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VIENT DE PARAÎTRE - « Mirages », de Issa Makhlouf La poésie comme outil d’écoute du monde et de soi

Et qui a dit que la traduction ne livrait pas l’âme ou l’essence d’un texte coulé dans sa version originale? On a toujours voulu soutenir que Schehadé et son parfum poétique sont intraduisibles. Et pourtant… On l’a retrouvé sur scène dans la langue de Gibran, et l’étonnement et la fascination accompagnent toujours son monde de rêve, de transparence, de féerie ou simplement d’aventure. Aujourd’hui arrive, en sens inverse et comme un irréfutable démenti, un livre remarqué et remarquable déjà dans son premier jet arabe. Il s’agit de «Ayn as-Sarab» de Issa Makhlouf (Dar an-Nahar). Recueil de pensées, de réflexions, d’observations, d’analyses, de méditations dans une prose poétique, frémissante d’une vie secrète et imprégnée de mysticisme. Traduit (et publié avec le concours du Centre national du livre en France) en français par Nabil el-Azan (connu du public en tant que metteur en scène et qui a signé récemment la pièce à succès Le collier d’Hélène). Ce nouvel ouvrage garde toute sa saveur, sa force et porte le titre simple et clair de Mirages (Éditions José Corti-168 pages). Parcours non tortueux mais sans but précis si ce n’est celui de capter la vie et les pulsations de tout ce qui nous fait vibrer et espérer. Et de débusquer la part d’ombre qui habite chacun de nous. De vivre aussi dans la lumière, si l’on peut. En exergue, ces quelques mots qui en disent long sur la part d’indicible dans toute vie et le processus de l’écriture même : « Ce que je raconte aujourd’hui, ce sont les histoires que j’aurai espéré entendre. Ce que je raconte n’est qu’une part de ce que je n’ai pas vu ; si j’avais vu, je n’aurais pas raconté. » Un ouvrage qui interpelle Un curieux livre qui interpelle dès les premières pages. Avec tendresse, émotion, sensibilité, sans jamais forcer la dose. Sans trame ni rebondissement dans la narration, la voix de l’auteur s’impose dès les premières lignes. Aussi captivant qu’un roman est ce recueil où la poésie est grave sans être lourde ou larmoyante, légère sans être volage ou inutilement (ou pompeusement) fleurie. Comme chez Cioran, il y a un souffle, une chaleur, une densité, une continuité malgré le décousu des apparences. De quoi parle un poète, essayiste et anthropologue qui a vu les couchers de soleil en Amérique latine, qui aime Borges et qui n’ignore rien de la violence de la beauté de la terre libanaise puisqu’il y est né et qui lui appartient irrémédiablement… Le temps est son allié-ennemi. Alors le «mage» et le « voyant » ausculte et consulte les déchirures, les ruptures, les séparations, les vivants et les morts. Il interroge la nature, ses éléments, ses créatures, ses énigmes. Tessiture complexe et insaisissable qui fait le terreau de cette prose somptueuse où la culture a ses références (discrètes mais sûres), où l’amour a ses cris et ses murmures, ses triomphes et ses défaites, où l’énigme de l’existence se dévoile lentement, parcimonieusement. Comme une huître s’ouvre timidement à la lumière pour laisser choir sa précieuse perle. Un être est à l’écoute du monde et de soi, voilà les propos ciselés de main d’orfèvre de cet auteur qui chasse avec doigté tout ce qui l’environne pour mieux se comprendre et comprendre la vie. Et pas étonnant si, en fin du livre, vivent, en petits portraits brûlants comme des icônes entourées d’un halo d’encens, les parcours de Hallaj, de saint François d’Assise, de Rabia de Bassorah, de sainte Thérèse d’Ávila, de Siméon le stylite. Au-delà de la mort, les mots sont-ils encore de quelque usage? Pour le moment, le poète parle, on l’écoute et on retient ses dernières paroles, demande de miséricorde et de mansuétude: «Le voyageur va seul. S’adressant au ciel, il crie : où es-Tu et qu’as-Tu fait ? Pourquoi m’as-Tu abandonné ? Toi qui accordes le feu aux volcans, accorde-moi de quoi assouvir ma soif. Accorde-moi un seul instant de quiétude et qu’il soit grand comme la terre et comme le monde. » Edgar DAVIDIAN
Et qui a dit que la traduction ne livrait pas l’âme ou l’essence d’un texte coulé dans sa version originale? On a toujours voulu soutenir que Schehadé et son parfum poétique sont intraduisibles. Et pourtant… On l’a retrouvé sur scène dans la langue de Gibran, et l’étonnement et la fascination accompagnent toujours son monde de rêve, de transparence, de féerie ou...