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Actualités - INTERVIEWS

Interview - Le ministre des Télécoms relève que dès 1994, les opérateurs ont commis des irrégularités Cardahi à « L’Orient-Le Jour » : L’argumentation de Siniora est biaisée parce que fondée sur une vision partielle

Où se situe la vérité dans la petite guerre des chiffres que le ministère des Télécommunications et le ministère des Finances se livrent au sujet des revenus de la téléphonie mobile, notamment depuis que la propriété du réseau a été transférée à l’État le 31 août 2002 ? Les ministères concernés ont-ils tous les deux tort, ou plutôt tous les deux raisons ? Les divergences seraient-elles dues à une lecture différente des chiffres ? À l’évidence, cette querelle comptable cache mal la véritable dimension politique du litige qui pose tout le problème des pratiques du pouvoir et, surtout, de l’imbrication des intérêts privés et publics au niveau de certains hauts responsables (voir «L’Orient-Le Jour» du 27 février 2004).Dans une interview à L’Orient-Le Jour, le ministre des Télécoms, Jean-Louis Cardahi, tente de tirer au clair cette double lecture des chiffres, soulignant sur ce plan que son collègue des Finances, Fouad Siniora, occulte dans son argumentation une partie de la réalité, ce qui explique que le bilan qu’il dresse des recettes du cellulaire paraît trompeur ou biaisé, en ce sens qu’il le révise intentionnellement à la baisse dans le but de minimiser les revenus des deux opérateurs. Mais avant de s’engager sur la voie tortueuse des chiffres, le ministre des Télécoms souligne, d’entrée de jeu, que l’on a souvent tendance à oublier que « c’est le Premier ministre qui a voulu rompre le contrat BOT contre vents et marées et contre notre avis ». « Ce n’est donc pas le ministère des Télécoms qui est responsable des conséquences de la résiliation du contrat », relève M. Cardahi. C’est précisément autour des conséquences de la rupture du contrat BOT que tourne la polémique. Le ministre des Télécoms se contente de dresser le bilan des recettes actuelles, telles qu’elles se présentent dans les faits et telles qu’elles ont été certifiées par le consultant international KPMG. Il souligne ainsi qu’entre le 1er septembre et le 31 décembre 2002, les revenus de l’État provenant du cellulaire ont augmenté de 24 millions de dollars par mois par rapport à la période du BOT. Entre le 1er janvier et le 31 décembre 2003, cet accroissement de revenus a été de 14 millions de dollars par mois en moyenne. Ce bilan est contesté par M. Siniora, qui veut déduire de ces recettes, notamment, l’amortissement et les intérêts (qu’il estime à 10 pour cent) des 180 millions de dollars que le gouvernement a versés aux deux opérateurs à la suite de la résiliation du contrat BOT. Le différend porte donc sur ce point précis : faut-il, dans l’estimation des revenus engendrés par le cellulaire, tenir compte simplement des recettes enregistrées, ou faut-il prendre en considération aussi les frais assumés par l’État du fait de la rupture du contrat, étant entendu que ce dernier facteur est conjoncturel et privisoire ? Commentant la lecture des chiffres faite par son collègue des Finances, M. Cardahi souligne que « M. Siniora a ignoré toute la période antérieure au 1/1/2003 ». « Les chiffres dont nous disposons, précise le ministre des Télécoms, montrent que si l’État avait pris le contrôle du réseau le 15/2/2002, au lieu du 31/8/2002, les revenus supplémentaires perçus par le gouvernement au cours de cette phase auraient été de 122 millions de dollars. Or, M. Siniora ne tient pas compte de ces 122 millions de dollars dans ses calculs. Il ne prend pas en considération, d’autre part, la période comprise entre le 31/8/2002 et le 1/1/2003. Durant cette période, l’accroissement des recettes perçues par l’État était de près de 24 millions, et non pas de 14 millions de dollars par mois, pour la période comprise entre le 1/1/2003 et le 31/1/2003. » Un raisonnement partiel M. Cardahi relève, par ailleurs, que « dans ses calculs portant sur la période s’étalant entre le 1er janvier et le 31 décembre 2003, le ministre des Finances souligne qu’il faut déduire des recettes le montant de 180 millions de dollars ». « Supposons qu’on veuille déduire cette somme, pourquoi faudrait-il alors calculer un taux d’intérêt de 10 pour cent, comme le souligne M. Siniora ? s’interroge-t-il. Cette somme a, en effet, été versée comptant et n’a pas été échelonnée. Elle a été payée en ayant recours à une avance du Trésor. Or, dans un tel cas, le taux d’intérêt, pour l’échéance de 2006, est de 8 pour cent et non pas de 10 pour cent. Sans compter qu’il est erroné de calculer un intérêt cumulé. » Le ministre des Télécoms souligne, en outre, que le ministre des Finances considère dans son