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Actualités - CHRONOLOGIE

Échange de prisonniers - Accord conclu entre le Hezbollah et Israël après trois ans de négociations serrées Nasrallah : 23 Libanais, 400 Palestiniens, 12 Arabes et 59 dépouilles en échange de 4 Israéliens

L’annonce est officielle et le ton modeste est celui de quelqu’un qui ne veut laisser percer aucun triomphalisme. Pourtant, en répondant aux questions des journalistes, pendant la conférence de presse organisée à la hâte, hier à 13 heures, sayyed Hassan Nasrallah n’a pas pu s’empêcher de sourire, heureux, soulagé, comme l’athlète, à la suite d’une brillante performance. Après trois mois de silence total sur les négociations et alors que beaucoup pensaient que l’échange était renvoyé aux calendes grecques, la nouvelle représente une merveilleuse lueur d’espoir dans un quotidien sinistre. Le Hezbollah a tenu ses promesses et l’accord tant attendu sur l’échange des prisonniers a bel et bien été conclu : quatre Israéliens contre près de 500 détenus libanais, palestiniens et arabes, ainsi qu’une cinquantaine de dépouilles mortelles. Annoncée par le médiateur allemand, confirmée par le Hezbollah et le gouvernement israélien, l’opération n’attend plus que sa concrétisation, jeudi et vendredi. Les analystes sceptiques pourraient y voir une concession du Hezbollah, qui affirmait en novembre, par la voix de son secrétaire général, qu’il n’y aura pas d’échange n’incluant pas le doyen des prisonniers arabes, Samir Kantar. Mais sayyed Nasrallah a balayé l’idée avec un sourire. « Chacun est libre de dire ce qu’il veut », a-t-il déclaré devant des représentants de la plupart des médias libanais et étrangers présents au Liban. « En ce qui nous concerne, nous pensons que l’échange en deux étapes arrange aussi bien le Hezbollah que les Israéliens. La première étape se déroulera jeudi et vendredi, et portera sur la libération par le Hezbollah des quatre Israéliens qu’il détient, alors qu’Israël libérera, de son côté, 23 Libanais, 5 Syriens, un Libyen, 3 Soudanais, 3 Marocains et un Allemand accusé de travailler pour le Hezbollah, ainsi que 400 Palestiniens. La seconde étape aura lieu dans deux ou trois mois et sera liée aux informations recueillies au sujet du pilote israélien Ron Arad. Si Israël juge les informations satisfaisantes, il libérera d’autres Palestiniens et, bien entendu, Samir Kantar, et il communiquera à son tour des informations sur les diplomates iraniens disparus au Liban en 1982. » Prendre de vitesse les Israéliens Telles sont donc les grandes lignes de l’accord. Devant les journalistes, Nasrallah est entré dans les détails, voulant prendre de vitesse les Israéliens, spécialistes dans les fuites aux médias. Le secrétaire général du Hezbollah a ainsi révélé que l’accord a été conclu vendredi soir, le médiateur allemand Ernst Uhrlau ayant reçu l’approbation des deux parties. Il avait alors demandé à Nasrallah, qui, depuis le début des négociations il y a trois ans, s’est chargé personnellement du dossier, de divulguer la nouvelle dès samedi, ne pouvant garantir le respect du secret de la part des Israéliens. Nasrallah a trouvé que c’était un peu tôt, mais se rendant compte qu’avec la réunion du gouvernement israélien, dimanche, il sera bien difficile de garder le secret « surtout, a-t-il précisé, qu’en Israël, comme dans d’autres pays (l’allusion est claire et a provoqué les rires de l’assistance), avant même la fin de la réunion, les ministres transmettent par téléphone les informations aux journalistes ». Il a donc choisi de laisser filtrer la nouvelle samedi soir et de tenir une conférence de presse dimanche. « Tout s’est donc passé un peu à la hâte, a-t-il précisé aux journalistes. Et nous ne connaissons pas encore les détails de l’opération de l’échange ainsi que les noms des Palestiniens qui seront libérés, mais j’ai préféré vous livrer l’essentiel de la nouvelle et nous aurons le temps de vous en dire plus ultérieurement. » Autant pour les préparatifs. Reste le scénario. Quatre volets et des détails encore flous Selon sayyed Nasrallah, la première étape comporte quatre volets. D’abord la libération des 23 Libanais détenus actuellement en Israël. Seront exclus, dans cette étape, Samir Kantar, mais aussi deux