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Actualités - REPORTAGE

TÉMOIGNAGE - L’ancien détenu en Israël lance un appel à l’unité à travers « L’Orient-Le Jour » Moustapha Dirani : Les Israéliens m’ont enlevé avant la fin de mon enquête sur le sort d’Arad

Il a l’air d’un homme brisé. Hajj Moustapha Dirani essaie de donner le change, de se réfugier derrière la foi du croyant et les convictions du militant, mais dans ses yeux, toute lumière s’est éteinte et lorsqu’il sourit, aucune chaleur ne monte vers le regard. Il a beau évoquer tous les sujets, bien peu de choses le font encore réagir et c’est avec une sorte d’indifférence qu’il répond aux questions qui se veulent provocantes. Il ne le dit jamais, mais à tout moment, on croirait l’entendre s’écrier : « Je n’en suis plus là. » C’est avec détachement qu’il parle donc de l’aviateur Ron Arad, de son conflit avec Amal, du traître qui l’aurait vendu aux Israéliens et même des tortures humiliantes qu’il a subies dans les geôles israéliennes. « Aujourd’hui, dit-il, ma première ambition est de refaire connaissance avec ma famille. » Dans la banlieue-sud de Beyrouth, hajj Moustapha Dirani habite dans le carré sécuritaire contrôlé par le Hezbollah. C’est d’ailleurs ce dernier qui nous mène jusqu’à lui, une maison très vite identifiable aux portraits qui en ornent l’entrée, ainsi qu’aux fleurs et aux confiseries placées un peu partout, pour accueillir les nombreux visiteurs. Pourtant, en ce mercredi matin, les salons nouvellement aménagés dans la cour intérieure sont encore vides. Très entouré, hajj Dirani fait une entrée pénible, avançant difficilement en s’appuyant sur sa canne. Dans ses vêtements noirs et avec ses yeux et ses cheveux couleur d’ébène, il ressemble à un homme en deuil, plongé dans la douleur. Mais il n’y a aucune émotion dans sa voix. Qu’a-t-il éprouvé lorsque le chef de l’État lui a remis une décoration officielle ? S’y attendait-il ? « Selon ma conception de la résistance, qui doit défendre le pays, l’armée doit être à la tête des résistants et de ceux qui protègent les frontières internationales et œuvrent pour la souveraineté. C’est donc normal, à mon avis, que l’État honore les résistants. Surtout lorsqu’il a, à sa tête, un homme au sentiment national poussé, qui croit au Liban et à son appartenance arabe. Si, avant, cela n’avait pas toujours été le cas, avec le président Émile Lahoud, les choses sont rentrées dans l’ordre. Il constitue une garantie qui a permis à la résistance de faire partie de la grande action nationale qui vise à libérer le territoire et l’homme. En nous rendant hommage, c’est le Liban qu’on honore et sa victoire sur Israël, même s’il reste encore des problèmes en suspens comme ceux des réfugiés palestiniens qui doivent rentrer chez eux, comme nous venons de le faire, ou encore ceux d’autres prisonniers ainsi que l’occupation d’une partie du territoire. » L’exemple d’Émile Lahoud Mais n’a-t-il pas été surpris par un tel accueil officiel ? « Pas vraiment, puisque à partir de 2000, nous avions accès aux informations. Nous avons ainsi pu suivre les positions du président Lahoud et comprendre qu’il s’agissait chez lui de convictions stables. Nous espérons d’ailleurs que d’autres suivront son exemple, car ce sont ces principes qui ont renforcé le Liban, lui permettant d’enregistrer des victoires. » Aujourd’hui, n’a-t-il pas le sentiment que son sacrifice était trop grand et que somme toute, cela n’en valait pas la peine ? « Si vous me dites cela à moi, que direz-vous aux martyrs et aux handicapés de guerre ? Je crois en Dieu et dans la cause que je défends. Notre droit à la lutte me paraît sacré. C’est cette foi qui me permet d’être sûr de moi et de ne jamais perdre espoir. Quand j’étais en prison, je n’ai jamais regretté d’être un résistant. » En Occident, il aurait été pris en charge par des psychiatres. Ici, il doit s’en sortir tout seul. « Je ne suis pas seul. Ma foi est plus forte que tout et j’ai confiance dans la fidélité. Pour l’instant tout le monde m’entoure. » Comment a-t-il eu le courage de parler des tortures qu’il a subies ? C’est un sujet tabou dans le monde arabe... « Je n’en ai pas seulement parlé, j’ai aussi intenté un procès aux autorités, leur réclamant des dommages et intérêts. Ce n’est pas une question personnelle, même si je savais, en le faisant, qu’il y aurait des séquelles négatives sur ma famille, mon entourage et le regard des autres en général. Mais j’ai pensé qu’il fallait le dénoncer, même si cela faisait mal sur le plan personnel, pour éviter que cela ne se reproduise avec d’autres. D’ailleurs, mes accusations ont porté, puisqu’ils essayaient de se défendre et multipliaient les déclarations, sans apporter la moindre preuve de leurs affirmations et je leur disais que je n’avais pas confiance dans leur justice. Toute leur histoire montre qu’ils sont des menteurs. » « La famille du traître est venue chez moi » Le 21 mai 1994, il a été enlevé par un commando israélien alors qu’il se trouvait chez lui, à son domicile de Qsarnaba (Békaa). Peut-il encore se sentir en sécurité quelque part, après une telle expérience ? « Les procédés des Israéliens ne m’effraient pas. » Qu’est devenu Mohammed Hassan Dirani, le traître qui aurait fourni les renseignements aux Israéliens sur sa maison et ses déplacements ? « C’est un vague parent, mais nous n’étions pas du tout proches. J’ignore