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Actualités - OPINION

Tous otages

Wassef Ali Hassoun, Youssef el-Qardaoui. Quel rapport entre le jeune caporal des Marines originaire du Liban, rescapé présumé d’une extraordinaire épreuve irakienne et l’uléma égypto-qatariote qui effectue en ce moment un séjour des plus tumultueux à Londres ? Aucun, sinon que ces deux affaires sont venues illustrer, chacune à sa manière durant la semaine écoulée, l’ampleur du fossé d’incompréhension séparant cet Est et cet Ouest dont Kipling assurait que « jamais ils ne se rencontreront » : un fossé que se seront évertués à élargir à qui mieux mieux – et chacun à sa manière, pour rester dans la note – le terrorisme islamiste d’el-Qaëda et l’aventurisme bigot de l’Administration US. Car, comme pour le tango, il faut être deux pour que survienne le choc : en l’occurrence celui, tant dénoncé et redouté à la fois, des civilisations. Porté disparu le 19 juin dernier dans le bouillonnant chaudron de Falloujah, Wassef Hassoun n’est réapparu au Liban que jeudi 8 juillet pour être évacué dès hier vers une base américaine d’Allemagne où il subira le classique debriefing. Durant ces trois semaines de suspense, les médias américains, citant le plus souvent des sources du Pentagone, ont évoqué tour à tour un Wassef fugueur séduit peut-être par quelque beauté locale ; un Wassef carrément déserteur car objecteur de conscience ; un Wassef otage, que ses fonctions d’interprète désignaient comme une cible de choix et qui attendait d’être décapité par ses ravisseurs encagoulés ; un Wassef rénégat qui, en échange de sa vie, aurait juré de quitter pour toujours son uniforme. Et pour finir, un Wassef simulateur qui se serait prêté à une savante mise en scène pouvant lui valoir d’être démobilisé. Il reste qu’une fois arrivé on ne sait trop comment au Liban, c’est Hassoun lui-même qui a pris contact avec l’ambassade US pour être récupéré. Dans tous les cas de figure – et là réside le drame – Wassef Ali Hassoun reste l’otage de son audacieux rêve américain. Et avec lui sa famille : celle respectablement installée en Californie ou dans l’Utah et qu’il était allé rejoindre pour gagner étonnamment vite sa citoyenneté US et son intégration aux Marines ; mais aussi sa famille restée au pays et qui, taxée de « collaboration », se trouve menacée, agressée par les forcenés intégristes de sa ville natale Denniyé... * Le cheikh Youssef el-Qardaoui, lui, est un religieux sunnite au prestige et à l’influence considérables. Intégriste ? Absolument, puisque le cheikh égypto-qatariote est un des principaux guides spirituels des Frères musulmans ; homme de doctrine plutôt que d’action, son rôle peut être comparé à celui que joua longtemps, au sein du Hezbollah, le brillant Mohammed Hussein Fadlallah. Mais il est aussi homme de nuances, sinon de contrastes. Interdit de séjour aux États-Unis car soupçonné d’entretenir des liens avec el-Qaëda, le cheikh Youssef al-Qardaoui est pourtant une des sommités musulmanes qui ont condamné avec le plus de clarté et de vigueur les attentats antiaméricains du 11 septembre 2001, de même que les massacres de Bali et de Madrid. Hôte de la puissante (et modérée) Association des musulmans de Grande-Bretagne, accueilli avec tous les honneurs à son arrivée par le maire de Londres qui est allé jusqu’à offrir ses locaux aux congressistes, el-Qaradaoui a fait scandale en donnant sa bénédiction, sur les ondes de la BBC, aux commandos-suicide palestiniens, ces faibles auxquels le Tout-Puissant accorde la force de se transformer en bombes. Où se situe donc la frontière entre résistance et terrorisme ? La réponse universelle n’est pas pour demain, hélas ! Car ni l’Occident ne saurait tolérer un phénomène frappant des civils innocents (encore que les bombardements massifs de la Seconde Guerre mondiale, qui ont tué à dessein des centaines de milliers de civils, mériteraient bien le label de terroriste). Et ni le monde arabo-musulman, peuples et gouvernements indistinctement otages du complexe des « faibles», ne semble prêt à répudier définitivement une méthode de combat qui, un malheur ne venant jamais seul, paraît dédouaner Oussama Ben Laden tout en donnant paradoxalement raison à George W. Bush. Plus engageante est la magistrale leçon de démocratie qui nous vient de la capitale britannique où le gouvernement Blair, assiégé par l’opposition conservatrice, s’est refusé à toute mesure d’expulsion à l’encontre du cheikh, se contentant de le tenir à l’œil durant son séjour. La démocratie est ainsi faite qu’elle est en quelque sorte l’otage d’elle-même, de sa propre essence : elle sait bien pardi, la démocratie, que fascistes, autocrates et terroristes peuvent user et abuser de ses bienfaits pour, finalement, œuvrer contre elle ; mais qu’elle renie ses fondements et principes pour mettre en échec ces derniers, et elle se trouve dénaturée : elle cesse d’être démocratie, pour la plus grande satisfaction de ses ennemis. Approximative, relative, imparfaite, tronquée, abâtardie, arraisonnée, la nôtre de démocratie ? Bien sûr ; mais notre mal reste mille fois préférable aux mortels remèdes prisés dans la région. Issa GORAIEB
Wassef Ali Hassoun, Youssef el-Qardaoui. Quel rapport entre le jeune caporal des Marines originaire du Liban, rescapé présumé d’une extraordinaire épreuve irakienne et l’uléma égypto-qatariote qui effectue en ce moment un séjour des plus tumultueux à Londres ? Aucun, sinon que ces deux affaires sont venues illustrer, chacune à sa manière durant la semaine écoulée,...