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Actualités - INTERVIEWS

Interview - L’ancien président de la Chambre dément avoir provoqué Nabih Berry Hussein Husseini : Une faible minorité parlementaire représente la grande majorité des Libanais

S’il fallait élire un « homme de la semaine », Hussein Husseini l’emporterait haut la main. L’échange, mercredi dernier, entre M. Nabih Berry et lui, en plein hémicycle, fait désormais partie de l’anthologie du Parlement, un moment d’histoire, auquel les Libanais ont assisté en direct et qui a vu le président de la Chambre sortir de ses gonds, outrepassant ses prérogatives et faisant cavalièrement taire celui qui fut son prédécesseur à la tête du mouvement Amal et à la présidence de la Chambre. Cette réaction violente de la part de M. Berry pourrait laisser croire qu’il existe un contentieux personnel entre les deux hommes. Avec son calme légendaire, M. Husseini se contente de sourire, en croisant ses mains lisses et blanches. « Je n’ai de contentieux avec personne, dit-il. Mais si le président de la Chambre a si violemment réagi, c’est peut-être parce que mes propos ont porté. » En pénétrant dans son bureau feutré, où, en apparence, rien n’a changé depuis des années, on serait tenté de dire comme M. Berry que cet homme est attaché au passé. M. Husseini sourit avec sérénité. « Je ne vois pas où est le mal à être attaché au passé. Je suis même fier de mon histoire. Si citer les premiers califes me classe dans la catégorie des réactionnaires, cela ne me gêne nullement. Pour moi, la vie est une continuité entre le passé, le présent et le futur. Je suis donc, certes, attaché au passé, dans mon inconscient et dans mes pensées, mais je suis aussi tourné vers le futur, puisqu’au cours des séances d’interpellation, j’ai cité Joseph Stiglitz, prix Nobel d’économie, qui, dans son dernier ouvrage paru en 2003, a analysé les effets néfastes de l’économie libre qui n’obéit à aucun contrôle. Il a même suggéré que l’État agisse comme une compagnie d’assurances qui, avant d’assurer une usine contre les incendies, l’oblige à se doter d’extincteurs »... « Le président de la Chambre n’est pas au-dessus des critiques » À son habitude, M. Husseini refuse de se laisser entraîner dans une polémique. Il préfère situer le débat sur le plan de la Constitution et du règlement interne du Parlement. Documents en main, il se réfère constamment aux textes de loi pour démontrer comment le chef du Législatif a, à plusieurs reprises, outrepassé ses prérogatives. Il refuse d’abord l’idée qu’il ait pu provoquer M. Berry. « Nous avions déclaré au cours de la première séance que nous ne voulions pas provoquer un problème avec le président de la Chambre, notre cible étant ailleurs. Mais la tension était déjà là, depuis que j’ai pris la parole pour la première fois. J’avais déclaré qu’il s’agissait d’une séance extrêmement importante puisque, fait sans précédent, le Parlement allait remplir son rôle de contrôleur de l’action du gouvernement. M. Berry avait alors rétorqué : c’est la faute de l’opposition qui est trop faible. Et je lui avais dit que les lois électorales adoptées produisaient des “autobus” qui empêchaient la formation d’une opposition efficace. M. Berry avait encore répondu : “Faites alors une loi qui produit des vélos” et j’avais riposté : “Nous comptons sur vous.” Ce premier échange avait électrifié l’atmosphère. Mais cela ne veut pas dire que j’étais dans mon tort. Il n’est nulle part dit que le président de la Chambre est au-dessus des critiques. Son rôle est de diriger les séances. Le règlement interne a d’ailleurs défini les cas qui autorisent le président de la Chambre à interdire à un député de prendre la parole et à rayer certains propos du procès-verbal de la séance. Les articles 50 et 75 sont très clairs et il n’y est nullement question de sanctions suite à des critiques adressées au président de la Chambre. Lorsque ce dernier est critiqué pour sa partialité en faveur du gouvernement, il doit répondre objectivement et prouver sa neutralité, surtout avec le cabinet actuel qui, dès sa naissance, avait été qualifié de gouvernement de M. Berry. » Pour M. Husseini, la Constitution a donné une immunité au député sur le plan de la liberté. On ne peut lui demander des comptes sur ses propos, mais uniquement sur ses actions. C’est pourquoi, selon lui, M. Berry n’avait pas le droit de lui interdire de parler. L’ancien président de la Chambre relève aussi qu’il y a eu une véritable confusion au niveau de la procédure suivie pour l’interpellation présentée par le Front national pour la réforme dont il est membre. « D’autant qu’en entrant dans l’hémicycle, on nous a remis le nouveau règlement interne, adopté presque en catimini, qui prévoit, entre autres, un amendement de l’article 135. Le temps de parole des députés qui présentent une interpellation est réduit et ils n’ont plus le droit de répondre au gouvernement. En d’autres termes, l’espace de dialogue est réduit et les débats deviennent des monologues. On ne veut plus laisser les députés s’exprimer au Parlement. C’est une grave violation des principes parlementaires. Devant nos protestations, M. Berry a proposé un compromis : pour cette fois, nous reviendrons aux anciennes procédures, parce que vous n’étiez pas au courant des amendements. Résultat, une procédure bâtarde a été adoptée, dans laquelle le député ayant présenté une interpellation n’a plus un droit de réponse. Finalement, la tendance à l’élimination de la vie parlementaire, pour n’en garder qu’une simple image, semble se préciser. À mon avis, tous les députés devront se battre contre cette tendance, car il s’agit d’une atteinte aux