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Actualités - interview

INTERVIEW - 75 ambassades et 15 consulats à travers le monde Chucri Abboud : Recenser nos émigrés ? Impossible

L’Orient-Le Jour a rencontré l’ambassadeur Chucri Abboud, chargé ces dernières années du dossier de l’Union libanaise culturelle dans le monde (ULCM) et qui vient de rejoindre son nouveau poste d’ambassadeur en Tunisie. Pour le diplomate, la vague d’émigration que connaît actuellement le Liban n’est «pas trop inquiétante». Même s’il est vrai qu’elle est souvent liée à la crise économique ou au malaise politique, il considère qu’il s’agit là d’un «phénomène naturel» chez les Libanais. Dignes héritiers des navigateurs phéniciens qui ont conquis les mers et parcouru les terres, ils ne peuvent se contenter de leur étroit destin. Paraphrasant le poète Charles Corm, «vous emportez en vous l’indéfectible audace et les mâles ferments de vos hérédités dont l’esprit refoula les bornes de l’espace, et que nul n’a dompté», l’ambassadeur rappelle, à titre d’exemple, que sous le règne de l’émir Fakhreddine les Libanais ont construit des écoles et des couvents dans les «États du Saint-Père», en Italie. Qu’à Istanbul, les traducteurs et les conseillers de la Sublime Porte étaient aussi des Libanais. Qu’au début du XIXe siècle, le comte Rouchaid Dahdah, anobli par Napoléon III, a été conseiller du Bey de Tunis. Qu’en règle générale, le Libanais a «soif» d’aventures et demande à connaître le monde. En Afrique, en Amérique ou en Australie, il se fait une place au soleil, «mais il n’oubliera jamais que son trône est là où sa mère l’attend, comme le dit Saïd Akl », souligne l’ambassadeur. Répondant à ceux qui accusent le gouvernement de négligence envers les émigrés, M. Abboud signale que 75 ambassades et 15 consulats généraux assurent, à travers le monde, «la protection des intérêts libanais», et que le nombre de nos représentations diplomatiques est «proportionnellement très élevé» par rapport à ce qu’est le Liban. «Nous sommes le pays qui a le plus d’ambassades à l’étranger, même dans des pays avec qui nous n’avons pas de relations politiques étroites. Si nous sommes autant présents, c’est bien pour renforcer nos liens avec nos ressortissants établis en dehors du Liban», ajoute-t-il. Des questions complexes… et une histoire ahurissante En ce qui concerne la question du recensement des libanais vivant à l’étranger, l’ambassadeur Chucri Abboud est catégorique : «Il est impossible de faire un recensement parce qu’il est difficile de savoir qui est libanais ou qui ne l’est pas et jusqu’à quelle génération on l’est resté». À titre d’exemple, il dira qu’en Australie, 200 000 Libanais sont inscrits sur les registres du consulat : 80% sont des chrétiens et 20% des musulmans. Ce sont toutefois 80% de ces derniers qui inscrivent leurs enfants dès leur naissance, alors qu’il y a seulement 20% des chrétiens qui le font. Et cela ne se limite pas seulement à l’Australie. «Dès lors, qui est considéré libanais ? Uniquement ceux qui sont inscrits dans les registres des consulats ? Les enfants non enregistrés ne le sont-ils pas ? Les questions sont complexes mais je peux vous affirmer que, contrairement à ce qu’on dit, le nombre des émigrés ne se chiffre pas en millions. » Et l’ambassadeur de faire référence à l’ouvrage du père Sélim Abou, le Liban déraciné, pour évoquer les différents degrés d’intégration des générations dans leur nouvelle patrie. Prenant toujours à titre d’exemple l’Australie, il souligne l’importance de l’apport financier des émigrés au Liban. Il raconte que James Wakim, PDG de l’Arab Bank à Sydney, lui a dit que son institution opère «un transfert de un million de dollars par jour aux banques libanaises». «Le Libanais est un grand travailleur, il est apprécié partout où il se trouve, il adore son pays d’origine et reste attaché à ses racines. Alors, laissons-le tranquille », dit M. Abboud qui, rappelons-le, a occupé des postes diplomatiques dans les capitales ou les pays suivants : Buenos Aires, Venezuela, New York (Onu), Vatican, Moscou et Rio de Janeiro, Afrique du Sud, Colombie, Chili et Australie. Il a été ensuite envoyé en mission en Guinée et au Gabon, avant d’être chargé du dossier de l’Union libanaise culturelle mondiale et des associations libanaises à l’étranger. À la question de savoir quel événement l’a plus frappé au cours de ce long périple, il répond : « La situation des Libanais, en Afrique du Sud, sous le régime de l’apartheid. C’est une histoire que j’ai proposée à Amin Maalouf. » Il raconte qu’au début du siècle dernier, les émigrés libanais n’avaient pas le statut des Blancs, mais qu’ils étaient traités de «métisses», catégorie considérée comme inférieure à celle des Noirs. Les gouverneurs, qui étaient des « calvinistes fanatiques », prônaient le « développement séparé des races » et, par conséquent, tout sang-mêlé était jugé «péché d’orgueil commis contre Dieu». Évidemment, ces «mulâtres» n’étaient pas autorisés à vivre dans les quartiers réservés aux Blancs. Ghandour Moses (Moussa, originaire de Hadath al-Jebbé, au Liban- Nord), qui avait fait fortune en vendant de la bière (produit frappé de prohibition) à la population noire, en décide autrement. Il achète un immense terrain en plein quartier blanc. Mais l’Administration publique refuse d’enregistrer l’acte de propriété et Moses poursuit les autorités en justice. Il engage l’un des cabinets d’avocats les plus réputés de l’époque, les anglais Macintyre, Mottran & Pitts. Le procès qui va durer plus de dix ans se terminera par une « plaidoirie mémorable », basée sur la défense des droits d’un peuple issu d’une région qui a vu naître Jésus-Christ et, par conséquent, devrait bénéficier des privilèges que la loi accorde aux Blancs, au nom de Jésus. Le verdict rendu par le tribunal sera voté à l’unanimité par la Cour suprême. Le Libanais est désormais «blanc». Au Gabon, «le phénomène est inverse», souligne l’ambassadeur. Il relate à ce propos qu’alors qu’il était en excursion un jour avec des amis libanais, les membres du groupe s’étaient séparés, s’étaient perdus de vue et ne s’étaient plus retrouvés. «Nous rencontrons des laboureurs et nous leur demandons s’ils ont vu passer des Blancs par là ? Nous obtenons alors cette réponse ahurissante : Des Blancs ? Non. Mais nous avons vu passer des Libanais ! » Des goûts et des couleurs… May MAKAREM

L’Orient-Le Jour a rencontré l’ambassadeur Chucri Abboud, chargé ces dernières années du dossier de l’Union libanaise culturelle dans le monde (ULCM) et qui vient de rejoindre son nouveau poste d’ambassadeur en Tunisie. Pour le diplomate, la vague d’émigration que connaît actuellement le Liban n’est «pas trop inquiétante». Même s’il est vrai qu’elle est...