Libanais, Yehia Skaff, dont Israël dément la présence dans ses geôles, et Nassim Nasr, juif par sa mère et considéré par Israël comme étant un des siens. S’il y a encore d’autres noms, ils seront réclamés ultérieurement. Ces détenus seront remis au médiateur allemand, qui surveillera leur retour à Beyrouth à bord d’un avion allemand, jeudi, où ils recevront un accueil national et populaire. Parmi ces 23 Libanais, il y aura bien entendu cheikh Abdel Karim Obeid, enlevé par les Israéliens le jour de la fête de l’Adha, en 1989, et hajj Mohammed Dirani, enlevé de son domicile dans la Békaa, en 1994, mais aussi d’autres résistants du Hezbollah, du mouvement Amal et du PCL. Il faut signaler toutefois que le Hezbollah n’a pas réclamé les prisonniers libanais de droit commun détenus en Israël, ne s’intéressant qu’à ceux qui ont été arrêtés dans le cadre de la résistance. En même temps que les Libanais et les autres Arabes seront remis au médiateur allemand, le Hezbollah enverra, à bord d’un avion allemand, les quatre Israéliens qu’il détient. Mais à quelques jours de l’opération et alors que l’accord a été conclu, Nasrallah a préféré ne pas préciser s’ils sont morts ou vivants. Avec un petit sourire, il s’est contenté de dire : « Les Israéliens sont convaincus depuis longtemps que les trois soldats sont morts. Ils verront jeudi s’ils ont raison ou non. Pour notre part, nous pensons que nous avons encore intérêt à maintenir le suspense. » Le colonel à la retraite Elhanan Tenenbaum serait en tout cas assez malade, ce qui a sans doute pesé sur la décision israélienne de conclure l’accord avec le Hezbollah. 59 dépouilles de combattants et des informations sur 24 disparus Le second volet est prévu pour vendredi et il consistera en la restitution par Israël des dépouilles mortelles de 59 combattants. Le convoi arrivera à Nakoura et là aussi il recevra un accueil officiel et populaire. De même, Israël s’engage à fournir des informations sur 24 disparus libanais. « C’est vrai qu’il y en a bien plus, a précisé sayyed Nasrallah. Mais pour l’instant, c’est ce que nous avons pu obtenir. Si les proches de ces disparus détiennent des preuves de leur détention en Israël, qu’ils nous les remettent. Cela nous aidera dans nos négociations ultérieures. » Le troisième volet concerne les détenus arabes en Israël. Sayyed Nasrallah a déclaré que, dès novembre, les Israéliens avaient annoncé leur intention de traiter séparément le dossier des détenus jordaniens avec les autorités de ce pays. Ils en avaient d’ailleurs relâché 9, à la veille de la fête du Fitr, promettant de libérer les autres à la veille de l’Adha. « Pour le reste des détenus, nous avons demandé à tous les pays arabes de nous communiquer la liste des détenus, afin de les inclure dans les négociations. L’Égypte n’a pas répondu. Finalement, nous aurons, jeudi, 5 Syriens de ceux auxquels la nationalité israélienne n’a pas été imposée après l’annexion du Golan, trois Marocains, trois Soudanais et un Libyen, ainsi qu’un Allemand, arrêté en territoire occupé et accusé d’espionnage pour le compte de la Résistance. En plus des 400 Palestiniens qui seront renvoyés chez eux, à Gaza et en Cisjordanie, et non expatriés. » Le Hezbollah a d’ailleurs dû longuement négocier ce point, car les Israéliens auraient préféré se débarrasser des détenus libérés et les éloigner des Territoires. Enfin, dernier volet de la première étape, Israël devra fournir au Liban les cartes des mines posées sur son territoire. Ce qui a permis aux journalistes de parler d’une nouvelle libération du Sud, car, quatre ans après le retrait des Israéliens et de leurs alliés, le cauchemar des mines pourrait enfin prendre fin. La seconde étape devrait se dérouler dans deux ou trois mois. Entre-temps, des commissions seront formées par les deux parties, afin de recueillir des informations sur, d’une part, le pilote Ron Arad et, d’autre part, les diplomates iraniens disparus au Liban, ainsi que, éventuellement, sur d’autres disparus libanais et arabes. Selon Nasrallah, cette étape serait très importante car c’est là que les véritables intentions seront connues. « Si les informations que nous sommes appelés à recueillir sont jugées satisfaisantes, Israël pourrait libérer un grand nombre de détenus arabes, surtout