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Actualités - CHRONOLOGIE

VIENT DE PARAÎTRE - « En attendant la prochaine lune... », de Boutros Boutros-Ghali Loin du verbe édulcoré d’un diplomate…

Il n’en est pas à son premier livre. Pour plus de précision, c’est là son douzième. Et cet ouvrage est presque plus intime que les autres, sans toutefois jamais tomber, à travers ces carnets qui s’étendent de 1997 à 2002, dans la confidence pure. Ici, la réserve est de rigueur. L’auteur clarifie le projet d’emblée : « S’il m’est arrivé, néanmoins, de commettre certaines indiscrétions, écrit-il en préambule, je voudrais m’en excuser auprès de ceux que j’ai cités, comme auprès de ceux que je n’ai pas cités. » Pour un diplomate, les mots comptent sans nul doute double ou de moitié, comment le savoir ? Sans parler de ce célèbre sens de la nuance qui distingue cette catégorie d’êtres, rompus au bien parler et au savoir éviter les écueils, avec tact et formules élégantissimes ou lapidaires. Ou parfois même de les provoquer sciemment! En librairie, par ce printemps où la planète affronte pêle-mêle terrorisme effroyable, scandales sexuels de tous ordres et commotions civiles sanglantes, un gros pavé intitulé En attendant la prochaine lune de Boutros Boutros-Ghali (Fayard-708 pages). Oui, très gros pavé, au titre d’une poésie bien levantine, qui peut se lire peut-être sans grande passion, mais certainement avec un intérêt soutenu. Pour mieux comprendre les grands bouleversements du monde arabe d’abord, les prééminences, l’enjeu et la stratégie de la francophonie ensuite et enfin mieux découvrir un homme qui fut un infatigable et brillant avocat du tiers-monde. Tous les Libanais connaissent parfaitement le visage de cet auteur qui hantait l’écran de leur télé et qui apportait une bouffée d’espoir (et un rappel à la dignité humaine) et d’oxygène aux moments les plus noirs de leur histoire et de leur lente asphyxie, quand le monde entier se contentait de s’apitoyer sur le triste sort d’un Liban qui n’en finit plus de mourir de ses blessures… Professeur de droit international à l’Université du Caire ainsi que dans plusieurs institutions académiques étrangères, Boutros Boutros-Ghali a occupé aussi les fonctions de ministre d’État aux Affaires étrangères d’Égypte (1997-1991), de secrétaire général des Nations unies (1992-1996) et de premier secrétaire général de l’Organisation internationale de la francophonie (1998-2002). Actuellement, il est président de la Commission nationale égyptienne des droits de l’homme, du panel international Démocratie et développement à l’Unesco, du South Centre à Genève et de nombreuses organisations non gouvernementales. Mais par-delà cette intense activité professionnelle, il y a aussi la présence d’un virulent, d’un percutant homme de lettres. À son actif, on l’a dit, de nombreux ouvrages. On cite volontiers, comme simple rappel de son talent d’écrivain, de témoin de son temps et d’homme de réflexion, Le Chemin de Jérusalem et Mes années à la maison de verre, tous les deux parus chez Fayard. Témoin privilégié et rêveur impénitent Pourquoi attendre la prochaine lune? Tout simplement ce sont-là les propos d’un astrologue de New Delhi tranquillisant Boutros-Ghali quant à l’avenir d’une époque charnière de sa carrière. C’est nature d’Orient, aussi puissante fut-elle, que de recourir aux prédictions et à la lecture des astres. D’ailleurs ces pages, sympathiques par leur révélation, ne font que rapprocher Boutros-Ghali de ses lecteurs. Témoin privilégié des événements du monde, à la fois «actant», agissant et spectateur honoré d’un univers saisi de la frénésie de vivre, Boutros Boutros-Ghali n’en est pas moins un rêveur impénitent. Les premières