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Actualités - OPINION

EN DENTS DE SCIE - De bruit et de fureur

Troisième semaine de 2004. Ces sept derniers jours ont été bruyants, tonitruants. Tonitruant comme le zéro pointé de l’État dans la privatisation d’un secteur qui aurait pu, avec un peu de bon sens, devenir une véritable mine d’or pour les caisses du Trésor ; tonitruant comme ces querelles de chiffonniers, qui semblent ne jamais vouloir se terminer, entre Jean-Louis Cardahi et Ghazi Youssef ; tonitruant comme ce honteux retour à la case départ. Tonitruant comme cette inauguration en grande pompe du Palais de Saïda, au moment où la justice libanaise agonise publiquement, davantage chaque matin. Tonitruant comme cette victoire incontestable offerte pour une fois à la liberté d’expression et à la liberté de la presse ; « Le Conseil de l’Ordre n’est pas un tribunal » ; que Nabih Berry se contente donc d’étaler ses muscles place de l’Étoile. Tonitruant comme cette fusion entre Beyrouth et Damas ; la visite du chef du Parlement syrien ; les signatures « de coopération et de complémentarité » parrainées par la commission économique et sociale libano-syrienne, le tout alors que la tutelle n’a jamais été aussi stricte. Tonitruant, aussi, comme ce constat sans appel du patriarche maronite : « Le Liban perd un peu plus chaque jour de son capital-confiance ». Sauf que ce qui restera de ces sept derniers jours, ce sont trois événements qui, tous, se sont passés ailleurs, et qui, tous, trouvent ici un bien singulier écho. Tout aussi tonitruant. À Ankara d’abord. Le gouvernement turc a ratifié le protocole n° 13 de la Convention européenne des droits de l’homme concernant l’abolition de la peine de mort en toutes circonstances, y compris en temps de guerre. Trois jours plus tard, Bahige Tabbarah, Rafic Hariri et Émile Lahoud signent et contresignent à Beyrouth, en s’en rejetant mutuellement la responsabilité, les arrêts de mort de trois assassins. « Les Libanais regrettent le temps où leur pays était sous occupation ottomane », avait dit le député Jihad Samad, en plein hémicycle, l’an dernier. Peu importe… Aux recommandations éclairées d’une vieille Europe qui n’a (presque) plus rien à apprendre en matière de droits de l’homme et aux suppliques répétées que les associations internationales du même nom ont continué jusqu’au dernier moment de leur adresser, le chef de l’État, le président du Conseil et le ministre de la Justice (chaque peuple a le Badinter qu’il mérite) ont préféré d’affligeantes pratiques d’un autre temps, pendaison et mitraillette – des pratiques qu’applaudit et défend, en parfait prosélyte, un ex-gouverneur texan aujourd’hui locataire d’une Maison-Blanche quotidiennement vilipendée, de Baabda au palais Bustros, en passant par Aïn el-Tiné ou Koraytem. Que revienne Sélim Hoss ! Oui, rien que pour cela. Et pour le reste, cela ne pourra pas être pire. À Téhéran ensuite. Et cette merveilleuse fronde des députés, des gouverneurs, des ministres ou, même, d’un président réformateur face à un pouvoir qui a érigé l’arbitraire, l’autocratie et la violation de la Constitution et de la démocratie en art de régner. Un pouvoir qui a fini par plier. Ce « pouvoir alternatif » – salvateur même incomplet, même brimé – qui existe en Iran et qui tient, vaille que vaille, la route, la barre, manque cruellement au Liban. Kornet Chehwane, dont tous les membres ou presque n’ont pas encore fait l’expérience d’un quelconque pouvoir – à part le Législatif, et encore – ont appelé cette semaine à cette alternative. À en finir avec un « pouvoir démissionnaire ». Pour cela, il faut qu’un peuple se réveille, certes, mais encore s’agit-il de ne pas lui jeter de la poudre aux yeux, de le rendormir avec de jolies promesses officielles de municipales, mais que viendront souiller, encore une fois, des mécanismes antidémocratiques et liberticides. À Paris enfin. Où l’assourdissant Nicolas Sarkozy a, encore une fois, piégé celui qui a fait de lui ce qu’il est aujourd’hui – un vice-roi –, celui qu’il sera demain – un Hamlet de supérette, peut-être un futur roi : Jacques Chirac. Le ministre français de l’Intérieur a tenu cette semaine une première conférence de presse qualifiée, sur les bords de la Seine, d’élyséenne. Nicolas Sarkozy ne joue pas les Cécile de Volanges : il veut l’Élysée, il n’y pense pas uniquement en se rasant, il le fait comprendre, et qu’on se le dise. Même si l’échéance n’interviendra que dans près de quatre ans. À Beyrouth, où l’élection-désignation présidentielle n’est que dans 9 mois, c’est le mutisme total. Damas a été on ne peut plus clair : on n’en parle pas, on fait comme si de rien n’était, et tant pis pour les Libanais. À tel point qu’un jeune député a heureusement fini par dénoncer tout haut ce contre quoi tous les irréductibles naïfs grognent tout bas : « L’élection présidentielle est l’échéance la plus importante au Liban et on nous interdit d’en parler, d’en débattre », a dit Pierre Gemayel. C’est effectivement le droit le plus légitime d’un citoyen. Aujourd’hui furieusement et bruyamment assimilé à un figurant. Même pas payé. Ziyad MAKHOUL
Troisième semaine de 2004.
Ces sept derniers jours ont été bruyants, tonitruants.
Tonitruant comme le zéro pointé de l’État dans la privatisation d’un secteur qui aurait pu, avec un peu de bon sens, devenir une véritable mine d’or pour les caisses du Trésor ; tonitruant comme ces querelles de chiffonniers, qui semblent ne jamais vouloir se terminer, entre Jean-Louis...