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Actualités - CHRONOLOGIE

ENTRETIEN - Le député du Kesrouan-Jbeil dissèque les municipales, la décentralisation et l’opposition pour « L’Orient-Le Jour » Souhaid : Tirons les leçons de cette occasion en or que nous avons ratée (photo)

Lucide jusqu’au bout des ongles. Farès Souhaid est conscient des erreurs commises par son camp comme par lui-même, mais pense que l’opposition doit en tirer les leçons, pour avancer, pour ne plus décevoir tous ceux qui ont placé en elle confiance et espérances. Et parce qu’il semble avoir appris que la conscience seule ne suffit pas, il propose aussi des solutions. Impossible de commencer la rencontre avec Farès Souhaid autrement que par son cheval de bataille, l’un des thèmes majeurs du rapport sur les municipales qu’il avait présenté il y a plusieurs mois à ses camarades de l’opposition (basé sur des batailles électorales nationales regroupant chrétiens et musulmans et qui avait été à peine parcouru par eux du bout des cils) : l’absence totale de la loi sur la décentralisation. « À cause de ce manque cruel de décentralisation, la majorité des conseils municipaux nés en 1998, qui reflétaient dans tous les cazas des courants politiques hétérogènes, sont devenus des petites puissances régionales inféodées au centre du pouvoir : le ministère de l’Intérieur », dénonce-t-il d’emblée, mettant l’accent sur le « clientélisme effarant et remarquable du pouvoir, qui a fait prisonnier, avec de l’argent et du pouvoir, une partie de la société civile ». Cette décentralisation administrative stipulée, imposée par la Constitution de Taëf en 1998 aurait donc dû être mise en relief en 2004, « et la bataille entre le pouvoir et l’opposition devient totalement inutile sans bataille pour l’application de cette loi ». Qui refuse la décentralisation ? Baabda ? Koraytem ? « Le pouvoir dans son ensemble, avide de clientélisme, et qui a trouvé avec cette centralisation à outrance un substitut moins visible et moins indécent aux services de sécurité. Et tout cela est décidé, encouragé, soutenu par les Syriens », répond Farès Souhaid. Et pourquoi KC n’a-t-il pas fait le nécessaire, même s’il était évident que le pouvoir n’allait pas céder, ne serait-ce que pour alerter l’opinion publique ? « Nous avons mis en relief la nécessité de ces deux batailles parallèles : les municipales et la décentralisation. Mais une de nos erreurs, à KC et avec les aounistes, a été ce temps fou que nous avons perdu à essayer de cimenter des coalitions électorales plutôt que de se battre pour la décentralisation », avance-t-il. Le député kesrouanais rappelle d’ailleurs que le document rédigé par Michel Aoun et par lui-même à l’issue de leur entretien parisien d’il y a quelques mois insistait, en seconde et bonne place, sur l’importance de cette décentralisation. « Elle venait juste après l’urgence de la convivialité islamo-chrétienne, de l’image libanaise à donner au monde après la chute de Bagdad et les guerres intercommunautaires, sur le caractère essentiel du principe d’alliance avec les forces musulmanes », précise-t-il. Alors pourquoi KC n’a pas appuyé la candidature de Assem Salam à Beyrouth ? On dit que vous-même n’étiez pas en faveur de cette troisième voie... « Absolument pas. Nous aurions appuyé sans aucun problème et avec beaucoup de conviction une liste présidée par Assem Salam si celui-ci avait pu bénéficier d’un appui sunnite. » On dit aussi que vous ne vouliez pas affaiblir Rafic Hariri, ce qui aurait bien arrangé les affaires d’Émile Lahoud. « Ce n’est pas vrai non plus. » Quelles sont vos relations avec le Premier ministre ? Les rumeurs couraient sur un tête-à-tête entre vous deux il y a quelques semaines. « Encore faux. Quand je vais chez Rafic Hariri, je tiens à être photographié. Il ne m’a rien demandé, nous avons de bons rapports personnels, mais aucune relation politique, aucun intérêt financier », assure-t-il. Et puis invariablement, Farès Souhaid revient à ce qui le taraude très fort et sans répit depuis trois ou quatre mois : la bataille ignorée pour la décentralisation. « Cela aurait pu être le thème essentiel du clivage entre l’opposition et le pouvoir. » C’est la première explication au fait que l’opposition ait raté, avec ces municipales, une occasion en or. La seconde ? « La mauvaise gestion, par KC et par les aounistes, des rencontres de Sodeco. Parce qu’il n’y a pas que le politique dans les municipales. Il y a les familles, les coutumes, l’administration, l’environnement, l’urbanisme, la Croix-Rouge, les urgences des hôpitaux, et j’en passe. Que des thèmes que l’opposition aurait dû porter pour élever le débat et pousser tous les Libanais à aller voter avec un état d’esprit qui ne soit pas celui de 1998. Or, la coalition des forces de l’opposition n’a été obnubilée que par des facteurs exclusivement électoraux. » Sauf que les aounistes ont publié un programme à l’échelle nationale comportant tous ces paramètres évoqués, alors que l’on