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Actualités - REPORTAGE

Saïda - Bourj Ali : une tour de garde transformée en un palais damascène turquisant Le palais Debbané, un monument unique en son genre au Liban

Dans la dernière publication du Musée national, « Archéologie et histoire », la spécialiste May Davie consacre une étude sur le Bourj Ali, à Saïda. Construite en 1721, la tour de garde, que commandait sur la muraille de Saïda Ali Agha Hammoud, est convertie en demeure au milieu du XVIIIe siècle puis acquise par les Bani Debbaneh, vers le milieu du XIXe siècle. À la fois logis et place forte, l’édifice classé monument historique en 1968 est unique en son genre au Liban. Il conserve les marques de l’architecture à la fois militaire et domestique, mais aussi l’empreinte de l’art décoratif des premiers siècles de la domination ottomane. La sobriété de ses façades et la simplicité des lignes extérieures contrastent avec la surchage des décors intérieurs (voir «L’Orient-Le Jour » du vendredi 9 janvier 2004). Par la disposition des pièces, par la forme des ouvertures et par le type de parement, le bâtiment s’apparente aux demeures aristocratiques turquisantes, édifiées dans les différentes villes de la région, à la même époque. La ressemblance avec le palais Azem et avec les bayt Jabri, Siba’i, Fransa et Farhi de Damas est remarquable. Dans le Mont- Liban, la salle principale du sérail de Deir el-Qamar présente un même type de décor. Le Bourj Ali est un véritable petit palais, auquel on accède par l’ancien souk des joailliers qu’il surplombe, en empruntant un pittoresque vestibule en escalier raide, étroit et voûté. Celui-ci décrit un angle droit avant de déboucher, au premier étage, sur une cour centrale bordée de plusieurs pièces. L’ensemble est aujourd’hui recouvert d’un deuxième étage et d’un toit de tuiles rouges. Le premier étage est le « piano nobile » de l’habitation. Le rez-de-chaussée abrite des écuries, un jardin et plusieurs échoppes donnant directement sur le souk des joailliers. Surplombant le jardin, une terrasse, appelée stayha, prolonge le premier étage sur son côté Est. Tout porte à croire que l’habitation a été édifiée sur des vestiges médiévaux importants. En effet, l’épaisseur des murs de soutènement porte à croire que ces vestiges datent de l’époque croisée. Clin d’œil au jardin d’Orient Le Bourj présente tous les éléments constitutifs des dar arabo-ottomans dont la structure et la décoration étaient semblables à celles de certains édifices religieux qui combinaient l’humilité des traitements extérieurs à la richesse des agencements intérieurs. Deux masses architecturales caractéristiques, confortées par la séparation fonctionnelle des lieux, bordaient les parties Sud et Est d’une cour flanquée d’une fontaine, appelée sabil. Le premier ensemble est formé par un iwan, une pièce d’été ouverte sur un côté par un grand arc brisé et orienté plein Nord, et par deux chambres carrées attenantes, les mourabba’. Le deuxième bloc est un appartement de réception à plan, dit en T renversé : c’est la qa’a. Cette pièce, au décor particulièrement gracieux, est composée d’un espace central appelé ‘ataba et orné d’un bassin et de trois pièces attenantes : des diwans au sol surélevé et portant niches et placards peints (à Damas ces pièces sont désignées par tazar). La qa’a est la salle principale de la demeure. Elle témoigne d’une maîtrise parfaite du décor inséré dans l’architecture à la manière de l’école mamelouke syro-égyptienne, mais raffiné plus encore par inspiration du classicisme ottoman à la mode d’Istanbul. C’est la période artistique dite « de la Tulipe », qui fut attentive à des traditions décoratives tant européennes que perses et indiennes, par l’utilisation de motifs floraux. Des ornements intérieurs en ablaq bicolore typique (qui alterne des pierres de taille de deux couleurs différentes sur le pourtour des fenêtres et des portes et sur certains murs de la maison) agrémentent et soulignent l’unité de cet ensemble turquisant du XVIIIe siècle. Dans la qa’a, les départs d’arcs sont parés d’alvéoles, ou mouqarnas, cette autre décoration caractéristique de la période. Des plaques incrustées telles des mosaïques égayent au surplus les parois de cette salle. Elles forment des tableaux nettement distincts les uns des autres et séparés par des bordures. On dirait des tapis de couleurs accrochés aux murs : autant de clins d’œil au jardin d’Orient, le riyad. En marbre et calcaire polychromes, ces décors, qui affectionnent autant la géométrie mamelouke que la flore ottomane, occupent encore linteaux de fenêtres et claveaux