lignes livrent le secret de ces pages, serrées comme mailles : «À travers ces pages, je rends à la vie ce qu’elle m’a donné durant mes six années parisiennes. Ce journal s’ouvre le 31 décembre 1996, à la fin de mon mandat de secrétaire général des Nations unies, et s’achève le 31 décembre 2002, à la fin de mon mandat de secrétaire général de la francophonie. Il fut des jours sans écriture, il fut des jours avec…» C’est le propre du journal intime de sérier les événements, de revenir en arrière et d’analyser avec distance les coins d’ombre éclairés à neuf. De relativiser aussi la passion du moment pour tout geste qu’on réinterprète à la lumière du temps qui passe et des choses qui changent. Stupéfiantes pérégrinations d’abord d’un homme qui défie les horaires de la planète. De New York à Paris en passant par Quiberon, Le Caire, Beyrouth, Phnom Penh, Hanoi, Tokyo, Rome, Ottawa, Cotonou, Pékin, Dakar (la liste est interminable), l’itinéraire est étourdissant. Fatigante navette des voyages pour rencontrer le jet-set et le gratin du monde politique pour Boutros-Ghali qui n’en a pas moins aimé aussi les… livres! Il en parle avec affection et dévotion. Ceux qui attendent des détails croustillants ou irrévérencieux, des propos inflammatoires ou provocants sur les coulisses du pouvoir seront un peu déçus. Quelques petits règlements de compte. À peine quelques annotations amusantes au détour d’un portrait brossé avec vivacité. Et ils sont nombreux, ces petits portraits croqués sur le vif, incisifs, empreints d’humour et rapides comme l’éclair. Telle cette brillante réponse de Jacques Attali (on connaît l’immense intelligence de l’auteur d’Un homme d’influence), suggérant promptement à Boutros-Ghali un titre (en fait deux, tant Attali est riche d’idées) sur un livre qu’il écrit à propos des Nations unies: In and Out the United Nations et US versus UN. Assister aux spectacles du monde (après tout, nous sommes bien un théâtre immense) en première loge donne à Boutros-Ghali la possibilité de rendre compte, avec finesse, esprit, respect, parfois même un certain nombrilisme (beaucoup de moi, de je), de tout ce qui étouffe le citoyen du monde, entre la rapacité des gouvernants et le rêve d’une vie où nous serons tous à égalité pour nos mérites. Dans ce concert peu concertant et souvent assourdissant et cacophonique des nations, l’être tente de trouver sa place, son entité et son identité. Boutros-Ghali, devant la confusion de l’univers, reprend la formule du Nathanael de Gide : ferveur d’agir, de décider, de diriger. Par-delà l’homme farouchement épris de l’Égypte (mais il confond Abdel Wahab et Abdel Halim Hafez, qui l’aurait cru), par-delà l’idéologue du non-alignement, le négociateur du traité de paix égypto-israélien si contesté et l’avocat du tiers-monde, voilà la voix de celui qui est, sans le révéler peut-être publiquement, sensible au drame humain. Colère, indignation, doutes mais aussi espoirs, convictions et émotions d’un homme qui, parvenu au grand âge, est saisi par la nostalgie. La passion, le pouvoir et l’âge font brusquement une étrange combinaison où la sagesse, cette perfide et sereine complice du temps, serait de trouver les mots adéquats pour parler de la tyrannie de cet inéluctable triumvirat qui, un jour, sans que l’on s’en rende compte, sonne le glas de toute la vanité de la comédie humaine. Edgar DAVIDIAN
Il n’en est pas à son premier livre. Pour plus de précision, c’est là son douzième. Et cet ouvrage est presque plus intime que les autres, sans toutefois jamais tomber, à travers ces carnets qui s’étendent de 1997 à 2002, dans la confidence pure. Ici, la réserve est de rigueur. L’auteur clarifie le projet d’emblée : « S’il m’est arrivé, néanmoins, de...