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Actualités - REPORTAGE

Tourisme : de nombreuses perspectives d’emplois, mais aucune politique officielle de développement

Le Liban a franchi en 2003 la barre du million de touristes étrangers. Principalement issus des pays arabes, ces touristes viennent au Liban pour son climat, ses sites, ses montagnes, sa restauration et ses loisirs. Malgré l’instabilité régionale, les professionnels se montrent optimistes et se fixent désormais un nouvel objectif : attirer les visiteurs européens, américains et asiatiques. Avec leur venue, un nouveau genre de tourisme devrait voir le jour au Liban : culturel, événementiel, écologique et environnemental. En l’absence d’une politique gouvernementale de développement du secteur touristique, il serait peut-être utopique de rêver d’une augmentation nette du nombre de visiteurs étrangers, mais çà et là des initiatives privées naissent et mettent en valeur des aspects du pays jusque-là peu exploités. L’aménagement de plages de sable, le développement de parcours de randonnées, la naissance d’un tourisme rural, l’observation d’oiseaux, la mise en place de routes des vins, l’organisation de congrès internationaux... viennent s’ajouter aux circuits traditionnels de visites de sites ou de dégustation de mezzés libanais. Dans cet état d’esprit, les emplois liés au tourisme ne peuvent que se développer et offrir aux jeunes de nouvelles perspectives d’emploi. Quant aux universités, elles mettent progressivement en place des formations qui tentent de répondre aux besoins du marché, d’une part centrées sur le voyage et le tourisme, et d’autre part liées à la gestion de l’hospitalité. Certes, en matière d’opportunités de travail, les métiers de l’hospitalité, notamment ceux de la restauration et de l’hôtellerie, viennent en tête de liste, offrant une grande variété de débouchés (voir « L’Orient-Le Jour » du 11 mars 2004 ). Mais d’autres débouchés se présentent désormais aux jeunes attirés par le tourisme, notamment au sein d’agences de voyages, en tant qu’accompagnateurs ou guides touristiques. Dans le domaine peu exploité du tourisme intérieur, quelques initiatives privées tentent de créer un marché et de développer un tourisme culturel ou écologique, mais ces initiatives restent timides, et ne peuvent encore prétendre engendrer une grande variété d’emplois. Elles sont cependant la preuve vivante qu’en l’absence d’une politique concrète du gouvernement, seule l’initiative privée permet de développer un secteur très prometteur. GUIDE DES MÉTIERS - Des débouchés encore inexploités Des formations universitaires qui tablent sur la polyvalence Relativement récentes au Liban, les études en tourisme sont différemment abordées, d’une université à l’autre. Seules deux universités, l’Université Saint-Joseph (USJ) et l’Université libanaise (UL), délivrent une licence et un mastère purement touristiques, alors qu’à la Lebanese American University (LAU), à l’Université Notre-Dame de Louaïzé (NDU), à l’Université de Balamand et à l’Institut de gestion des entreprises (IGE) de l’USJ, cette formation est intégrée à une licence en gestion de l’hospitalité. Dans les trois universités délivrant des licences en tourisme, les étudiants sont formés à travailler au sein d’agences de voyages, à devenir guides touristiques ou accompagnateurs de groupes, à développer et gérer des projets et complexes touristiques viables, en harmonie avec l’environnement, mais aussi à élaborer de nouvelles idées pour développer le tourisme local. Quant aux universités intégrant la formation au sein de leur faculté de gestion, elles mettent l’accent sur les métiers de l’hospitalité, comme l’hôtellerie et la restauration, mais aussi sur la capacité de l’étudiant à gérer des complexes touristiques ou à organiser des événements, foires ou congrès. La section « Aménagement touristique et culturel », vieille de 8 ans environ, est rattachée au département de géographie de la faculté des lettres de l’USJ. « Notre but, explique Jocelyne Adjizian Gérard, chef du département, est de former des professionnels compétents dans le monde du tourisme local ou étranger, capables d’être opérationnels dans des agences de voyages, de monter des produits touristiques, d’organiser des voyages ou des événements culturels, de travailler dans l’aménagement touristique. » « Au terme de leurs études, précise-t-elle, ils doivent aussi être capables de sensibiliser les visiteurs aux richesses cachées du Liban, proposer des circuits de régions méconnues, mais aussi se tourner vers le tourisme