attendait KC d’abord pour le faire... « Je n’en ai pas entendu parler – un signe que cela n’a pas été suffisamment mis en exergue. Ce qui l’a été par contre, autant chez nous que chez les aounistes, ce sont les volontés ou les refus d’alliances électorales. Nous avons occulté tous ces thèmes essentiels que le pouvoir, de toute manière, ignore royalement. C’est à nous, l’opposition réunie, d’évoquer ces grands thèmes avec les Beyrouthins et les provinciaux, d’organiser des forums de dialogue », regrette le député de Kartaba. Est-ce que ces erreurs sont rattrapables ? « Il faudra attendre les municipales de 2010, à moins que l’on en profite pour faire quelque chose à partir de ce qui se passe actuellement. Même si nous avons raté une occasion en or, même si nous avons perdu la bataille de la décentralisation et peut-être la bataille électorale, le fait d’avoir mis sur le tapis cet aspect de Taëf est une bonne chose. Il faut désormais que les députés sensibilisent l’opinion publique sur l’urgence de la décentralisation, d’autant que dans les deux cas – victoire ou défaite de l’opposition –, les présidents des municipalités seront les sbires du ministre de l’Intérieur, quel qu’il soit. » Il fallait aboutir à l’unité au sein de l’opposition en proposant un programme. Et si cela n’a pas été fait, c’est peut-être à cause des dizaines de chapelles et de courants au sein de KC. « Cette diversité peut être source de richesses. Le problème, c’est la mauvaise gestion. Trois ans après sa création, destinée à assurer l’union interlibanaise, je trouve que KC a acquis une maturité politique certaine. KC a appris de ses erreurs, son discours est plus conciliant. » Au risque de perdre la base chrétienne ? « KC ne veut pas faire dans le populisme, mais créer, lancer des initiatives – comme la politisation des municipales –, etc. » Donc : à KC les initiatives et à Michel Aoun la popularité ? « Ce n’est pas ça. Notre popularité a été à son zénith au moment de la réconciliation de la Montagne. Et ce sont les Syriens, en menaçant Walid Joumblatt, qui ont mis à mal la coalition. Sans compter le silence qu’ils ont imposé à Nabih Berry à la suite de son intervention sur le perron de Bkerké. KC est populaire parce qu’en prenant des initiatives, on pourra redonner des lueurs d’espoir aux Libanais. » Une des craintes majeures de Farès Souhaid est de voir les chrétiens continuer à s’enferrer dans deux tendances, l’une plus illusoire que l’autre. « Entre ceux qui, sous couvert d’opposition à la Syrie, sont assimilés aux projets occidentaux, et ceux qui, sous couvert d’union nationale, s’aplatissent totalement devant la Syrie, nous allons tout droit vers la dépression collective si cela continue », prévient-il, soulignant que la tutelle syrienne est l’une des grandes causes de l’avortement de toute coalition islamo-chrétienne. Il évoque cette frange chrétienne persuadée que la clé de ses déboires se trouve à l’étranger, et cette frange musulmane persuadée que son maintien au pouvoir est dû à des facteurs étrangers. « Sauf que les bonnes solutions viennent de l’intérieur », dit-il. Qui la détient ? KC ? « Il n’y a pas que des séparatistes dans toutes les communautés, il y a aussi des unionistes, et les municipales étaient également une occasion en or pour unir les unionistes, pour renforcer la convivialité islamo-chrétienne », affirme le député. Qui met en garde contre une victoire et une installation confortable du projet sécuritaire voulu par Damas et par le pouvoir actuel « si l’on ne trouve pas un filet de sauvetage islamo-chrétien, avec un islam tel qu’il est, tel qu’il est représenté, et pas l’islam que nous, chrétiens, voulons ». Est-ce que Michel Aoun appuie l’idée de ce filet de sauvetage, à l’instar de « Bkerké, de KC, ou de ces chrétiens qui refusent à la fois un débarquement US à Beyrouth ou une réconciliation syro-américaine au détriment du Liban » ? « Oui. Son alliance avec le Hezbollah à Haret Hreik, quelques mois après son témoignage au Congrès américain en faveur de la Syria Accountability Act, est un signe d’ouverture. Même s’il montre combien l’ancien Premier ministre est gauche avec les musulmans. » Impitoyable, enfin, dès qu’il s’agit de critiquer la politique d’Émile Lahoud, aussi bien que celle de Rafic Hariri, persuadé qu’aucun homme politique libanais ne sera irremplaçable lorsque primera un État de droit et une loi électorale juste et saine, Farès Souhaid souhaiterait Nassib Lahoud ou Samir Frangié à Baabda en novembre prochain. « Mais je parierai que ce sera Michel Eddé. Ou peut-être Georges Frem, ou Jean-Louis Cardahi », dit-il. Avec le sourire. Ziyad MAKHOUL
Lucide jusqu’au bout des ongles. Farès Souhaid est conscient des erreurs commises par son camp comme par lui-même, mais pense que l’opposition doit en tirer les leçons, pour avancer, pour ne plus décevoir tous ceux qui ont placé en elle confiance et espérances. Et parce qu’il semble avoir appris que la conscience seule ne suffit pas, il propose aussi des...