d’État français, annoncé pour le 20 août. Cette action...