régional, en se spécialisant pour certaines destinations. » Une formation polyvalente, axée sur la géographie C’est dans cet objectif que l’USJ donne une formation très polyvalente, principalement orientée vers la géographie. Connaissance générale de l’histoire et de la géographie du Liban, de son patrimoine et de ses sites archéologiques, cartographie, techniques touristiques, (comme la billetterie et la réservation), techniques audiovisuelles, vente, marketing, communication, mise en place de circuits touristiques, technique des tour-opérateurs, langues étrangères et stages en entreprises font notamment partie du cursus de la licence. Licence qui nécessite l’obtention de 180 crédits européens (ECTS). Deux mastères, l’un professionnel l’autre de recherche menant au doctorat, complètent ces études. Forts de cette formation polyvalente délivrée en français et d’une bonne maîtrise des langues étrangères, parlant un minimum de quatre langues au terme de leur licence, l’ensemble des étudiants de l’USJ sont recrutés au terme de leur stage ou de leurs études, dans différents domaines du tourisme. Certains se lancent dans l’organisation de festivals, d’autres choisissent de devenir guides touristiques, après avoir passé le concours officiel du ministère de Tourisme, ou même d’enseigner, alors que la majorité se dirige vers les agences de voyages ou même le secteur hôtelier. À l’Université libanaise, deux filières différentes au sein de la faculté de tourisme et de gestion hôtelière, située à Jnah, mènent les étudiants vers une licence en tourisme ou une licence de guide touristique, au terme de quatre années d’études, en langue anglaise. La première filière consiste à gérer une agence de voyages, à découvrir le monde du voyage et des agences, des représentations, des tour-opérateurs, le monde des transports, les réservations, la billetterie ainsi que les lois liées au monde du tourisme. L’étudiant est aussi amené à bien connaître le Liban, ses sites touristiques et ses ressources, et apprend à concevoir, à vendre et à gérer des projets de développement intérieur ou des complexes touristiques, à établir des plannings touristiques, à développer des projets, aussi bien au Liban qu’à l’étranger. « Dans cette optique, une grande importance est accordée aux langues étrangères », explique le directeur de la faculté de tourisme et de gestion hôtelière, Jamal Awada. Le guide touristique confronté au chômage « Quant à la formation de guide touristique, elle est centrée sur la connaissance historique et géographique approfondie du Liban, de ses sites archéologiques et touristiques, de l’ensemble de son patrimoine culturel et traditionnel. Culture générale, langues étrangères, protection de l’environnement, enquêtes statistiques, organisation de voyages font aussi partie du cursus », ajoute M. Awada. Au terme de cette licence, l’étudiant présente un concours au ministère du Tourisme pour obtenir l’autorisation d’exercer sur le territoire libanais. « Malgré le développement du tourisme au Liban, et six ans seulement après l’instauration de ce cursus, les étudiants sont confrontés à un sérieux problème », indique le directeur de la faculté. Un guide touristique ne travaille que durant la saison touristique et se retrouve au chômage durant la saison morte. De plus, il n’est pas protégé par la loi. « Nous tentons actuellement de modifier cette branche pour permettre au guide touristique d’avoir des qualifications lui permettant de travailler durant la saison morte, mais restons persuadés qu’à long terme les deux formations sont nécessaires et trouveront leur place sur le marché libanais du travail », observe-t-il à ce propos. Les étudiants désireux de poursuivre leurs études au-delà de la licence peuvent entreprendre un DESS en tourisme, délivré conjointement par l’UL et l’Université de Perpignan, en France. Quant aux autres cursus universitaires intégrant le tourisme au sein de licences en gestion de l’hospitalité ou hôtelière, ils sont proposés par diverses universités, notamment, la LAU, la NDU, Balamand et l’IGE de l’USJ. (Voir L’Orient-Le Jour du 11 mars 2004). Nous ne les détaillerons pas dans cet article, car nous en avons largement parlé précédemment. Mais ces formations, principalement axées sur l’hôtellerie et la restauration, même si elles sensibilisent les étudiants à l’environnement et à l’écotourisme, abordent le tourisme de manière différente, privilégiant la gestion de projets ou complexes touristiques au tourisme pur. Tour-opérateurs : la réussite à condition d’avoir le sens de la perfection Les agences de voyages