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Actualités - OPINION

L’ÉDITORIAL de Issa GORAIEB Les faux prophètes

Les sanglantes agressions de dimanche dernier contre des églises de Bagdad et Mossoul viennent d’élargir de la plus inquiétante des manières le spectre des cibles que s’est assignées un terrorisme d’autant plus odieux qu’il se présente comme l’instrument de la volonté céleste. Après les attentats contre les troupes d’occupation américaines, après ceux visant des officiels ou des policiers irakiens, c’est à des objectifs plus vulnérables, dits « mous », que s’attaquent depuis quelque temps ces cerveaux malades : des passants innocents fauchés en masse par l’explosion de quelque voiture piégée et, maintenant, des chrétiens très précisément visés dans leurs lieux de culte. Ils ne pèsent pas lourd par le nombre, les 700 000 chrétiens d’Irak, qui ne représentent en effet que 3 % de la population. Ils ne sont pas ignorés pour autant : pour bien le montrer, Saddam Hussein brandissait volontiers le cas de son inamovible vice-Premier ministre Tarek Aziz. Aujourd’hui de même, les chrétiens d’Irak ne sont guère oubliés : ils ont été associés aux divers organismes mis en place après la chute du régime baassiste, et l’actuel gouvernement d’Iyad Allaoui compte une ministre chrétienne. Ce qui a changé toutefois, c’est que le pays est passé sans transition d’une cruelle dictature au plus effroyable des chaos et qu’il n’y existe plus d’autorité effective capable de protéger les minorités (ou même les majorités !). Ce sont deux vents de folie, antagonistes certes mais s’alimentant objectivement l’un l’autre, qui, depuis plus d’un an, soufflent sur l’Irak, n’épargnant pas la région tout entière de leurs bourrasques. Folie américaine, en effet, que d’avoir entrepris une invasion reposant sur des mensonges et de faux calculs ; folie plus grande encore que de prétendre démocratiser le monde arabo-musulman en se l’aliénant par une partialité absolument sans précédent en faveur d’Israël, favorisée, sinon imposée, de surcroît par les intégristes chrétiens dont s’inspire George W. Bush. Et folie furieuse, enragée, forcenée que celle qui porte Ben Laden, Zarqaoui et consorts à pousser jusqu’à sa monstrueuse perfection le terrorisme aveugle, à tirer sans pitié sur tout ce qui bouge. Ou qui bouge si peu en vérité, tels les chrétiens d’Irak. L’alarmant écho des explosions de Bagdad et Mossoul n’a pu qu’être entendu partout où vivent ces 13 millions de chrétiens d’Orient, que semble poursuivre une double malédiction. Assurément Arabes mais attachés à leur différence, ils sont les plus ouverts aux idéaux de démocratie forcément venus d’Occident ; ils sont souvent voués dès lors à la suspicion des États, laquelle se trouve enrobée, dans la meilleure des hypothèses, d’une bienveillante protection ; et comme si cela n’était pas assez acrobatique déjà, les erreurs des puissances viennent aggraver quelquefois l’ambiguïté de leur situation. Éloquente à cet égard est celle des coptes d’Égypte, la communauté chrétienne la plus nombreuse de cette partie du monde : ils sont près de 7 millions, soit près de 10 % de la population. Ils contrôlent 20 % du secteur économique, mais occupent moins de deux pour cent des fonctions administratives, et leurs représentants au Parlement – désignés et non librement élus – se comptent sur les doigts de la main. Bien qu’ayant pris part à la lutte anti-coloniale, ils ont été plus que d’autres pénalisés par les nationalisations sous Nasser. Sous Anouar Sadate qui a choyé les islamistes avant de périr par leur main, les coptes ont été en butte à des agressions qui ont parfois tourné au pogrom. Les incidents n’ont pas manqué sous le régime Moubarak, et les coptes continuent de souffrir de discriminations diverses. C’est dire que les guerres du Proche et du Moyen-Orient – la Palestine, le Liban, le conflit à tiroirs du Golfe – ne peuvent expliquer à elles seules l’exode des chrétiens d’Orient qui se poursuit sans discontinuer depuis des décennies. En clair, et plus que jamais en ces temps de folie, c’est aux Arabes eux-mêmes et non aux puissances étrangères qu’il appartient de rasséréner, de sécuriser une de leurs composantes les plus précieuses. Pays message selon la formule du pape, le Liban a été unanime à condamner vigoureusement les attentats de dimanche, et plus d’une capitale arabe a réagi. Mais il ne suffit guère de condamner. « L’hémorragie humaine doit cesser, les Arabes chrétiens doivent rester, nous voulons qu’ils restent. Les chrétiens enrichissent le tissu social arabe. Leur présence est une garantie contre l’arbitraire, l’extrémisme et la violence. C’est la meilleure réponse, pas seulement en paroles, mais en actes, aux principes israéliens de religion d’État. C’est un choix nécessaire pour s’engager sur la voie d’une démocratie de raison, de justice, de liberté, d’innovation. » (*) Ces mots ne sont pas de Jean-Paul II, du pape Chenouda ou du patriarche Sfeir comme on pourrait le croire, mais d’un prince, dans toute la noble acception du terme. Qui plus est, ce prince de la claivoyance est natif d’un royaume que fonda son propre père : royaume dont la religion d’État est l’islam. Et qui, jusqu’à ce jour, ne tolère pas le moindre clocher sur son sol. C’est bien cela que d’être un prince. (*) : article de l’émir Talal ben Abdel-Aziz al-Saoud, paru dans « an-Nahar » le 29 janvier 2002.

Les sanglantes agressions de dimanche dernier contre des églises de Bagdad et Mossoul viennent d’élargir de la plus inquiétante des manières le spectre des cibles que s’est assignées un terrorisme d’autant plus odieux qu’il se présente comme l’instrument de la volonté céleste. Après les attentats contre les troupes d’occupation américaines, après ceux visant...