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Actualités - CHRONOLOGIE

JUSTICE - Les abolitionnistes ont entretenu l’espoir jusqu’au moment fatidique samedi à l’aube Ahmad Mansour, Badih Hamadé et Rémy Zaatar ont été exécutés en même temps

«L’attente d’un crime est, en elle-même, ce qu’il y a de plus horrible. Imaginez ce que cela doit être lorsque c’est la mère qui attend l’exécution de son fils, le fils celle de son père et l’épouse celle de son mari. » C’est par cette image poignante que le responsable de l’association Justice et Miséricorde, le père Hadi Ayya, a voulu exprimer l’angoisse des dernières heures qui ont précédé les exécutions de Rémy Zaatar, Ahmad Mansour et Badih Hamadé. Un sentiment indescriptible, qui a animé, ce soir-là, les parents des suppliciés et tous ceux qui se sont opposés à « ce crime organisé ». Venus exprimer un dernier cri de cœur et une ultime supplication dans l’espoir d’un retournement de situation avant l’instant fatidique, une cinquantaine de militants ont envahi les deux côtés de la route menant vers la prison de Roumieh. Arborant des banderoles contre la peine capitale, les abolitionnistes, qui ont illuminé l’endroit par un tapis de bougies, auront gardé, jusqu’à la dernière minute, l’espoir d’un « éveil soudain de conscience » qui mettrait fin à cet épisode macabre. Implacable, la marche de la justice se poursuivra, et les trois condamnés seront exécutés samedi à 5h31 précises, comme prévu, dans la froideur d’une nuit indifférente. Coupés du lieu des exécutions par un cordon sécuritaire qui s’étendait jusqu’à la porte de la prison, les activistes et les journalistes, rassemblés depuis vendredi vingt heures, attendaient autour d’un feu de bois, en se demandant encore ce qui a bien pu motiver la réhabilitation de la peine capitale et en discutant des raisons du timing de cette exécution. « C’est probablement pour contenter les Américains que les responsables ont voulu leur montrer qu’ils tiennent bien en main la sécurité », souligne l’un des militants. « On ne peut comprendre cet acte que sous l’angle purement sécuritaire, voire social, l’État ayant besoin d’un bouc émissaire pour justifier sa faillite sur ces deux plans », souligne un autre. Mais, quelles que soient les raisons réelles derrière la reprise des exécutions, personne parmi ces manifestants n’arrive à comprendre la logique infernale « d’un châtiment inhumain qui n’a jamais prouvé à ce jour son efficacité ». Tenus à l’écart, les journalistes et activistes ont été repoussés loin de la porte du pénitencier. Après avoir passé des heures pénibles dans le froid et l’incertitude d’un triple crime qui allait se produire à quelques mètres, ils ont pu « suivre » le déroulement des exécutions par téléphone interposé. Les exécutions À cinq heures trente et une précises, les membres de l’association Justice et Miséricorde ont contacté le père Hadi Ayya qui se trouvait aux côtés des protestataires, pour lui annoncer qu’un coup de feu venait de retentir. À son tour, ce dernier a aussitôt appelé le père Boutros Lahoud, qui se trouvait sur les lieux de l’exécution, qui s’est contenté de dire « Que Dieu ait leur âme ». « Que Dieu délivre le Liban de ce régime barbare et inhumain », rétorque le père Hadi Ayya, qui ne parvenait plus à cacher son émotion. À la demande de ce dernier, une minute de silence a été observée par les manifestants, suivie d’une prière faite à l’intention des suppliciés. Saisis par la colère, les manifestants n’ont pu s’empêcher d’exprimer leur dégoût. Ils se sont alors déployés dans la rue, brandissant fébrilement les calicots dénonçant le meurtre, la violence et l’absurdité d’une justice qui « croit rétablir l’ordre par un second crime ». « Ne tuez ni pour moi ni en mon nom », pouvait-on lire sur les banderoles. Petit à petit, et au fur et à mesure que les sept juges qui ont assisté à l’exécution commençaient à évacuer les lieux au milieu de mesures de sécurité extrêmes, les abolitionnistes avançaient vers les convois, en criant à tue-tête « Vous ne tuerez pas, vous ne tuerez pas ». Les drapeaux noirs flottaient des deux côtés de la route, agités avec nervosité au passage de chaque véhicule. Pour la énième fois, les FSI interviennent, sommant les manifestants et les journalistes de ne pas bloquer la route. Survoltés, les activistes protestent. « Maintenant que le crime vient d’être commis, laissez-nous au moins exprimer notre opinion », leur crie à la figure Me Nizar Saghieh, un des dirigeants de l’association Hurriyat Khassat. Les journalistes s’indignent à leur tour du comportement des forces de l’ordre et une violente altercation verbale violente oppose l’un d’entre eux au capitaine des FSI. « Vous êtes fous », crie un journaliste français qui, vraisemblablement, n’est pas habitué à ce spectacle. Petit à petit, le calme revient et les manifestants se dirigent vers l’avocat de Rémy Zaatar, qui venait de sortir à son tour, après le passage de la Croix-Rouge qui évacuait les dépouilles mortelles vers l’hôpital gouvernemental de Baabda, où les parents devaient les récupérer. « C’est la première fois de ma vie que j’ai souhaité ne pas être juriste », murmure l’avocat, les yeux rouge sang bordés de larmes. « L’aube du Liban vient d’être entachée de sang », dit-il en réitérant sa conviction que Rémy ne méritait pas un tel châtiment. Refusant de donner des détails sur ce qui s’est passé, « puisque la loi l’interdit », il se contente d’affirmer « que les exécutions se sont déroulées dans le respect de la loi ». Plus tard, on apprendra de la bouche de témoins que les « prisonniers paraissaient en pleine forme, affichant un courage exceptionnel, probablement dû aux drogues ». Dans les faits, on apprendra que les trois condamnés auraient été emmenés sur les lieux de l’exécution plus tard que prévu, Badih Hamadé ayant demandé d’effectuer sa prière du matin. Les deux cheikhs Ahmad el-Ozeir et Walid Zahra ainsi que l’aumônier de la prison, le père Élie Nassar, qui ont rencontré les prisonniers avant leurs exécutions, ont rapporté les dernières émotions et pensées exprimées par les condamnés alors qu’ils récitaient la prière des mourants. Badih Hamadé, un fondamentaliste connu pour sa ferveur religieuse, a estimé être un « martyr », affirmant que son exécution est « un attentat à sa vie ». Ahmad Mansour a considéré pour sa part que « c’est l’injustice des gens qui l’a tué ». Profondément repenti, Rémy Zaatar a demandé le pardon des familles des victimes en sommant ses parents de quitter le Liban. Quelques minutes auparavant, les condamnés ont reçu la visite du président du tribunal de Jdeidet el-Metn, Mohammed Mortada, qui a recueilli leurs dernières volontés et leur testament. Ils ont été ensuite conduits dans l’enceinte de la prison où attendaient le peloton d’exécution et le bourreau. Ce dernier place la corde autour du coup d’Ahmad Mansour qui se tient à quelques mètres de Rémy Zaatar et Badih Hamadé. Debout devant 10 tireurs, les deux condamnés, qui devaient être passés par les armes, ont été chacun atteints d’une seule balle dans la poitrine, les 9 autres étant des balles à blanc. La tradition veut qu’aucun des tireurs ne doit savoir si la balle qu’il a tirée est celle qui a été fatale. Un onzième tireur dont le visage était caché par une cagoule s’est ensuite approché des corps gisant sur le sol pour donner le coup de grâce à Rémy et Badih. Actionnée au même moment, la potence a également mis fin à la vie d’Ahmad Mansour. Les trois prisonniers ont refusé que leurs yeux soient bandés. « Tuer est certes quelque chose d’horrible. Mais un crime organisé de la sorte est ce qu’il y a de plus odieux », constate Me Mattar, révolté de voir s’écrouler devant lui celui qu’il s’est évertué pendant des années à défendre et à soustraire à la mort. On apprendra également que parmi les sept juges présents représentant les différents tribunaux compétents – Ralph Riachi, Omar Natour, Fayez Mattar, Ahmad Oueidate, Moukhtar Saad, Mohammed Mourtada et Amine Bou Nassar – un seul s’était prononcé contre la peine de mort et se trouvait présent vraisemblablement contre son gré « pour assumer son devoir ». « Ne croyez surtout pas que ces condamnations vont mettre fin au malheur des uns et des autres. Au contraire, c’est le début d’un long processus de souffrance, celui des parents des suppliciés. Au malheur des orphelins du premier crime, vient s’ajouter celui des orphelins du second crime », affirme Tina Naccache, une militante. La potence n’est pas dissuasive Pour Ogarith Younan, responsable au sein du Mouvement des droits de l’homme, ces exécutions ont démontré de manière flagrante « la politisation d’un châtiment légitimé par la justice et consacré par les hommes de religion, qui malheureusement ne se sont pas suffisamment élevés contre cet acte criminel ». D’ailleurs, dit-elle, « ce qui s’est passé hier va renforcer la campagne nationale contre la peine de mort et non le contraire », relève la militante en rappelant que la campagne a réunit 58 associations et partis politiques abolitionnistes, un chiffre symbolique pour dire que 58 ans après l’indépendance – la campagne a publié son premier communiqué en 2001 – la peine capitale continue de sévir. « Petit à petit, les gens vont réaliser que la potence ne sert à rien. » Abondant dans le même sens, Walid Slaybi, initiateur de la campagne, a affirmé hier à L’Orient-Le Jour que « le meurtre qui a eu lieu au Liban-Nord (le corps de Gilbert Toulani, 23 ans, originaire de Zghorta, a été découvert dans un baril à Batroun ), est la preuve flagrante que les condamnations à la peine capitale ne sont pas dissuasives ». Le militant réaffirme la nécessité pour l’État de reconsidérer l’ensemble de sa politique sociale et sécuritaire. Pour Me Saghieh, « la mobilisation internationale qu’ont suscitée ces exécutions prouve que l’action des militants a servi à quelque chose, même si les condamnations ont été irréversibles ». La commutation jeudi soir de six autres condamnations à mort en peine de prison à perpétuité semble également indiquer que les pressions exercées notamment par l’Union européenne et par le Quai d’Orsay ont fini par agir. Jeanine JALKH

«L’attente d’un crime est, en elle-même, ce qu’il y a de plus horrible. Imaginez ce que cela doit être lorsque c’est la mère qui attend l’exécution de son fils, le fils celle de son père et l’épouse celle de son mari. » C’est par cette image poignante que le responsable de l’association Justice et Miséricorde, le père Hadi Ayya, a voulu exprimer l’angoisse...