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Actualités - OPINION

Longue conservation

C’est un fait établi : même dans les grandes démocraties, le pouvoir corrompt. À quoi ajoutait judicieusement Lord Acton, et cela vaut parfaitement pour notre région : le pouvoir absolu corrompt absolument. Qu’en serait-il donc dans un pays comme le nôtre où non seulement la politique et les affaires ont toujours fait le plus uni des ménages, mais où la notion même de pouvoir se trouve, depuis plus d’un quart de siècle, profondément viciée à la base, puisque tributaire de facteurs extraterritoriaux en tout point décisifs ? Nous vivons, il est vrai, dans une partie du monde où la charge de régenter un pays ne découle pratiquement jamais de la volonté populaire mais de celle de l’armée ou alors du parti – unique, cela va de soi – quand elle n’est pas transmise par simple héritage : le procédé n’étant plus désormais, au demeurant, l’apanage des monarchies, puisque la tentation dynastique a fini par gagner plus d’une martiale république. Dans ce singulier environnement, le Liban reste vaille que vaille un cas à part, objet d’envie pour les citoyens arabes, de méfiance pour leurs dirigeants. Ce que nous jalousent les premiers, ce sont nos institutions démocratiques, même si nous en faisons rarement bon usage, même si nous cultivons nous-mêmes le règne des grandes familles politiques, même si ce Liban de cocagne est après tout peuplé de Libanais individualistes, égoïstes ou fatalistes et enclins, en tout cas, à abîmer leurs joujoux. Ce qui fait rêver des millions d’Arabes menés à la baguette, ce sont nos traditions libérales et plus précisément notre liberté d’opinion et d’expression, lesquelles sont si bien ancrées dans nos mœurs qu’elles survivent invariablement à toutes les atteintes étatiques. Voilà qui suffit, aux yeux des gouvernants, à voir en nous l’exemple à ne pas suivre ; car, on vous le demande, où iraient les dictatures si on laissait les masses encagées savourer ne serait-ce qu’un avant-goût de liberté ? Mais ce n’est pas tout que d’être, au royaume des aveugles, un borgne roi. Car avec les manipulations auxquelles on soumet périodiquement les lois, avec le constant mépris de la règle de l’alternance (et ce n’est là qu’une des dérives de l’arraisonnement et de la satellisation du Liban), c’est le visage démocratique de notre pays que l’on voue à la momification, laquelle n’est qu’une décomposition figée dans le temps. Qui reste trop longtemps carré sur le même fauteuil finit par pourrir, vient de rappeler, caustique, un Walid Joumblatt qui pratique volontiers l’auto- dérision puisqu’il est lui-même issu d’une vieille lignée politico-féodale. Le leader druze visait ainsi l’inamovible président de l’Assemblée Nabih Berry qui, du Parlement, a fini par faire sa chose personnelle, s’assurant en quasi-exclusivité la faculté d’inquiéter sérieusement le gouvernement, mais dont le nom a été évoqué aussi à propos des irrégularités qui ont entraîné la récente catastrophe aérienne de Cotonou. C’est d’une calculatrice cependant qu’il faudrait se munir pour recenser tous les hommes politiques que l’on a beaucoup trop vus sur la scène, qui ont déçu, qui souvent se sont outrageusement enrichis et abondamment discrédités, mais qui, par on ne sait quelle funeste magie, y restent invariablement vissés... jusqu’à ce que certaine disgrâce éventuelle s’ensuive. Tous les ténors politiques ne sont pas, bien sûr, des parrains mafieux. Peu d’entre eux, pourtant, s’abstiennent de propulser à la députation ou au ministère – et plus prosaïquement aussi dans le monde des affaires –, qui un fils, qui un gendre et qui un conjoint. Il faut convenir de même que ces liens entre la politique et l’argent sont loin d’être la spécialité locale, et maints pays occidentaux d’ailleurs ont été secoués par des scandales ayant trait au financement des partis, comme l’est aujourd’hui la France avec l’affaire Juppé. La différence toutefois – et elle est énorme –, c’est que dans ces pays, la justice se saisit de tels scandales quand elle ne les débusque pas elle-même. Et qu’elle sanctionne d’une manière ou d’une autre leurs auteurs. Ces États-là sont tout simplement des États de droit. Et pour y faire de vieux os, les hommes politiques sont tenus de décliner d’autres références que leur haute teneur en agents conservateurs. D’importation.
C’est un fait établi : même dans les grandes démocraties, le pouvoir corrompt. À quoi ajoutait judicieusement Lord Acton, et cela vaut parfaitement pour notre région : le pouvoir absolu corrompt absolument.
Qu’en serait-il donc dans un pays comme le nôtre où non seulement la politique et les affaires ont toujours fait le plus uni des ménages, mais où la notion même de...