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Actualités - CHRONOLOGIE

DÉVELOPPEMENT - Un projet du Pnud, exécuté au sein de l’Iral et financé par le GEF L’agrobiodiversité dans la Békaa : protéger espèces sauvages et variétés locales

Agrobiodiversité. Encore un mot barbare pour désigner un concept pointu ? Bien au contraire, l’idée consiste à remonter autant que possible le temps, quand les arbres fruitiers étaient surtout sauvages et que les progrès dans l’agriculture se faisaient à petits pas, étalés sur des centaines d’années, au gré des expériences des agriculteurs. Et que les espèces agricoles étaient les témoins de leur terre d’origine. Un projet pour la préservation de l’agrobiodiversité au Proche-Orient a été lancé dès 1999 par le Programme des Nations unies pour le développement (Pnud), exécuté au Liban au sein de l’Institut de recherches agricoles libanais (Iral), dont le président, Michel Afram, est le coordinateur national. Pourquoi le Proche-Orient ? Cette région, selon Raghed Assi, directeur du projet, est la terre d’origine de nombreuses espèces agricoles d’importance mondiale, comme le blé par exemple. « Or, dans cette région, il existe toujours des agriculteurs qui cultivent les variétés locales, sans compter que les espèces sauvages n’y ont pas encore disparu, explique-t-il. Mais autant les premières que les secondes sont en danger, du fait de la dégradation des habitats naturels et de l’importation des espèces étrangères améliorées, donc plus rentables. » Le projet d’agrobiodiversité du Pnud, financé par le Fonds pour l’environnement mondial (GEF), consiste donc à protéger ces espèces sauvages ou purement locales au Liban, en Syrie, en Jordanie et dans les territoires palestiniens. La préservation concerne des espèces importantes pour la sécurité alimentaire mondiale : le blé (33% de la nourriture mondiale), l’orge, les lentilles, la vesce (plante utile pour le fourrage, le foin ou le fumier vert), le lathyrus (légume alimentaire résistant à la sécheresse), la luzerne, le trèfle, les abricots, les cerises, les amandes, les poires, les pistaches, les figues, l’Allium sauvage (variétés locales d’oignon et d’ail). Au Liban, l’équipe du Pnud travaille sur trois sites dans la Békaa, plus spécifiquement dans la région de Baalbeck : les villages de Aarsal, de Ham et de Nabha. Les sites ont été choisis en fonction de leur importante agrobiodiversité – en d’autres termes, des variétés purement locales y sont toujours cultivées, et des spécimens sauvages peuvent encore y être repérés – ainsi que pour leurs structures sociales diversifiées. Les facteurs de dégradation des espèces sauvages ou domestiques locales sont multiples. « Les communautés locales, en pleine expansion démographique, ont tendance à surexploiter les terrains où poussent encore les variétés sauvages », explique M. Assi. « Constructions anarchiques, carrières sauvages, lotissement de terrains auparavant vierges et pâturages incontrôlés ont raison des derniers échantillons d’espèces sauvages. Dans le passé, il y avait une certaine structure sociale et des autorités locales, comme les chefs de tribu ou les moukhtars par exemple, qui contrôlaient ce genre d’activités. Aujourd’hui, le tissu social a changé, et les limites ne sont plus définies. En quelques décennies, la physionomie des villages a changé. » Les conséquences sont particulièrement dramatiques dans la Békaa, où la sécheresse rend l’écosystème encore plus vulnérable aux facteurs de dégradation causés par les activités humaines. Pour ce qui est des variétés locales plantées, elles subissent, elles aussi, un certain impact lié à l’importation de variétés améliorées en laboratoires, testées à l’étranger et plus productives. Il est donc compréhensible que les agriculteurs, dont la situation reste précaire, abandonnent facilement les variétés locales de leurs ancêtres pour profiter des progrès technologiques. Un précieux dépôt de gènes Mais alors, quel est l’intérêt de la préservation de ces espèces locales, plantées ou sauvages ? M. Assi insiste sur le fait qu’une telle entreprise présente un intérêt autant mondial que local. « L’agrobiodiversité est une source de sécurité alimentaire pour le monde, parce qu’elle continue d’assurer à l’humanité un plus grand choix, souligne-t-il. Il est vrai que le monde connaît actuellement une démographie galopante, et qu’il est impératif de nourrir des populations grandissantes. Pour cela, une productivité accrue est indispensable, d’où l’intérêt des espèces améliorées en laboratoire. L’apparent paradoxe de notre démarche réside dans le fait que nous luttons pour la préservation des variétés locales dans un tel contexte. En fait, nous voulons empêcher la progression technologique de se faire aux dépens de la variété naturelle. » L’une des raisons majeures de la préservation de ces variétés est de protéger un dépôt