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EN DENTS DE SCIE Le fantôme errant de Yitzhak Rabin

Seizième semaine de 2004. Dans un monde arabo-musulman où se côtoient avec une presque confondante similitude des États qui ont fait de leur ultraviolent antiaméricanisme (de pure façade) un véritable kit de survie politique ; des gouvernements qui ont décidé une fois pour toutes de se murer dans un silence assourdissant, l’équivalent d’une franche et complice caution à la superpuissance yankee postclintonienne ; et des pays qui ont gagné, à la sueur de leur altruisme, de leur générosité et de leur abnégation en faveur des États-Unis d’Amérique leur place sur Hollywood Boulevard et, même, sur la bannière étoilée, il y a deux voix qui continuent de s’époumoner dans ce qui ressemble de plus en plus à un désert des Tartares : les Palestiniens – le contraire eût relevé de la pure science-fiction – et les Libanais. Non pas que ces Libanais soient plus enclins au masochisme, au dévouement, au renoncement ou aux sacrifices que leurs cousins arabo-musulmans du Machrek, du Maghreb, du Golfe, d’Asie occidentale ou méridionale. Non pas qu’ils soient plus royalistes que le roi, plus palestiniens que les Palestiniens eux-mêmes, qu’ils ont pourtant appris à connaître, à soutenir, parfois, dans leurs calvaires, après les avoir craints, naturellement haïs, tués, après s’être fait massacrés par eux. Non pas que les Libanais soient de quelque manière que ce soit enfermés, emprisonnés dans une burka sociale, économique ou politique, qui les ligote dans un antiaméricanisme primaire et puéril, qui leur fait oublier qu’ils sont tout simplement antibushistes. Non. C’est que les Libanais ont réussi à trouver depuis des années leur plus éclatant dénominateur commun, le terreau sur lequel ils sont à même de commencer à envisager, quelles que soient leur communauté, leur tendance politique ou leur appartenance socioculturelle, cette unité nationale qui, souvent, leur fait méchamment défaut : leur refus viscéral, inconditionnel, non négociable, de l’implantation des réfugiés palestiniens. Plus que le droit au retour et les indemnités auxquels ces apatrides doivent prétendre, plus que leur propre lutte contre l’occupation israélienne ou la tutelle syrienne, plus que leurs tentatives désespérées de vaincre la paupérisation, la corruption, les violations de la démocratie et des libertés, les Libanais sont obsédés par ce qui pourrait bien un jour venir bousculer et fissurer sur toute sa hauteur le tout fragile édifice de leur État : l’implantation. Et même si cette union sacrée entre tous les Libanais, et, surtout, entre hommes politiques loyalistes et opposants, bute parfois sur des vices de fond (la présence des réfugiés palestiniens depuis plus de soixante ans devenant un bien triste prétexte à la pérennité de l’emménagement des forces armées de Damas, une jurisprudence aux îlots de non-droit, une occasion presque trop belle de renvoyer aux calendes grecques toute une série d’urgences : le désarmement du Hezbollah, l’installation de l’armée le long de la ligne bleue, etc.), force est de constater la prééminence de la loi du plus fort. Sans pétrole, endetté jusqu’au cou, sous tutelle, collé à Israël, déchiré par les querelles de chiffonniers de ses dirigeants, que peut faire le Liban face aux vilains jeux des mains serrées de Sharon et de Bush fils ? Que peut faire le Liban lorsqu’un locataire de la Maison-Blanche pousse à son paroxysme ses fantasmes démiurgiques en décapitant tranquillement, dans le concept comme sur le terrain, des multilatérales stérilisées jusqu’à nouvel ordre par les bons soins d’Ariel Sharon, en redessinant avec le sourire des frontières internationales ? Un président US qui s’est employé à commettre, en assassinant le traité de Madrid concocté par son prédécesseur de père, l’un des plus ahurissants parricides politiques de l’histoire contemporaine ; à suicider, pour tenter de conserver un bureau ovale qu’il a totalement discrédité en trois ans de règne, une « feuille de route » dont il est censé être l’un des pères ; à enterrer sans même un simulacre de funérailles la résolution 194 des Nations unies – qu’il risque pourtant de supplier un jour d’aller réparer les dégâts qu’il a commis en Irak. Que peut faire le Liban ? Lorsque l’on veut combattre un ennemi, on le fait de l’intérieur. Avec intelligence, pragmatisme et sens du discernement, échelle de valeurs. L’homme, qui a signé avec l’OLP entre 1993 et 1995 l’accord de reconnaissance mutuelle, la déclaration sur l’autonomie des territoires occupés, l’accord intérimaire israélo-palestinien sur la Cisjordanie et Gaza, et un traité de paix avec la Jordanie, s’appelle Yitzhak Rabin. Il doit certainement avoir, là-bas, des héritiers politiques. Ziyad MAKHOUL
Seizième semaine de 2004.
Dans un monde arabo-musulman où se côtoient avec une presque confondante similitude des États qui ont fait de leur ultraviolent antiaméricanisme (de pure façade) un véritable kit de survie politique ; des gouvernements qui ont décidé une fois pour toutes de se murer dans un silence assourdissant, l’équivalent d’une franche et complice caution à...