et tour-opérateurs emploient l’essentiel des étudiants en tourisme du pays. Si certains, de petite taille, se composent de deux ou trois personnes seulement, d’autres, plus importants, peuvent atteindre 70 personnes ou même plus. Les professionnels de ce secteur en pleine expansion affichent néanmoins un optimisme prudent. Même si le tourisme et les voyages se démocratisent mondialement, chaque saison est tributaire des événements politiques, sécuritaires, économiques et climatiques. Autrement dit, l’embauche dépend des capacités d’expansion de l’agence, de la conjoncture du moment et des qualités personnelles du demandeur d’emploi. Élie Nakhal et Georges Pétrakian, PDG respectifs des agences de voyages Nakhal et Tania Travel, parlent des besoins du marché, mais aussi des qualités requises pour faire carrière dans la seconde industrie mondiale. « Le tourisme vers le Liban est en pleine expansion, notamment depuis le 11 septembre », souligne Élie Nakhal. Longtemps spécialisés dans les marchés européens, les voyagistes libanais exploitent aujourd’hui la clientèle arabe qui privilégie le tourisme régional à l’Europe ou aux États-Unis. Renforcer à la fois le tourisme arabe et européen est parfaitement réalisable, selon ses estimations. De par son climat, le pays a l’avantage de pouvoir accueillir Arabes et Européens, à des périodes différentes, les premiers préférant la saison chaude, et les seconds le printemps. Par ailleurs, les foires, congrès et autres manifestations culturelles et sociales se multiplient au Liban et font travailler l’ensemble du secteur touristique. Aussi, les possibilités d’emplois pour les jeunes sont très variées. « L’accueil, le guidage et l’accompagnement, la synchronisation d’événements, la restauration et l’hôtellerie, mais aussi l’organisation de tours, la réservation, la billetterie, le comptoir, les charters, la programmation, etc. les possibilités d’embauche sont énormes », indique Élie Nakhal. « Nous embauchons d’ailleurs en permanence, surtout en période d’expansion », précise-t-il, ajoutant qu’il faut être très pointilleux sur la qualité, la recherche du détail et le perfectionnisme. « Le problème, déplore-t-il, est que beaucoup de jeunes prennent les choses superficiellement. Or on ne peut se permettre d’oublier d’assurer un transfert ou une réservation, d’autant plus que la clientèle est exigeante. » Privilégiant les élèves issus de l’école technique de Dékouaneh, M. Nakhal observe néanmoins que les qualités du demandeur d’emploi sont plus importantes que son diplôme. Quant aux possibilités d’avancement, elles sont nombreuses. Certes, les débuts sont lents, et un novice démarre à 300 ou 400 dollars par mois. Mais un cadre supérieur peut atteindre 3 000, voire 4 000 dollars par mois. Pour Georges Pétrakian, qui recrute ses employés parmi les stagiaires de l’USJ, la connaissance de langues étrangères, le doigté, le sérieux et la prestance sont des qualités indispensables pour faire carrière dans une agence de voyages. « Sans compter que pour réussir, il faut bûcher », ajoute-t-il. Aimer communiquer avec les touristes, être fin psychologue, afin de réussir à rendre agréable leur séjour, devenir un bon promoteur de tours, au Liban ou à l’étranger, n’est certes pas donné à tout le monde. « C’est durant les stages pratiques que font les étudiants au cours de leurs études que l’on peut identifier les éléments ayant les qualités requises et doués pour le métier. Car rien ne vaut la pratique », dit-il. Au fil de leur carrière, ils apprennent le métier dans les différents services de l’agence, mais certains se spécialisent dans des destinations précises ou l’organisation de vols charters. Quant aux conseils que ces deux professionnels donnent aux jeunes intéressés par le métier, ils se résument en ces quelques mots : il faut prendre le train qui est en marche. Autrement dit, les tour-opérateurs et agences de voyages du pays ont besoin de jeunes passionnés de tourisme. Guide touristique : histoire d’une passion Il est guide touristique et accompagnateur. Il collabore depuis de nombreuses années avec la même agence de voyages, au Liban comme en Turquie, en Égypte, en Jordanie ou en Syrie. Pierre Ananiguian parle de la passion qu’il éprouve pour son métier, des qualités indispensables pour bien réussir mais aussi des satisfactions et des difficultés de la profession. La passion se lit dans ses yeux lorsqu’il parle d’histoire, d’archéologie, de civilisations. « Il faut savoir raconter l’histoire dans plusieurs langues, selon l’envie de savoir de chacun. Il faut aussi la rendre