de gènes qui peut s’avérer précieux pour l’humanité. Les espèces améliorées, elles, manquent des caractéristiques et de la diversité de leurs prédécesseurs. À titre d’exemple, au cas où une maladie viendrait à ravager les espèces nouvelles, il pourrait s’avérer indispensable de revenir aux espèces d’origine pour réapprendre les secrets de leur plus grande résistance. L’agrobiodiversité a également un intérêt non négligeable pour les populations locales. « Il est certain que les agriculteurs trouvent plus profitable à court terme de remplacer leurs cultures locales par des espèces importées », précise le directeur du projet. « Or les travaux d’amélioration du produit et les tests sont effectués à l’étranger. Comment savoir s’ils conviennent au mieux à notre milieu, et si les nouvelles variétés s’adapteront à toutes les situations rencontrées dans un territoire donné ? Garder vivantes les cultures traditionnelles permettra aux agriculteurs de rebrousser chemin au cas où, à long terme, il leur faudrait revenir à des espèces plus adaptées à leur milieu. » En quoi consiste donc le travail des membres de l’équipe du projet ? Conseillent-ils aux agriculteurs de renoncer aux variétés importées ? « Non, ce n’est pas systématique, souligne-t-il. Nous tenons à préserver les variétés locales plantées ou sauvages là où elles existent encore. Par ailleurs, nous pouvons donner des conseils aux cultivateurs. En effet, les variétés importées sont plus rentables dans les grands espaces, là où les agriculteurs disposent de moyens plus importants. Étant moins résistantes à certains facteurs naturels propres au territoire libanais, elles auraient besoin plus régulièrement de pesticides. Il se peut donc que, dans les localités où les techniques agricoles sont encore plutôt rudimentaires, les variétés locales ancestrales restent plus rentables. D’autant plus que la tendance à l’agriculture biologique se confirme de plus en plus. » Améliorer le niveau de vie Quelle est la marge de manœuvre de l’équipe du projet d’agrobiodiversité du Pnud quand certains facteurs aggravants sont d’ampleur nationale, comme les carrières par exemple ? M. Assi reconnaît que les limites sont bien perceptibles. Mais leur projet consiste principalement à sensibiliser les localités dont il a la charge, afin que l’idée d’agrobiodiversité fasse son chemin dans les collectivités locales. « Pour ce qui est des pâturages par exemple, nous tentons d’intervenir, indique-t-il. Dans cette optique, nous avons aidé à la création d’une ferme à Aarsal, avec des plantations fourragères tout autour. Les troupeaux peuvent y paître, ce qui diminue la pression sur les lieux sauvages. » D’autre part, l’équipe a multiplié les tables rondes à un niveau local, les démonstrations pour l’introduction de variétés sauvages adaptées, etc. « La meilleure façon d’encourager les communautés locales à préserver des variétés est d’améliorer leur qualité de vie, de montrer que les arbres et les plantes sauvages peuvent aussi être source de profit, poursuit M. Assi. Un des projets qui va dans ce sens est la formation des femmes à la création et à la commercialisation de produits de “mouné”, notamment à partir d’aliments sauvages, avec des notions de marketing et d’emballage. » Autre tentative : le développement de l’écotourisme dans le village de Ham, dont la nature s’y prête particulièrement. Il insiste toutefois sur le fait que le projet d’agrobiodiversité du Pnud ne finance pas à proprement parler des initiatives parallèles, comme celle de l’écotourisme par exemple, mais que son équipe sert de catalyseur pour les initiatives, aidant les villageois à effectuer des contacts utiles. Bref, ce projet de conservation agricole et écologique s’inscrit dans une logique de développement durable, comme le fait remarquer Najah Chamoun, l’un des ingénieurs sur le site. « Auparavant, la conservation se faisait par le prélèvement d’échantillons qui étaient ensuite stockés dans des banques de gènes, explique-t-il. Cette méthode présente des difficultés techniques, et elle est coûteuse. De plus, il est impossible de protéger toutes les variétés de cette manière-là. La méthode adoptée dans notre projet est celle de la conservation in situ, en d’autres termes sur place. C’est d’ailleurs la tendance mondiale actuellement. » Ce projet doté d’un budget de 1,5 million de dollars se termine en juin 2005. Qui assurera la relève ? « C’est l’Iral qui sera alors l’autorité de référence dans ce domaine », explique M. Assi. Suzanne BAAKLINI
Agrobiodiversité. Encore un mot barbare pour désigner un concept pointu ? Bien au contraire, l’idée consiste à remonter autant que possible le temps, quand les arbres fruitiers étaient surtout sauvages et que les progrès dans l’agriculture se faisaient à petits pas, étalés sur des centaines d’années, au gré des expériences des agriculteurs. Et que les espèces...