Rechercher
Rechercher

Actualités - ANALYSE

ANALYSE - Décentralisation bloquée et obsession consensuelle : des municipales au rabais Pour la démocratie, c’est partie remise

«Aux municipales, il n’y a pas de candidats d’opposition. Tout le monde est censé être proche de l’État, parce qu’en fin de compte, les conseils municipaux en font partie et, doivent, de ce fait, travailler avec le ministère de l’Intérieur. » Voilà ce que déclarait – sans rougir – il y a quelques jours une tête de liste dans un gros bourg du Mont-Liban. Pour édifiants qu’ils soient, ces propos sont en eux-mêmes plutôt banals, dans la mesure où ils n’expriment qu’un certain « pragmatisme », voire une résignation de la part d’un candidat du cru qui veut tout simplement « faire avec », n’ayant ni l’envie de potasser Montesquieu ni l’intention de prendre sa bourgade pour un canton suisse. Ce qu’à l’évidence elle n’est pas. Il n’empêche : même pour un familier des mœurs politiques libanaises, entendre en 2004 un discours d’une telle primitivité, bombardé en « prime time » à la télévision ; constater, par-dessus le marché, qu’il s’intègre bien au climat général de la campagne électorale et ne suscite aucune réplique, pousse à s’interroger sérieusement sur les chances qu’a ce pays de rencontrer un jour la démocratie. Pour notre vaillant candidat, l’équation est donc très simple : les conseils municipaux sont la propriété du ministère de l’Intérieur, lequel est lui-même le bien du ministre en titre. Dans ce contexte, qui a besoin d’une opposition ? Qu’en son for intérieur, l’intéressé – le ministre – partage ou non cette opinion compte finalement peu. D’ailleurs, il se pourrait très bien qu’il ait sur la question un point de vue plus nuancé. Mais qu’à cela ne tienne : les armées de courtisans serviles qu’on se prépare à loger dans les hôtels de ville se feront un plaisir d’effacer les nuances. Car enfin, il n’est pas besoin d’avoir lu Montesquieu ou Jean-Jacques pour deviner que le noble programme défendu par notre quidam tient en un seul mot : servilité. Cela étant dit, il faut pourtant reconnaître que sous l’angle de la gestion municipale – censée être le principal enjeu de ce type de scrutin – notre homme a raison. Parfaitement. Même s’il ne sait pas pourquoi. Le fait est là, indéniable : en l’absence d’une loi moderne sur la décentralisation, il est illusoire de croire en une gestion indépendante et efficace de nos villes et villages, qu’elle soit de droite, de gauche, du centre, ou d’ailleurs. Pis encore : en l’absence de volonté politique d’aller vers cette décentralisation, pourtant prévue par Taëf, il n’est pas d’initiative locale possible, donc pas de véritable démocratie. Des États à forte tradition jacobine, y compris la France, ont commencé il y a quelques décennies déjà à se rendre compte de cette évidence démocratique qu’est la libération des dynamismes locaux, après les avoir longtemps combattus au motif qu’ils sont des obstacles à l’intégration nationale. Or ce qui vaut pour la France vaut doublement pour le Liban dans la mesure où, chez nous, le jacobinisme importé s’est plaqué sur une réalité tenace, faite essentiellement de clientélisme, et s’est donc dévoyé, perdant du coup les vertus intégratrices qui sont sa raison d’être. À ce tableau, il convient d’ajouter, ou plutôt d’y singulariser un élément essentiel, dont la particularité est d’être très concret : il s’agit de l’argent des municipalités. Avec les moyens dérisoires concédés à ces dernières – on a pu s’en rendre compte ces six dernières années – quelle crédibilité espère-t-on tirer du discours sur les enjeux techniques du scrutin ? La situation est dramatique à un point qu’elle fait apparaître comme une mauvaise farce le classique débat opposant les tenants d’une politisation des élections à ceux qui (pour des raisons politiques) prétendent mettre en relief leur caractère purement gestionnaire. Faute d’une matière à gérer pour nos édiles de demain, l’échéance électorale qui commence dimanche 2 mai est donc par avance dépouillée de sa signification première. L’évolution de la campagne électorale a abouti jusqu’ici à ce que la seconde, c’est-à-dire l’enjeu politique, le soit aussi. Qui dit élections dit politique, envoi de signaux, possibilité d’alternance. Aux municipales, comme aux législatives (la présidentielle est une toute autre histoire), le comportement des principaux acteurs, locaux comme extérieurs, obéit au moins depuis 1992 à une constante : la parodie, pire, le déni d’élections. On comprend parfaitement que dans certaines régions du pays, notamment celles qui ont été touchées par des massacres et des exodes massifs, les impératifs du retour imposent de recourir provisoirement à la logique consensuelle, la priorité absolue devant être donnée à la reconstruction et la réconciliation. Sauf à estimer que le Liban devra rester à jamais un Kfarnabrakh béant, on ne voit pas pourquoi la même obsession du consensus préalable devrait s’appliquer à d’autres régions. Pourquoi veut-on à tout prix empêcher les chiites de choisir entre Amal et le Hezbollah ? Comment espère-t-on impliquer davantage l’électeur beyrouthin après l’écœurant spectacle du vote avant le vote livré ces derniers jours ? Oubliant leur fonction naturelle, qui est de travailler à l’alternance, des partis politiques, dont on est en droit de douter – au moins pour certains d’entre eux – de la représentatitivé dans la capitale, se font les entremetteurs d’une volonté supérieure littéralement obsédée par la nécessité de maintenir l’équilibre entre les piliers du pouvoir. Quand on sait que l’équilibre en question est celui qui régit actuellement le Conseil des ministres, c’est-à-dire l’une des institutions les plus paralysées du pays, on devine sans peine ce que vont être les réunions de nos conseils municipaux. Quatorze ans et quelques consultations électorales après la fin de la guerre, le Liban est plus que jamais traité en convalescent. Un convalescent dont on n’a pas encore guéri le mal. Élie FAYAD
«Aux municipales, il n’y a pas de candidats d’opposition. Tout le monde est censé être proche de l’État, parce qu’en fin de compte, les conseils municipaux en font partie et, doivent, de ce fait, travailler avec le ministère de l’Intérieur. » Voilà ce que déclarait – sans rougir – il y a quelques jours une tête de liste dans un gros bourg du Mont-Liban.
Pour...