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Actualités - REPORTAGE

Sexualité des jeunes : des tabous de taille, mais des comportements contrastés

La sexualité des jeunes: un sujet tabou dans notre société traditionnelle qui en refuse toute manifestation extérieure, plus particulièrement en dehors du mariage. Face à ce tabou, les comportements de la jeunesse libanaise sont si différents et si hétérogènes qu’il est difficile, voire impossible, de généraliser ou d’attribuer un comportement type à tel ou tel groupe socioculturel. D’aucuns assument ouvertement leur sexualité, d’autres la cachent, par peur du qu’en-dira-t-on. Certains vivent même une sexualité débridée, sans aucune retenue, alors que d’autres refusent la moindre manifestation extérieure hors des normes fixées par la société, autrement dit hors mariage. À travers cette grande diversité, transparaît une jeunesse qui donne l’impression de jouir d’une grande liberté mais qui est élevée dans le culte de la virginité de la jeune fille et dans le respect de la liberté du jeune homme; dans la reconnaissance des besoins physiques du garçon et le déni des pulsions sexuelles de la jeune fille. Une jeunesse qui paie encore souvent le prix de ses erreurs, faute d’avoir été informée. Dans ce contexte, comment se passe l’éducation sexuelle des jeunes Libanais ? Comment vivent-ils leur sexualité ? Ce relâchement des mœurs, souvent dénoncé par certains, est-il une réalité ou, au contraire, assiste-t-on à une résistance au changement ? Rencontre avec une psychologue, Marie-Thérèse Khair-Badawi, qui a entrepris il y a 20 ans et réactualisé une recherche sur la sexualité des femmes et mène actuellement, avec la psychologue Brigitte Khoury, une enquête sur la sexualité de 500 étudiants. Rencontre avec un gynécologue, le docteur Fayez Bitar, qui insiste sur la nécessité d’éduquer les jeunes à la sexualité sans risque, tout en prônant les valeurs familiales traditionnelles comme étant la base d’une éducation solide. Quelques témoignages de parents et de jeunes entre 16 et 25 ans étofferont notre dossier, montrant la grande hétérogénéité des comportements et des modes de pensée. La psychologue M.-T. Khair-Badawi: « Une jeunesse libérée ou au contraire conforme aux normes de la société traditionnelle » Culte de la virginité de la fille; respect des libertés du garçon Leur sexualité, les jeunes Libanais la pensent et la vivent de différentes façons. L’hétérogénéité des comportements est telle, toutes catégories socioculturelles confondues, qu’il est impossible de généraliser et de parler de manière globale de la sexualité de la jeunesse libanaise. C’est cette grande diversité des comportements, au sein d’une société traditionnelle, que tient à mettre en valeur la psychologue clinicienne Marie-Thérèse Khair-Badawi. Une hétérogénéité qu’elle a constatée au cours de ses entretiens cliniques, mais aussi dans les différentes recherches qu’elle a entreprises sur la question au cours des 20 dernières années. La société libanaise refuse les relations sexuelles des jeunes avant le mariage, mais aussi la moindre expression de cette sexualité. Pas question pour les jeunes de débattre en famille de ce sujet tabou; pas question non plus pour un jeune couple de s’embrasser en public. « C’est la définition même d’une société traditionnelle », explique Marie-Thérèse Khair Badawi. Comme pour confirmer cette constatation, est-il nécessaire de rappeler qu’il y a quelques mois de cela, de jeunes amoureux qui avaient osé s’embrasser dans un jardin public ont fini au commissariat, appréhendés par la police des mœurs? Hétérogénéité due aux migrations Dans ce contexte parfois répressif, les comportements des jeunes sur le plan de la sexualité sont donc d’une grande hétérogénéité: si certains se conforment aux normes fixées par la société, réprimant la moindre expression de leur sexualité avant le mariage, par peur de briser un tabou ou par respect des interdits fixés par leur famille, d’autres assument leur sexualité, librement