argumentation que si l’État n’avait pas pris le contrôle du réseau, le 31 août 2002, les deux sociétés auraient versé près de 1,5 million de dollars d’impôts par mois chacune. « À mon avis, précise M. Cardahi, les sociétés n’auraient pas payé d’impôts car elles auraient dû provisionner en vue d’assurer le montant des mandats de recouvrement de 300 millions de dollars » (que le gouvernement réclame à chacun des deux opérateurs pour compenser le manque à gagner dû aux irrégularités commises par les sociétés). « Le fait que les opérateurs auraient dû provisionner pour assurer le montant des mandats de recouvrement implique aussi que les dividendes n’auraient pas été distribués et, par conséquent, que les impôts sur les dividendes n’auraient pas été payés, ajoute M. Cardahi. Ces différents facteurs expliquent les erreurs qui marquent l’argumentation de M. Siniora. Celui-ci se base sur un raisonnement partiel qui ne tient pas compte de toute la réalité d’une manière globale. Il aurait dû ainsi prendre en considération la date charnière du 15 février 2002 qui n’a pas été respectée, de même qu’il aurait dû inclure dans ses calculs la période comprise entre le 15 février 2002 et le 31 août 2002, d’une part, et entre le 1er septembre 2002 et le 1er janvier 2003, d’autre part. Même s’il voulait limiter son argumentation à la période du 1er janvier au 31 décembre 2003, il aurait dû tenir compte du fait que le taux d’intérêt sur les avances du Trésor est de 8 pour cent, et non pas de 10 pour cent, comme il l’a fait dans ses calculs. Si nous avions échelonné les 180 millions de dollars au lieu de les payer au comptant, le raisonnement de M. Siniora aurait été correct. » Le but recherché par Siniora Pour le ministre des Télécoms, toute cette argumentation se base sur la supposition que les revenus déclarés par les deux sociétés sont exacts. « Or, nous avons suffisamment d’indices qui montrent que les revenus déclarés ne sont pas exacts, souligne M. Cardahi. Nous avons décelé des anomalies qui tendent à le prouver et qui indiquent qu’il existe encore des fuites. Les outils de contrôle que nous avons installés ont permis de cerner et de réduire ces anomalies. » « Le but recherché par M. Siniora dans cette affaire est de démontrer que les sociétés n’ont pas fait autant d’argent qu’on le pense, affirme-t-il. M. Siniora tente ainsi de minimiser le profit des sociétés. Par ailleurs, je considère qu’à l’échéance de 2006 (date théorique de la fin du contrat BOT), la valeur du réseau ne peut pas être considérée comme nulle, comme le fait M. Siniora. Il estime qu’à cette date, la valeur de tous les actifs du réseau sera nulle car dans ses calculs, il amortit tous les actifs. Je conteste une telle approche car si cela était vrai, on n’aurait pas investi 36 millions de dollars par an pour développer le réseau. Les sociétés nous auraient livré un réseau fonctionnant, certes, suivant les dernières technologies, mais sans pour autant avoir développé le secteur. » Dressant un bilan critique de la gestion du dossier de la téléphonie mobile au début de la mise en service de ce secteur en 1994, M. Cardahi relève que dès le départ, les sociétés n’ont pas investi leur capital initial de 30 millions de dollars, comme elles auraient dû le faire. « Le gouvernement de l’époque, a souligné le ministre des Télécoms, les a autorisées à échelonner le capital de départ, contrairement aux termes du contrat. Dans le même temps, les opérateurs ont perçu des usagers un montant de 500 dollars par ligne vendue, ce qui leur a permis de se capitaliser. Cela était une erreur à la base car le contrat BOT impose un investissement initial de 30 millions de dollars pour chaque opérateur, ce qui n’a pas été fait. Cette lacune est contraire au principe même du BOT, qui stipule que la société doit d’abord investir puis opérer pour couvrir l’investissement. » Au stade actuel, et après avoir contourné habilement, grâce à sa détermination, toutes les embûches qui ont été dressées sur son chemin, le ministre des Télécoms s’emploie à relever le défi de l’adjudication qu’il vient de lancer pour conclure de nouveaux contrats de gestion. Et dans le même temps, une nouvelle bataille se profile, peut-être, à l’horizon : celle de l’instruction judiciaire engagée au sujet des irrégularités commises par les deux opérateurs actuels. À l’évidence, le dossier de la téléphonie mobile fera couler encore beaucoup d’encre. Michel TOUMA



Où se situe la vérité dans la petite guerre des chiffres que le ministère des Télécommunications et le ministère des Finances se livrent au sujet des revenus de la téléphonie mobile, notamment depuis que la propriété du réseau a été transférée à l’État le 31 août 2002 ? Les ministères concernés ont-ils tous les deux tort, ou plutôt tous les deux raisons ?...