d’arcs surplombant les portes. Aux motifs géométriques rehaussés d’entrelacs, d’étoiles et autres symboles, s’ajoutent en effet la rose, l’œillet, l’arbre fleuri aux longues branches et surtout la tulipe, l’emblème dominant de ce bel âge ottoman. Deux inscriptions en écriture décorative dite nashk ta’liq clôturent ce répertoire iconographique dont la qualité donne une idée du luxe et du raffinement de la demeure. Quant au sol, il est recouvert de marqueteries polychromes sur fond de marbre blanc. Les plafonds sont richement travaillés en bois de cèdre gravé et peint en a’jami, à la manière perse. Les fenêtres à moucharabieh de bois ou à grillage en fer forgé donnant sur le patio et sur la terrasse achèvent d’embellir les pièces de l’habitation. Tout porte à croire que cette demeure était le selamlik d’une habitation à l’origine plus large en surface. Accolée à cette maison et sur le même niveau, la maison Sacy en aurait, semble-t-il, formé le haramlik (en référence aux actes du tribunal Char’i, les Sacy auraient acheté cette partie du Bourj Ali en 1856). Les remaniements du XIXe siècle On ne connaît pas la date exacte de l’extension de la maison vers la muraille. En toute logique, cela n’a pu s’effectuer qu’à la fin du XIXe siècle, au moment de la transformation de l’espace extra muros en une nouvelle route « moderne », la rue al-Moutran. En tout état de cause, le bâtiment a été restauré au début du XXe siècle par Raphaël Debbané qui a fait venir des maîtres artisans de Damas et un ingénieur français d’Égypte, spécialiste de l’art oriental. Le palais a été surélevé d’un étage et couvert d’un toit de tuiles de Marseille, à la mode alors. Le second étage révèle aujourd’hui ses imprégnations occidentales : un bel escalier intérieur à rampe en bois néobaroque, assorti d’une volière et desservant le second étage, mais aussi des fenêtres en ogives, aux vitraux polychromes et surmontant une immense baie vitrée qui éclaire l’étage. Au niveau inférieur, le noyau historique subit également quelques modifications : le carrelage Art Nouveau du iwan, le dallage de marbre blanc marqueté de noir de l’ancien patio, la pose de parquets dans le diwan et de cloisons de bois pour les isoler de la a’taba (ces cloisons furent dégagées depuis un an pour restituer à la qa’a sa splendeur d’antan). Au troisième étage, une pièce unique a été construite : la tayyara, haute et crénelée au sommet. Réminiscence ou rappel de l’ancienne place forte qu’avait été cette maison-tour insérée dans le dispositif défensif de la ville. Surplombant les souks, elle constitue un lieu d’agrément permettant de contempler le panorama de la ville et de son arrière-pays. Monument exceptionnel en son genre au Liban, le Bourj Ali, aujourd’hui résidence Debbané, est au centre d’une politique patrimoniale qui vise à le transformer en musée d’histoire consacré à l’architecture et à l’urbanisme sidoniens. La petite histoire Le Bourj Ali a été construit en 1721 par Ali Agha Hammoud et son frère Osman qui commandaient des troupes de janissaires au service du wali de Saïda. La résidence témoigne de la prospérité de l’aristocratie militaire ottomane, parée du titre de « Pacha », de « Bey » ou de « Agha ». Les Bani Hammoud étaient justement une famille de aghas ottomans dont les descendants continuent de figurer parmi les notabilités de la cité aujourd’hui. Ils avaient doté Saïda d’autres ouvrages remarquables : une mosquée, un souk, un hammam (bain public) et des habitations. Les fils de Ali Agha firent plus tard construire un palais beaucoup plus grand, au sud du Bourj Ali. Ce palais, édifié en 1730, aurait été habité par le wali de Saïda lui-même. Il fut tardivement transformé en école, la célèbre madrassa Aïcha. Vers le milieu du XIXe siècle, les Debbané, négociants venus de Damas, ont occupé la résidence des Bani Hammoud. Tout porte à croire que l’acquisition de la propriété a eu lieu par étapes. D’après des documents fonciers du XIXe siècle, la maison et ses abords appartenaient à Ali et Hussein Zahra et des parties de l’édifice (des bayt) étaient louées ou revendues à trois familles : les Darwich, les Baba et les Ghannoum. En 1859, ces bayt ont été achetés par Asin Khlat, épouse de khawaja Youssef Debbané, négociant à Saïda.
Dans la dernière publication du Musée national, « Archéologie et histoire », la spécialiste May Davie consacre une étude sur le Bourj Ali, à Saïda. Construite en 1721, la tour de garde, que commandait sur la muraille de Saïda Ali Agha Hammoud, est convertie en demeure au milieu du XVIIIe siècle puis acquise par les Bani Debbaneh, vers le milieu du XIXe siècle. À la fois...