ou en cachette, parfois même de manière débridée. « On ne peut généraliser, car filles et garçons ont une grande variété de comportements», observe la psychologue, ajoutant qu’il y aurait dans notre société autant de jeunes filles vierges que de filles non vierges. À titre d’exemple, une fille issue d’un milieu très conservateur du «jurd» peut très bien transgresser l’interdit et vivre librement sa sexualité, alors qu’une universitaire de Beyrouth, élevée plus librement, choisit de rester vierge jusqu’au mariage. Par ailleurs, on peut rencontrer dans un même milieu des filles de 17 ans qui veillent jusqu’à 5 heures du matin et d’autres de 23 ans qui n’ont jamais mis les pieds dans une boîte de nuit; des jeunes qui vont d’une aventure sexuelle à une autre, d’autres qui n’osent même pas embrasser leur partenaire, de peur de la répression sociale; des hommes qui jurent de n’épouser qu’une jeune fille vierge, d’autres pour qui la virginité ne revêt aucune importance. Cette grande hétérogénéité résulterait, selon les estimations de Mme Khair-Badawi, des nombreuses migrations de la population libanaise. Aussi, les jeunes qui sont partis et sont revenus au pays constituent-ils un groupe plus libre et sont considérés comme différents par ceux qui n’ont jamais vécu à l’étranger. Désireuse d’imiter ce groupe, la jeunesse libanaise donne l’impression d’une grande liberté sexuelle, d’où cette image stéréotypée, mais fausse, qu’il n’existe plus de filles vierges au Liban. Car la réalité est tout autre, et la résistance au changement importante. « En fait, explique la psychologue, nombreux sont ceux qui affichent une grande libération des mœurs et qui, en réalité, sont très conservateurs, notamment dans leur sexualité ». Une ignorance grave Une résistance qui porte les jeunes à vivre leur sexualité dans l’interdit. « Mais là n’est pas le problème, remarque Mme Khair-Badawi, car la transgression nourrit le désir ». Le véritable problème réside dans l’ignorance des jeunes en matière de sexualité. N’osant pas aborder avec leurs parents les questions qui les tracassent, ils accusent un manque flagrant d’information. « Nombre d’entre eux ne savent rien de la grossesse, de la contraception ou des maladies sexuellement transmissibles», précise-t-elle à ce propos, déplorant le nombre élevé de grossesses non désirées et, par conséquent, d’avortements. Avortements qui sembleraient être plus acceptés dans les mentalités que la contraception. « L’avortement est punitif pour la fille, alors que la contraception lui donnerait le droit à une sexualité sans reproduction, chose interdite dans notre société », note-t-elle à ce propos. Par ailleurs, il existe une nette différence entre l’éducation des filles et celle des garçons, de nombreux stéréotypes encourageant la sexualité du garçon et réprimant celle de la fille. Dans une même famille, le garçon peut ainsi veiller sans limites alors que sa soeur, même plus âgée, doit rentrer à des heures fixes. Pour se justifier, les parents disent que le garçon a des besoins physiques et des pulsions que la fille n’a pas; ils sous-entendent, en fait, que celle-ci ne peut pas désirer, mais juste être désirée; on la place ainsi dans une position de passivité et d’infériorité par rapport à l’homme, sous prétexte qu’elle est faible et doit être protégée. «Malheureusement, regrette Marie-Thérèse Khair-Badawi, on a souvent utilisé la différence des sexes pour affirmer le pouvoir masculin. Or les pulsions des garçons et des filles sont comparables. D’ailleurs, si le garçon a le droit d’avoir des expériences sexuelles, avec qui les aura-t-il, si ce n’est avec une fille ? » demande-t-elle. Le stéréotype le plus marquant existant dans notre société est le tabou de la virginité de la jeune fille. Or le premier rapport sexuel est aussi important pour le garçon que pour la fille. « Mais dans la société libanaise, l’hymen est un objet fétiche qui représente l’honneur de la jeune fille », explique la clinicienne. Preuve en est, le crime