vivante », dit-il. Conduire un groupe, au Liban ou à l’étranger, n’est pas une tâche facile. Aimer le contact avec les gens est primordial. Il est aussi important d’être cultivé, bien informé, prêt à parler et à répondre aux questions à n’importe quel moment mais aussi oublier ses soucis et être gai. Être guide implique de commencer ses journées tôt et les terminer tard mais aussi de ne pas craindre les déplacements constants. La satisfaction est d’ailleurs immense lorsqu’on réalise que le message est passé, que le groupe est content, qu’il estime en avoir eu pour son argent. Certes, les difficultés sont nombreuses dans la profession, car le guide est tributaire de la situation régionale et de la demande. « Le guide est un free-lance, qui n’a ni salaire mensuel ni sécurité sociale », poursuit Pierre Ananiguian. « S’il n’y a pas de touristes, il se retrouve au chômage. Mais lorsque le travail va bien, il est parfois contraint de vivre loin de sa famille durant plusieurs mois, lors d’accompagnements de groupes à l’étranger. » Les satisfactions matérielles compensent les petites difficultés de la profession, le tarif d’un guide évoluant entre 50 et 75 dollars par jour. Encore faudrait-il que le tourisme se développe davantage, afin qu’il ait la possibilité de travailler plus de 200 jours par an. Mêmes études, deux parcours différents Elles ont fait des études de tourisme à l’USJ, mais ont pris des directions différentes, après avoir toutes deux débuté dans une agence de voyages. Diala Semaan et Rita el-Murr ont 24 ans et racontent leurs parcours professionnels, les satisfactions, mais aussi les difficultés et les désillusions. Durant ses études universitaires, Diala Semaan a multiplié les stages au Liban et à l’étranger, avant d’être embauchée dans une agence de voyages locale, au terme de son dernier stage. « Mon premier salaire était de 500 dollars », raconte-t-elle, ajoutant qu’aujourd’hui, les diplômés sont engagés pour un salaire inférieur. Après des débuts prometteurs au comptoir où elle avait un contact direct avec la clientèle, la jeune femme s’est spécialisée dans les vols charters dont elle est aujourd’hui responsable, au bout de trois années d’expérience. « Je profite de nombreux avantages, observe Diala Semaan. J’ai des opportunités de voyages, d’ouverture, de rencontres, d’épanouissement. Quant à l’ambiance de travail, elle est familiale et agréable. Je suis très bien ici », dit-elle tout bonnement, refusant de révéler son salaire. Mais ce métier n’est pas de tout repos, selon les dires de la jeune femme. Le stress, les horaires difficiles, le travail intensif durant la période des vacances engendrent une importante fatigue, et il lui arrive de se demander comment elle pourra gérer ses horaires si elle envisage, un jour, de se marier. « Parfois même les nerfs lâchent », dit-elle simplement, ajoutant que la clientèle libanaise est très exigeante. Convaincue d’avoir fait le bon choix, malgré l’absence d’une politique gouvernementale, malgré l’absence des tour-opérateurs étrangers qui apporteraient une note d’excellence dans un secteur principalement composé d’entreprises familiales, Diala Semaan suit un DEA en tourisme, pour être encore plus professionnelle. Rita el-Murr a fait ses débuts dans la même agence que sa collègue. Mais elle n’a pas longtemps tenu le coup. « J’ai fait des études d’aménagement touristique, qui n’ont rien à voir avec le travail dans une agence de voyages », dit-elle, ajoutant que ce n’était pas vraiment alléchant. Engagée dans une chaîne hôtelière internationale, où elle a travaillé dans les relations avec la clientèle, mais aussi dans la réservation et le marketing, la jeune femme s’estime satisfaite. Après 3 ans d’expérience, elle est aujourd’hui en charge des ventes dans cette chaîne et avoue avoir trouvé sa voie. « Certes, le métier est difficile et fatigant car je me déplace constamment, et la compétition est dure, mais j’apprécie le contact avec les gens et les possibilités de promotion sont nombreuses », observe-t-elle. Mais qu’en est-il de sa formation ? « Elle m’a beaucoup aidée, même indirectement, estime-t-elle. Aujourd’hui, je sais communiquer. » Page réalisée par Anne-Marie EL-Hajj
Le Liban a franchi en 2003 la barre du million de touristes étrangers. Principalement issus des pays arabes, ces touristes viennent au Liban pour son climat, ses sites, ses montagnes, sa restauration et ses loisirs. Malgré l’instabilité régionale, les professionnels se montrent optimistes et se fixent désormais un nouvel objectif : attirer les visiteurs européens, américains...