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Actualités - OPINION

EN DENTS DE SCIE Constitution Barbie

Trente et unième semaine de 2004. « Je préfère ne pas répondre à cette question parce que c’est une affaire effectivement délicate », a dit Rafic Hariri, mercredi dernier à Sanaa, interrogé par des journalistes sur son opposition à la reconduction du mandat d’Émile Lahoud. Sensible, douillette, fragile, épineuse, complexe, difficile, névralgique... Quel que soit l’épithète, l’affaire est indubitablement délicate ; le Premier ministre a touché dans le mille. Délicate donc, mais pas vraiment à cause de l’inimitié épique et castratrice entre les deux pôles de l’Exécutif. Ni à cause de la douloureuse équation libanaise qui veut que le tuteur syrien soit l’incontournable et premier grand électeur de l’échéance automnale. Pas à cause, non plus, des guéguerres de tranchées que cette prorogation virtuelle génère entre les différents clans, avec toutes les répercussions sismiques corollaires sur l’équilibre politico-communautaire libanais, bancal, vulnérable à la base. Pas à cause, enfin, des étalages musculaires, médiatiques et financiers des pro comme des anti-reconduction. Non. Si cette reconduction en question est une affaire définitivement délicate, c’est d’abord et surtout parce qu’elle touche au cœur du système libanais, parce qu’elle risque de pervertir son fondement : sa Constitution. En habillant et déshabillant la loi fondamentale comme on le ferait avec une poupée de cire, de son ou de chiffon ; en la charcutant sans raison valable, sans consensus national, en plein sprint électoral final ; en la modelant, une nouvelle fois, comme on le ferait avec un tas informe d’argile, à la taille exacte d’un seul homme – quel qu’il soit –, on décuplerait sans doute aucun, en parfaits apprentis-sorciers, les dangers de créer un incontrôlable Golem – cet automate de cinéma réinventé en 1920 par Carl Boese et Paul Wegener à des fins pacifiques mais qui se transforme en démon sanguinaire, un fléau que seul le sourire d’une petite fille attendrira. La Constitution, née à Taëf d’un accord censé avoir mis fin à des années de déchirements internes et dont l’application est religieusement et régulièrement exigée par la très grosse majorité des Libanais (même si d’aucuns, à l’instar du scintillant Jean Salem, préviennent inlassablement contre le péril, et non des moindres, de devoir gérer une identité libanaise confisquée, et que cet accord garde au chaud en son giron), cette Constitution reste, bon gré, mal gré, un rempart, un ciment, un garde-fou, un pilier. L’amender à des fins personnelles, en un moment ordinaire, reviendrait à fragiliser davantage le fil de plus en plus rachitique qui relie un Libanais à l’autre, à dynamiter, une énième fois, l’essence de cette exception culturelle en terres arabes, aussi bancale fût-elle, qu’est la démocratie libanaise. Sans compter le camouflet retentissant qu’une éventuelle reconduction infligerait à ce sacro-saint principe que seul un suffrage, quel que soit sa nature, peut (et doit) assurer : l’alternance. Trente et unième semaine de 2004. Le respect de la Constitution est à même de provoquer – plusieurs mois avant l’indispensable loi électorale capable d’accoucher, au printemps 2005, d’un Parlement réellement représentatif – un sérieux électrochoc dont l’immédiat bénéficiaire serait les relations entre Damas et les Libanais. Encore faut-il que la volonté de Bachar el-Assad de voir les Libanais décider eux-mêmes, par le biais de leurs élus, du prochain locataire du palais de Baabda, se concrétise réellement à partir de septembre. Sachant parfaitement qu’une partie plus que considérable de ces élus, pour une fois en harmonie avec leurs compatriotes, n’ont pas manqué de rappeler la sacralité de la Constitution. Et la nécessaire sympathie (qui doit rimer avec fermeté) du successeur d’Émile Lahoud à l’encontre de la Syrie. Justement. Si la question de la reconduction est « une affaire effectivement délicate », c’est enfin parce que le douzième président de la République libanaise depuis l’indépendance devrait, naturellement, évidemment, être un président de transition, que seule une Constitution sacralisée peut appeler pour diriger une République exsangue et malade. L’Histoire, le bon sens, le temps, l’heure, la conjoncture, le veulent. Un président de transition, donc, capable à la fois de réveiller et de féderer l’ensemble des Libanais, et de rassurer le Syrien. Trente et unième semaine de 2004. John Kerry, à Boston : « Nous pouvons bâtir une Amérique plus forte à l’intérieur et respectée à l’extérieur. J’ai beaucoup appris sur les valeurs américaines en naviguant sur le Mékong avec des compagnons d’armes de tous bords et de toutes les régions. C’est de cette Amérique que je voudrais être président. Celle où nous sommes tous sur un même bateau. » Si elle peut parfois être synonyme de pire, l’alternance n’est que la promesse d’un espoir, d’un mieux, lorsque, en harmonie avec la Constitution de son pays, un peuple choisit. Ziyad MAKHOUL
Trente et unième semaine de 2004.
« Je préfère ne pas répondre à cette question parce que c’est une affaire effectivement délicate », a dit Rafic Hariri, mercredi dernier à Sanaa, interrogé par des journalistes sur son opposition à la reconduction du mandat d’Émile Lahoud.
Sensible, douillette, fragile, épineuse, complexe, difficile, névralgique... Quel que soit...