d’honneur qui est une pratique encore en vigueur dans les milieux les plus conservateurs et qui a même longtemps été toléré par les instances officielles. Certes, la virginité est une chose personnelle à chaque jeune fille mais, dans le but de préserver leur hymen, certaines se livrent à des rapports sexuels différents, comme la pénétration anale, pratique très répandue, non seulement au Liban mais dans l’ensemble des sociétés traditionnelles, à l’instar du flirt poussé et de la fellation. Une évolution en douceur Même au niveau des filles qui ne sont plus vierges, la virginité garde sa valeur fétiche. Elles racontent souvent qu’elles ne l’ont pas perdue à la légère mais avec un homme qu’elles aimaient ou avec leur fiancé. Elles admettent parfois l’avoir perdue par accident, par erreur, et avouent le regretter. Et pour éviter la disgrâce et le déshonneur, il n’est pas rare pour certaines d’avoir recours à des opérations de réparation de l’hymen, voire même de verser un liquide rouge sur le drap, durant leur nuit de noces. Certes, on assiste progressivement à une évolution en douceur des mœurs et des mentalités, à la maison comme à l’école. Certains parents jouent leur rôle de manière très naturelle, et il n’est pas si rare de voir des mères emmener leurs filles chez le gynécologue dès qu’elles réalisent que celles-ci sont susceptibles d’avoir des relations sexuelles. « Il ne s’agit pas d’encourager les jeunes à avoir des rapports sexuels, mais plutôt de bien les informer et les orienter de manière saine», observe à ce propos la psychologue. À l’école, l’éducation sexuelle fait désormais partie des nouveaux programmes, mais l’information transmise aux élèves est encore incomplète et insiste uniquement sur l’aspect biologique de la sexualité. D’ailleurs trop de parents refusent le principe même de l’éducation sexuelle de leurs enfants, craignant le passage à l’acte, mais aussi par peur de la sexualité de leurs enfants et plus particulièrement de leurs filles. « Pourtant, estime Mme Khair-Badawi, informer les jeunes ne va pas pour autant les encourager à passer à l’acte ». Qu’en est-il de l’aspect affectif qui intéresse les jeunes plus particulièrement ? Qu’en est-il de la réponse à leur curiosité quant à la naissance du désir sexuel, la virginité, le flirt, la masturbation, ou tant d’autres sujets qui les interpellent ? « S’il n’est pas toujours possible pour les parents et les éducateurs de répondre à toutes ces questions de manière ponctuelle, ils ont tout au moins le devoir d’informer les jeunes et de leur communiquer une certaine éthique jusqu’à un âge déterminé, tant dans leurs comportements et leurs relations de manière générale, qu’au niveau des questions relatives à la sexualité », conclut-elle. À un moment donné, il faut savoir leur donner l’autonomie dont ils ont besoin, non seulement au niveau de leur sexualité, mais dans leur vie quotidienne. Le docteur F. Bitar: « Le rôle des parents est de redonner aux jeunes les repères qu’ils ont perdus » L’éducation au sexe sans risque, une nécessité Le désir des jeunes, filles ou garçons, d’avoir des relations sexuelles est parfaitement normal. Incapables de se marier car financièrement dépendants de leurs parents, vu la longueur des études et la baisse du pouvoir d’achat, ils ressentent le besoin d’avoir un ou une partenaire hors mariage. Rencontre avec le gynécologue Fayez Bitar qui, évoquant les comportements des jeunes Libanais, insiste tout particulièrement sur l’importance de l’éducation à la sexualité sans risque et du rôle de la famille dans la transmission aux jeunes des valeurs traditionnelles. Le problème de la sexualité des jeunes ne se posait pas il y a un siècle. « À l’époque, on se mariait très jeune», observe le docteur Fayez Bitar. Aujourd’hui, ce problème se pose de manière accrue au Liban, «car une grande partie de la jeunesse, lâchée prématurément à l’étranger pour entreprendre des études, sans préparation aucune, a expérimenté la libre sexualité, dans des sociétés où les