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Actualités - OPINION

EN DENTS DE SCIE Générations futures

Quatorzième semaine de 2004. Une fois n’est pas coutume : inutile de s’arrêter sur les sempiternels et lassants soubresauts politiques de ces sept derniers jours. Sur le populisme et la démagogie des dirigeants libanais comme sur les (très attendues) réflexions d’un pape épuisé mais toujours aussi indispensable lorsqu’il appelle, pour son Liban-message, à « une souveraineté totale, une liberté sans ambiguïté ». Quatorzième semaine de 2004. La Star Academy Liban vient de clore sa première saison. Quatre jours après qu’une énième fatwa, saoudienne cette fois, fut venue sanctionner « la mixité entre garçons et filles » ou « l’invitation claire à la débauche » ; et en pleine déconfiture d’une Ligue incapable de fédérer ne serait-ce qu’en apparence les Arabes, tous les Arabes, des rives de Rabat à celles de Mascate, une Ligue handicapée, incapable de parler d’une seule voix – à peine peut-elle, d’ailleurs, ou veut-elle s’exprimer –, incapable de remplir ce rôle urgent censé être le sien. Après quatre mois de présence quotidienne sur les écrans arabes, tous les écrans arabes, StarAc’ Liban, et au-delà la LBCI, vient de réussir un formidable pari. Quatorzième semaine de 2004. Inutile de rentrer dans un débat stérile sur la vacuité, l’inutilité et l’inconsistance de la télé-réalité, sur l’incitation généralisée à l’inculture dont sont victimes les jeunes Arabes. Inutile de gloser sans fin sur « la futilité » de ce genre d’émissions, à l’heure où Palestiniens et Irakiens, entre tant d’autres, continuent de vivre les heures les plus noires de leurs désespérées tentatives de survie. Comme si l’Arabe, riche soit-il ou pauvre, citadin ou rural, chrétien ou musulman, adolescent ou quinquagénaire, hétéro ou homosexuel, petite fan de Britney Spears ou femme voilée au foyer, francophone, anglophone ou simplement arabophone, était interdit d’un précieux oxygène : le divertissement. Comme si regarder StarAc’ Liban interdisait à l’Arabe d’assister à des conférences sur la résistance, sur l’histoire, sur la place du P-O dans le monde. Comme si le câble et le satellite l’empêchaient, avec sa télécommande, de s’arrêter, lorsqu’il le souhaite, sur un documentaire consacré à Edgar Allan Poe, à la recherche spatiale, à l’art de la poterie saharienne. Inutile de se cacher derrière son petit doigt, d’enfouir la tête dans le sable : si StarAc’ Liban fait peur, si elle est vouée aux gémonies, c’est parce qu’elle a ouvert une nécessaire et miraculeuse boîte de Pandore où tous les vices ont émigré, où une vertu, une seule, s’est installée : le métissage. Avec tout ce qu’il comporte de solidarité, de respect et d’acceptation de l’autre, d’égalité (des sexes, surtout) de germes indestructibles de démocratie (il y a des peuples arabes entiers qui, sans StarAc’ Liban, n’auraient jamais voté de leur vie). Certes, ce n’est pas un bouton que l’on presse, un abracadabra qui change tout en un clin d’œil : l’apprentissage est long, dur, épuisant, rythmé d’embûches, maladroit, fragile ; les failles sont nombreuses, et quelque part, c’est tant mieux. Quatorzième semaine de 2004. Les spectateurs arabes (dont 80 % des 15-25 ans) de la LBCI ont appris que seize personnes venues d’horizons radicalement opposés, avec juste cette valeur commune et encore bien trop bancale qu’est leur arabité plus ou moins bien assumée, peuvent construire une forme d’harmonie, d’unité. Ils ont appris qu’il existe d’autres valeurs, tout aussi respectables que celles qu’on leur a appris à la maison, à l’école, à la mosquée ou à l’église ; que le talent, s’il est inné, n’est rien sans travail, sans efforts, sans sueur ; que l’amateurisme est une plaie mortelle, la discipline une exigence vitale ; que la modernité n’est pas synonyme d’impiété ; que la carrière de chanteur, de danseur, d’acteur, n’est pas une tare, une honte ; que l’on peut, en terres arabes, cohabiter quatre mois avec une fille ou un garçon sans nécessairement, automatiquement, abuser de quelque harcèlement que ce soit. Ils ont appris, ces jeunes et ces moins jeunes spectateurs, ils ont vu des drapeaux libanais, syrien, saoudien, égyptien, koweïtien, émirati, tunisien, marocain, côte à côte, brandis pour la même cause. Ils ont vu, parfois hébétés, seize jeunes venus de huit pays arabes donner de magistrales leçons de solidarité et d’intelligence à l’ensemble de leurs dirigeants. Ils ont vu le zaïm saoudien oublier autoritarisme et machisme avec ses camarades féminines de chambrée. Ils ont vu la mère de l’Égyptien (voilée, modeste) et celle de la Tunisienne (cheveux au vent et francophone) tomber ensemble de fous rires. Ils ont vu à Cannes un Arabe, un Libanais, entouré du Britannique, de l’Argentin, de la Chilienne et de la Française, entre autres, et traité comme eux. Et de tout cela, et plus encore, ils ont été fiers, ces téléspectateurs. Quatorzième semaine de 2004. Même si Star’Ac Liban s’avère être un simple phénomène de mode, juste conjoncturel, la LBCI – qui n’est certes ni la Croix-Rouge ni les Nations unies et qui a fait un maximum d’argent – peut savourer son triomphe. Qu’il ne faudrait pas juste calculer en termes d’audience ni de gains publicitaires : en osant bousculer les œillères et les statu quo qui ne demandaient, finalement, qu’à se laisser faire, en osant faire évoluer les mentalités, en respectant les traditions, la télévision d’Adma a contribué, sans doute sans le savoir, peut-être sans le vouloir, à dessiner, avec les principaux concernés et pour eux, les prometteurs contours des générations arabes à venir. Sauf que ce n’est que le début, et tout reste à faire. Surtout ailleurs : là où se prennent les décisions politiques. Ziyad MAKHOUL PS : que l’excellent Melhem Chaoul, sociologue et enseignant à l’UL, soit ici chaleureusement remercié pour son indispensable lecture du phénomène Star’Ac.
Quatorzième semaine de 2004.
Une fois n’est pas coutume : inutile de s’arrêter sur les sempiternels et lassants soubresauts politiques de ces sept derniers jours. Sur le populisme et la démagogie des dirigeants libanais comme sur les (très attendues) réflexions d’un pape épuisé mais toujours aussi indispensable lorsqu’il appelle, pour son Liban-message, à « une...