droits et aux libertés. » « Comment une minorité pourrait-elle provoquer un défaut de quorum ? » On a pourtant accusé le Front national pour la réforme d’avoir lui aussi souhaité le défaut de quorum pour éviter un vote de confiance qui aurait tourné en faveur du gouvernement. « Au contraire, réplique M. Husseini. Nous avons insisté pour qu’il y ait un vote de confiance, car nous voulions aboutir à un tri au sein du Parlement, qui aurait montré un début de rébellion de la majorité contre son chef. Car, si vous revoyez les deux séances, vous remarquez qu’aucun député proche du président du Conseil ou de celui du Parlement n’a pris la parole pour défendre le gouvernement dans le dossier du cellulaire. Les députés membres du bloc Hariri ont préféré sortir, par peur de l’issue du vote de confiance. Ce qui signifie bien que la position du gouvernement était indéfendable. La question était pourtant très simple : qui est avec la poursuite du détournement des fonds publics, aux dépens de ceux qui sont en droit d’en profiter, c’est-à-dire les citoyens ? Quant à l’accusation lancée par le gouvernement sur le fait qu’une faible opposition a réussi à provoquer un défaut de quorum, elle est totalement ridicule. Comment le pourrait-elle si elle est tellement minoritaire ? » Cette interpellation était la première action concrète du Front national pour la réforme. D’aucuns disent que ce fut un échec, puisqu’il n’y a pas une véritable mise en cause de l’action gouvernementale... « Je pense qu’il est trop tôt pour juger, rétorque M. Husseini. D’abord, nous avons réussi à remettre en place les cadres constitutionnels, après la razzia effectuée par les milices militaro-financières qui sont aujourd’hui au pouvoir. Ensuite, le chef du gouvernement a échoué dans sa tentative de donner au débat une coloration confessionnelle, en déclarant que tout le monde s’en était pris à lui, dans la volonté de s’attirer la sympathie de ses coreligionnaires. Pour notre part, nous avons réussi à maintenir le débat hors des considérations communautaires et confessionnelles. C’est cela notre principal objectif : soulever les questions qui touchent au Trésor public et rassemblent tous les Libanais, loin de toutes les considérations confessionnelles et communautaires. C’est pour cela que le Front a été formé. Et après le cellulaire, nous présenterons d’autres interpellations, sur le même genre de dossiers, qui sont d’ailleurs légion, comme celui de l’EDL, par exemple. L’objectif est de trouver les thèmes qui rassemblent l’opinion publique et de parvenir à constituer des blocs parlementaires. La séance d’interpellation de mardi et mercredi n’est qu’un début. Elle a donné un nouvel élan et elle a montré qu’une minorité parlementaire représente la grande majorité des Libanais, alors que la majorité parlementaire ne représente qu’une infime partie de la population. » « Depuis dix ans, le pouvoir gouverne avec l’esprit de l’accord tripartite » Mais on voit mal ce qui pourrait être fait pour que cela change ? « Je crois que nous sommes à un tournant historique. Le pouvoir en place qui, depuis 1992, a refusé d’appliquer la Constitution et le document d’entente nationale, préférant gouverner dans l’esprit de l’accord tripartite, a provoqué la faillite de l’État et du système. Selon l’esprit de l’accord tripartite, il s’agit de partager les régions, l’argent et les confessions, avec un leader unique par communauté. C’est ce système qui a abouti à une dette publique de 36 milliards de dollars, sans compter les dépenses non déclarées. Mais la faillite de l’État ne signifie pas celle du pays, même si nous sommes actuellement dans une terrible impasse, accentuée encore par l’hémorragie humaine dont nous souffrons à cause de l’émigration massive des jeunes. Nous voulons rétablir le contrôle et la surveillance, neutralisés par le fait que les auteurs d’infractions se réfugient derrière leurs confessions pour éviter toute remise en cause. Avec cette interpellation, nous avons commencé à ébranler l’édifice. Et nous voulons aboutir à une loi électorale équitable, qui assure une meilleure représentativité et qui permettra un remodelage du pouvoir. » On accuse le Front de faire fuir les investisseurs, en donnant une mauvaise image du Liban. « Dans nos banques, il y a 54 milliards de dollars en dépôt. Sans compter les 60 milliards de dollars revenant à des Libanais et qui se trouvent dans les banques étrangères. Il y a donc beaucoup d’argent à investir. Mais ce qui empêche les investissements, c’est la méfiance qu’inspire le gouvernement. Ce qui pourrait rétablir la confiance, c’est une loi électorale normale, un pouvoir judiciaire indépendant, la stabilité politique et un plan de développement pour tout le Liban. Ceux qui nous accusent de faire fuir les investisseurs sont ceux qui appuient la politique du gouvernement, qui depuis dix ans a entraîné la faillite de l’État... » Et pour conclure, une dernière pointe à l’adresse du président du Conseil qui avait déclaré : « Dieu m’a placé dans une position qui me permet de représenter ce qu’il y a de mieux au Liban, sa capitale, Beyrouth. » « On croirait entendre George W. Bush qui déclare avoir été envoyé par Dieu pour sauver le monde, commente M. Husseini. Nous voilà devant une nouvelle race de prophètes... » Scarlett HADDAD
S’il fallait élire un « homme de la semaine », Hussein Husseini l’emporterait haut la main. L’échange, mercredi dernier, entre M. Nabih Berry et lui, en plein hémicycle, fait désormais partie de l’anthologie du Parlement, un moment d’histoire, auquel les Libanais ont assisté en direct et qui a vu le président de la Chambre sortir de ses gonds, outrepassant ses...