jeunes filles vierges sont considérées comme des parias». La société libanaise étant extrêmement conservatrice, nous assistons à un choc entre ces différentes cultures importées et la culture libanaise encore traditionnelle. Différents jeunes, différentes cultures, différents comportements: «Les contrastes sont nombreux, provoquant une perte des repaires de la jeunesse locale», déplore le gynécologue. D’une part, des jeunes très conservateurs qui refusent de vivre leur sexualité hors mariage, d’autre part, des jeunes qui la vivent sans restriction, multipliant les aventures et les partenaires. Mais ces pulsions sont-elles de même intensité chez la fille et le garçon? «Les pulsions sont présentes, tant chez la fille que chez le garçon, et leurs besoins sont équivalents», estime le docteur Bitar. Mais la jeune fille est généralement plus mûre et plus capable de se contrôler que le jeune homme. D’ailleurs, elle associe généralement le sexe à l’amour, et se donne alors entièrement, ce côté affectif étant pour elle la condition sine qua non de l’acte sexuel. Pour le jeune homme, le côté affectif est généralement relégué au second plan, car il ressent surtout le besoin d’assouvir ses pulsions. «Il est cependant important, estime-t-il, que les jeunes apprennent à développer leur volonté et à se retenir. Il est aussi important que l’acte d’amour soit basé sur des sentiments réels». Abordant le tabou de la virginité, le gynécologue constate qu’il est très ancré dans les milieux conservateurs, mais que son importance varie d’un milieu à un autre, d’un groupe social à un autre. «Pour garder leur virginité, un nombre important de filles a recours à des relations anales ou à la fellation», déplore-t-il. Prévenir les infections, les maladies et les grossesses Quant à la chirurgie réparatrice de l’hymen, il déclare la pratiquer lorsque la perte de la virginité représente un problème de taille pour la jeune fille et sa famille. « Mais, poursuit-il, la demande n’est pas aussi fréquente qu’on le pense. Elle se situe généralement au niveau des jeunes filles issues de petits milieux très conservateurs, qui ont eu un rapport sexuel accidentel ou qui ont été abandonnées par leur fiancé. Poussées par leur famille qui craint de ne pas les marier, elles demandent l’hyménoplastie». Quant aux filles qui ont une sexualité débridée, elles n’ont pas recours à la chirurgie réparatrice car elles n’accordent pas la moindre importance à leur virginité. «Il est important de remettre les pendules à l’heure », souligne le docteur Bitar, ajoutant que les jeunes ont besoin de conseils, d’un apport moral mais aussi de freins. «Ils doivent réaliser que la sexualité libre est synonyme d’infections et de maladies. Ils doivent savoir aussi qu’il n’est pas honteux d’attendre le mariage pour avoir des rapports sexuels », remarque-t-il. «Mon rôle, explique le gynécologue, est de prévenir les infections qui peuvent entraîner la stérilité et les maladies sexuellement transmissibles, comme les virus HIV et HPV (le sida et l’hépatite), mais aussi les grossesses non désirées ». Une prévention qui se fait par la sensibilisation des jeunes à la nécessité de se protéger. Aussi, insiste-t-il sur l’usage du préservatif durant toute la durée de l’acte sexuel, même lorsque la jeune fille prend la pillule, mais aussi sur la fidélité au sein des couples, ou carrément l’abstinence. «Par ailleurs, poursuit le médecin, mon rôle est d’informer les patientes et de leur donner des conseils sur différents problèmes qui les touchent». Information qui concerne autant la contraception et les infections ou maladies, que les menstruations, l’acné, la pilosité, ou même l’obésité. «Mon travail est aussi de limiter les séquelles physiques et psychiques de la sexualité des jeunes», observe le docteur Fayez Bitar. Des séquelles qui peuvent parfois être graves, non seulement en cas d’infection ou de maladie, mais aussi en cas de grossesse non désirée. Concernant ce dernier point, le docteur Fayez Bitar précise: «Lorsqu’une