ce qu’il est devenu et cela ne m’intéresse pas. Mais je sais que les membres de sa famille m’ont envoyé des émissaires et je leur ai dit qu’ils pouvaient venir. Ce qu’ils ont fait. Pour moi, s’il y avait parmi eux un traître, cela ne veut pas dire qu’il faut les condamner tous. » On dit que le Hezbollah l’a arrêté puis exécuté ? « Je ne sais pas. Je voudrais toutefois demander à ceux qui sont comme lui ce qu’ils ont retiré de tels actes, sinon la honte pour eux, pour leurs proches et pour le pays dans son ensemble. S’ils étaient venus dénoncer les plans israéliens, ils feraient aujourd’hui partie de ceux qui sont honorés. Je demande donc à tous ceux qui sont prêts à trahir leur pays pour de l’argent de revenir à la raison et au droit chemin. Je demande aussi à leurs proches, s’ils savent quelque chose, de venir le dire pour sauver le traître malgré lui et se sauver eux-mêmes. Car j’imagine combien il doit être difficile pour une famille d’avoir un traître en son sein. Je sais que certains pères ont offert des pâtisseries à l’annonce de la mort de leurs fils collaborateurs. D’ailleurs, tous devraient tirer les leçons qui s’imposent après le sort qui a été réservé à l’ALS. » Les familles agissent ainsi peut-être par peur... « Il ne faut avoir peur que de Dieu. Enfin, si elles ont peur, que cela les pousse à dénoncer les traîtres. » Si le traître est encore vivant, serait-il prêt à lui pardonner ? « Je ne considère pas qu’il s’agit d’une affaire personnelle. C’est plus important que ma personne. Cet homme a trahi son pays. » « J’étais responsable de la sécurité à Amal avant 88 » Il avait fait dissidence d’Amal... « Non, « Amal croyante » n’est pas une dissidence. C’est un phénomène militant. » Aujourd’hui, ce phénomène n’existe plus. Va-t-il réintégrer le mouvement Amal ? « J’ai besoin de temps, pour réfléchir à tout cela. Mais nous n’avions pas fait dissidence. À un moment donné, avant 1988, j’avais été le responsable de la sécurité au sein du mouvement. Puis la direction d’Amal avait décidé de nous expulser et certains s’étaient solidarisés avec moi. » Mais on l’a vu donner l’accolade au chef du mouvement, le président Berry... « Bien sûr, nous sommes tous unis pour une même cause et je souhaite rendre hommage à tous ceux qui ont participé à la résistance, militairement ou non. » Mais il n’est pas sans savoir qu’entre Amal et le Hezbollah, la situation est loin d’être au beau fixe. « La Résistance islamique s’est imposée comme le fer de lance de la résistance, sous la direction de sayyed Hassan Nasrallah, et avec l’aide de la Syrie des deux Assad et celle de l’Iran. » Comment voit-il son rôle futur, notamment à la veille des élections municipales ? « Je n’ai encore rien décidé et je ne peux empêcher personne de profiter de la victoire qui vient d’être enregistrée. C’est celle du Liban tout entier. Mais je souhaiterais que les Libanais s’unissent autour des questions essentielles, comme ils l’ont fait au sujet de la résistance, et je voudrais que celle-ci leur serve d’exemple à suivre. Je ne ménagerai aucun effort dans ce sens. Je voudrais d’ailleurs rendre hommage à tous les prisonniers qui croupissent encore dans les geôles israéliennes, leur serrer la main et leur dire de tenir bon, car un jour, leur cauchemar prendra fin. » Lui-même, quand il était en prison, sous la torture, a-t-il jamais perdu espoir ? « Le croyant ne laisse jamais le désespoir entrer dans son cœur. Au contraire, il ya toujours de la place pour l’espoir. Mais le temps paraît parfois bien long. Enfin, passons. » « J’ai nourri et habillé Ron Arad » Et l’aviateur israélien Ron Arad, à l’origine de ses maux, a-t-il passé une nuit dans sa maison ? « Bien sûr. Lorsque son avion est tombé (en 1986), nous l’avons recueilli et il a passé sa première nuit chez moi, dans mon domicile à Beyrouth. Je l’ai nourri et je lui ai même donné des vêtements. Il était en bonne santé et d’ailleurs, le lendemain, je lui ai fait subir des examens médicaux, qui ont montré qu’il n’avait absolument rien. Il est resté quelque temps sous ma protection et il a même pu envoyer une lettre à sa famille et en recevoir une d’elle. Ce qui n’a pas empêché ladite famille de nous insulter, alors que nous le traitions très bien. Il est resté sous ma protection jusqu’en 1988 . Ensuite, lorsque les Israéliens ont attaqué Maydoun (en 1991, cette bataille a constitué un tournant dans l’histoire de la résistance puisque c’est à partir de là que celle-ci a changé sa tactique, entrant dans une sorte de clandestinité. Selon la version qui circule, lorsque les résistants sont revenus au village, après la fin des combats, Ron Arad avait disparu), je n’ai plus eu de ses nouvelles. J’ai essayé de savoir ce qu’il était devenu, mais les Israéliens m’ont enlevé avant que je ne parvienne à des résultats. » On dit qu’il l’aurait livré aux gardiens de la révolution iraniens... « C’est ce que les Israéliens disent. Mais c’est faux. L’enquête a montré que tout cela était faux. » Scarlett HADDAD
Il a l’air d’un homme brisé. Hajj Moustapha Dirani essaie de donner le change, de se réfugier derrière la foi du croyant et les convictions du militant, mais dans ses yeux, toute lumière s’est éteinte et lorsqu’il sourit, aucune chaleur ne monte vers le regard. Il a beau évoquer tous les sujets, bien peu de choses le font encore réagir et c’est avec une sorte d’indifférence...