que ses prisons renferment près de 7 000 Palestiniens, dont ceux ayant la nationalité israélienne. Nous espérons pouvoir briser le tabou selon lequel ils sont considérés comme des Israéliens et les ramener ainsi dans le giron arabe. » « Ron Arad n’est pas en Iran » C’est évidemment cette seconde étape, en raison du flou qui l’entoure, qui a inspiré les questions des journalistes présents. Le secrétaire général du Hezbollah a ainsi déclaré qu’il y avait en principe des garanties allemandes et israéliennes pour le déroulement de cette étape, mais qu’il n’accordait pas beaucoup d’importance aux garanties israéliennes. « En tout cas, si Israël ne tient pas ses promesses, nous garderons la possibilité de capturer des Israéliens, pour procéder à un nouvel échange. Il n’y a aucun engagement de notre part à renoncer à tous les moyens à notre disposition pour obtenir gain de cause. » Et, en réponse à une question, sayyed Nasrallah a lancé une petite bombe sur le ton le plus banal. Interrogé sur Ron Arad et le rôle de Téhéran, il a déclaré que les Israéliens sont convaincus que le pilote israélien serait en Iran. « J’affirme que ce n’est pas vrai et je le dis parce que j’ai personnellement suivi cette affaire. Les Iraniens le démentent, eux, aussi. » Ni les journalistes ni le sayyed n’iront plus loin. Par contre, au sujet des diplomates iraniens disparus au barrage de Barbara en 1982, il a précisé que cette affaire concerne tout le Liban, les diplomates ayant été accrédités auprès de l’État libanais. « Enfin, il nous est arrivé, au fil des échanges, de retrouver certains de nos compatriotes disparus au Liban et remis par les Forces libanaises aux Israéliens, juste avant la dissolution des milices. Il se pourrait que les diplomates en question aient suivi le même chemin. Nous espérons en savoir davantage. » Sayyed Nasrallah ne s’est pas étendu sur l’évaluation de cet accord, estimant qu’il sera temps, une fois la première étape terminée, de se lancer dans les analyses et les commentaires. Mais ceux qui suivent le dossier au Liban estiment que le Hezbollah, malgré son ton modeste, a quand même enregistré une grande victoire, puisqu’Israël a finalement admis le principe qu’il négocie au nom de tous les Arabes. C’est un élément très important pour la stature régionale que veut se donner le Hezbollah, qui devient ainsi le pilier de la résistance arabe contre Israël et le seul en mesure de soutirer des concessions aux autorités israéliennes à un moment où les États-Unis intensifient leur campagne contre lui. De son côté, Israël a obtenu gain de cause dans le cas de Samir Kantar, ce qui permet à Sharon de sauver la face pour quelque temps et d’obtenir des informations « substantielles » sur le sort de Ron Arad, ce qu’aucun gouvernement israélien depuis plus de 20 ans n’avait réussi à faire. C’est pourquoi, l’accord conclu vendredi soir paraît satisfaire les deux parties, puisqu’il leur permet à toutes les deux de consolider une situation interne assez difficile. Pour Sharon, empêtré dans ses affaires de corruption, l’accord arrive à point nommé, alors que le Hezbollah, critiqué par certaines parties locales, en plus de la campagne américaine menée contre lui, avait besoin d’une telle opération pour redorer son blason et revenir en force sur la scène locale. D’ailleurs, sayyed Nasrallah n’a pas manqué de le relever, en remerciant toutes les parties qui l’ont aidé dans ces négociations, à leur tête le chef de l’État, en disant : « C’est une époque où il faut du courage pour appuyer la résistance... » Dans ce dossier complexe, où l’humain et le politique sont étroitement liés, il reste encore beaucoup d’inconnues et de questions en suspens. Mais les familles des détenus qui seront libérés ne veulent pas trop réfléchir. Elles préparent dans les moindres détails le moment des retrouvailles. C’est à cette joie qu’il faut aujourd’hui penser. Scarlett HADDAD
L’annonce est officielle et le ton modeste est celui de quelqu’un qui ne veut laisser percer aucun triomphalisme. Pourtant, en répondant aux questions des journalistes, pendant la conférence de presse organisée à la hâte, hier à 13 heures, sayyed Hassan Nasrallah n’a pas pu s’empêcher de sourire, heureux, soulagé, comme l’athlète, à la suite d’une brillante...