jeune fille enceinte s’adresse à moi, je me contente de lui donner des conseils et de l’orienter vers un médecin qui pratique l’avortement, car personnellement je ne le fais pas.» Et le gynécologue de conclure en insistant sur l’importance de la cellule familiale, mais aussi du rôle éducatif des parents. Des parents qui ne doivent pas abdiquer, mais guider et sensibiliser leurs enfants qui subissent une forte pression de la part de leurs amis et des médias. Les craintes d’une mère Dans cette famille, la sexualité n’est pas taboue, et pourtant, la mère n’a pas éduqué sa fille et ses garçons de la même manière. Car selon ses dires, la sexualité fait partie de l’épanouissement du garçon, alors que ce besoin n’est pas si urgent pour la jeune fille. « Mon mari penche pour une même éducation pour les garçons et les filles. Personnellement, j’accepte la sexualité de mon fils de 20 ans, mais je n’aimerais pas que ma fille vive une expérience sexuelle trop jeune. Je l’admettrais à 25 ou 26 ans, lorsqu’elle sera plus mûre. Mais je serais déçue si j’apprenais qu’elle l’a eue à 17 ou 18 ans. Je sentirais qu’elle n’a pas saisi les valeurs que j’ai voulu lui communiquer ». Des valeurs de respect de soi-même et de réputation, certes. Mais la crainte principale de cette mère est de voir sa fille trop s’impliquer dans une relation et d’être marquée par une éventuelle expérience sexuelle. « Car la fille est plus sincère que le garçon et se donne totalement, conclut-elle, et ce dernier peut parfois profiter de cette sincérité ». Les jeunes témoignent: des expériences tributaires du poids de la famille Leur sexualité, ils rechignent à en parler. Adolescents ou jeunes adultes, les filles et les garçons sont généralement pris de panique lorsqu’il leur est demandé de parler de leur expérience personnelle dans le domaine ou de donner leur avis sur tel point particulier. Pour éviter d’avoir à donner leur témoignage, certains prétextent hativement qu’ils n’ont aucune expérience dans le domaine; d’autres se prétendent fatigués et malades ou répondent tout simplement aux abonnés absents. C’est dire le tabou que représente le sujet pour ces jeunes Libanais. Quelques-uns d’entre eux, entre 17 et 24 ans, tous milieux confondus, ont néanmoins accepté de s’exprimer. Leurs témoignages, souvent très timides, ne prétendent en aucun cas refléter toute la réalité libanaise, mais juste montrer la diversité des avis. Avis qui confirment souvent les dires des deux spécialistes rencontrés. L’éducation qu’ils ont reçue, ils sont catégoriques à ce propos, n’est pas la même pour les filles et les garçons. D’un côté, les filles constatent avoir été élevées plus sévèrement que leurs frères, leurs cousins ou leurs camarades de sexe masculin, d’un autre côté, les garçons eux-mêmes se rendent compte de cette différence, à quelques exceptions près. « Mon frère aîné a l’autorisation de faire ce qu’il veut, de rentrer le soir à n’importe quelle l’heure, et même de passer la nuit en dehors de la maison. Alors que moi, on me fixe des heures limites parce que je suis une fille », remarque Myriam, âgée de 17 ans. « J’ai été élevé très librement, observe Karim, qui a 20 ans. Je sors et rentre chez moi quand ça me chante et mes parents ne me posent aucune question sur ce que je fais. D’un côté, c’est très agréable, d’un autre, je n’ai pas toujours été capable de différencier entre le bien et le mal ». Quant à l’éducation sexuelle, c’est généralement à l’école qu’elle est la plus complète, puisqu’elle fait dorénavant partie des programmes scolaires. Ça et là, les parents les plus ouverts tentent d’expliquer à leurs enfants les rudiments de la sexualité, mais cette pratique n’est pas très courante, et nombreux sont ceux qui n’ont pas toujours de réponses à leurs questions. « Ma mère a déposé des livres dans ma chambre et a discrètement favorisé des échanges entre nous », raconte Muriel, âgée de 18 ans, ajoutant que cette information a été complétée par l’école. « Mais je ne suis pas très à l’aise