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Actualités - OPINIONS

C’est extra !

La formule est devenue le refrain à la mode et point n’est besoin d’être mélomane pour y reconnaître la griffe du grand maître chanteur : « Non à la reconduction du mandat présidentiel... à moins que l’exigent des circonstances exceptionnelles. » À moins que la Syrie le souhaite, autrement dit, et le ministre Sleimane Frangié est à notre connaissance le seul proche de Damas à avoir publiquement mis les points sur les i. À défaut de saluer l’annonce ainsi faite aux Libanais, on ne peut qu’apprécier la franchise du propos. En espérant que le ministre de la Santé, qui convoite lui-même la première magistrature, fera école. Que l’on cessera enfin de se cacher derrière son petit doigt, qu’on se décidera à appeler un chat un chat. Car nul homme politique n’a entrepris à ce jour de dessiner ne serait-ce que l’ombre du contour de ces fameuses (et fumeuses) « circonstances exceptionnelles» qui commanderaient absolument que l’on fasse violence à la Constitution afin que le président Lahoud bénéficie d’une prolongation de bail au palais de Baabda. Penserait-on, touchons vite du bois, à quelque catastrophe naturelle – tremblement de terre, raz-de-marée, invasion de sauterelles ou chutes de météorite – qui désorganiserait le pays au point d’empêcher les députés de se retrouver en temps dû pour élire un nouveau chef de l’État ? Redoute-t-on quelque conflagration militaire à la frontière avec Israël, en relation avec le contentieux des fermes de Chébaa ? Ce serait oublier que l’infortuné Liban-Sud a enduré trente années de guerre sans qu’en soit troublé le sommeil officiel ; et qu’il n’a émergé de la violence, soit dit en passant, que pour se voir confier à la loi milicienne par un État démissionnaire. Ce serait oublier surtout que dans un contexte aussi éminemment, aussi énormément « exceptionnel » que celui de la guerre dite civile, ont été tout de même élus non moins de cinq présidents de la République. Et que ce n’étaient pas des nuées de sauterelles mais des averses d’obus de gros calibre qu’avaient à braver parfois les députés participant au scrutin. Le paradoxe suprême, c’est que l’exception n’est devenue la règle qu’une fois la paix rétablie sous le signe de l’accord de Taëf. Car de là où on pouvait attendre une régénération de la démocratie libanaise (ou si l’on veut à la libanaise), on s’est ingénié à nous bricoler un système à tel point impraticable, compte tenu des endémiques conflits entre les trois pôles communautaires du pouvoir, qu’il requiert le constant arbitrage du tuteur syrien. Circonstances exceptionnelles dites-vous ? Mais nous vivons et survivons depuis longtemps dans l’exception la plus funeste, dans la plus splendide anormalité, dans la plus pure aberration. Quoi de plus exceptionnel, en effet, qu’un État qui se prétend souverain – il célèbre même avec faste tous les ans sa mythique indépendance –, mais qui a fait de sa vassalité un code de gouvernement ? N’est-ce point chose exceptionnelle qu’aux rivalités d’influence qui paralysent l’action gouvernementale soient venus s’ajouter d’aussi scandaleuse manière l’enrichissement illicite, la course aux commissions, le partage pas toujours serein des secteurs d’affaires en territoires, dans le plus pur style des grandes familles mafieuses ? Et les législatives truffées d’irrégularités dont la moindre n’était pas l’incroyable abandon de l’isoloir, les abus des services, les arrestations illégales, les dénis de justice, tout cela n’est-il pas le comble de l’anormal ? La gestion du président Lahoud aurait-elle été « exceptionnellement » parfaite – et tout le monde n’est pas de cet avis – que cela n’y changerait rien : les Libanais ont soif de normalité, de démocratie, de justice, de respect des lois, à commencer par la plus fondamentale de celles-ci : la Constitution. Il n’y aurait pas d’exception s’il n’y avait pas la règle. Que l’on nous ramène de grâce à celle-ci, la seule exception souhaitable, en ces tristes temps de mensonge et de langue de bois, étant que l’on cesse enfin d’user et d’abuser de ce mot pour justifier l’injustifiable, d’en faire un alibi pour les atteintes aux droits des gens et à leurs espérances. Voilà bien qui serait prodigieusement, extra- ordinairement, exceptionnellement... exceptionnel.
La formule est devenue le refrain à la mode et point n’est besoin d’être mélomane pour y reconnaître la griffe du grand maître chanteur : « Non à la reconduction du mandat présidentiel... à moins que l’exigent des circonstances exceptionnelles. » À moins que la Syrie le souhaite, autrement dit, et le ministre Sleimane Frangié est à notre connaissance le seul proche...