d’aborder ce sujet avec ma mère, précise-t-elle. Je préfère poser les questions qui me tracassent à quelqu’un d’autre ». Dans certaines familles, ce sujet est tout simplement escamoté, comme s’il n’existait pas. Dans la famille de Leyla, âgée de 22 ans, ce sujet n’a jamais été abordé car il était considéré comme honteux. « Ma mère était très timide et je n’osais rien lui demander. C’est d’ailleurs ma maîtresse d’école qui m’a tout expliqué à l’âge de 13 ans », se souvient-elle. Quant à Abir, aujourd’hui âgée de 24 ans, c’est dans les magazines qu’elle a puisé ses informations sur la sexualité. Fixer des limites Sortir seules avec un jeune homme est une permission que de nombreuses filles n’ont pas. Parfois même, conditionnées par leur éducation, elles évitent de leur propre chef les rencontres intimes, de peur des conséquences ou du qu’en dira-t-on. « Je sors avec mon copain en cachette, car je sais que mon père refuserait de me laisser sortir ou alors exigerait que l’on se fiance », raconte Leyla. De son côté, Myriam refuse de se retrouver seule avec son ami. « Je fixe des limites pour éviter de me retrouver dans une situation embarrassante. Pour le moment, je ne me sens pas prête à aller plus loin qu’un baiser ou un câlin. Je suis trop jeune », dit-elle. « Éviter une situation embarrassante, fixer les limites, garder ses distances », c’est tellement plus simple, car « on pourrait perdre le contrôle » et faire des bêtises. « Ce n’est pas bien, observe Leyla. J’ai tellement peur du qu’en dira-t-on ». Leurs propos sous-entendent, en fait, leur refus d’avoir des relations sexuelles avec leur ami et de perdre leur virginité de manière précoce ou même pour certaines, avant le mariage. « Je ne vais pas plus loin que le minimum, dit Nawal, âgée de 23 ans. Je sens que le but de chaque homme est de coucher avec une fille. Je suis prête à attendre jusqu’au mariage pour vivre ma sexualité, car je ne voudrais pas regretter d’avoir fait une erreur ». « Ma virginité? Je ne la prends pas à la légère, estime Muriel. C’est quelque chose de très personnel. Mais je ne pense pas attendre le mariage». «J’ai juste besoin de maturité », dit-elle simplement. Et pourtant, de nombreux jeunes vivent leur sexualité, librement ou en cachette. « Personnellement, je vis librement ma sexualité. Je ne peux en dire autant des filles que je fréquente. Mais je respecte leur décision », explique Karim. Il en est de même pour Amer, qui, à 24 ans, vit une relation régulière avec sa copine. « Nous n’avons rien à cacher. Nous assumons notre sexualité, et nos parents sont au courant de notre relation », dit-il. Mais il ajoute que depuis, les relations de sa copine avec son père se sont détériorées. « Il n’admet pas que sa fille ait des relations sexuelles avant le mariage. Il trouve que c’est honteux, que ça ne se fait pas ». Et pourtant, pour Amer et son amie, qui sont ensemble depuis quelque temps déjà, la chose est venue naturellement. Il en a été de même pour Abir, qui vit une sexualité normale avec son fiancé, malgré le tabou que le sujet représente dans sa famille. « Ma sexualité ne regarde que moi, dit-elle. On m’a trop longtemps dit que la sexualité était un interdit religieux et social. On m’a trop longtemps mise en garde contre les hommes. On m’a trop longtemps dicté ma conduite. Mais aujourd’hui, j’assume. Et je suis convaincue de la nécessité de vivre ma sexualité avant le mariage. » Abir assume sa sexualité, certes, mais à l’instar de l’immense majorité des jeunes filles, elle ne l’étale pas au grand jour, pour éviter les heurts avec sa famille très conservatrice. PAGE RÉALISÉE PAR ANNE-MARIE EL-HAGE
La sexualité des jeunes: un sujet tabou dans notre société traditionnelle qui en refuse toute manifestation extérieure, plus particulièrement en dehors du mariage. Face à ce tabou, les comportements de la jeunesse libanaise sont si différents et si hétérogènes qu’il est difficile, voire impossible, de généraliser ou d’attribuer un comportement type à tel ou tel groupe...