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Actualités - CHRONOLOGIE

CRASH DE COTONOU - Les proches des victimes comptent déposer deux plaintes au Liban et en France Au-delà du drame humain, une terrible politique d’inconscience et d’irresponsabilité

Ce n’est pas le noir « paillettes et strass » qui a envahi, hier, comme d’habitude, la salle Sidon à l’hôtel « Phoenicia», mais celui du deuil et de la souffrance. Les proches des victimes du crash de Cotonou ont répondu nombreux à l’appel de M. Zouheir Faddoul (qui a perdu son fils, sa bru et leurs deux enfants dans l’accident), afin de former un comité qui se chargerait de poursuivre la question des indemnités et de réclamer toute la vérité sur cette tragédie. « Ce n’est pas l’argent qui m’intéresse, a déclaré M. Faddoul dans son arabe un peu lourd d’émigré, mais il faut que les coupables soient punis, pour les empêcher de tuer de nouveau des innocents. » Dans la salle, nul n’a applaudi, mais nombreux sont ceux qui ont essuyé leurs larmes, les photos de leurs disparus serrées sur le cœur. Éplorés, terrassés par la douleur, des hommes, des femmes et des enfants devenus orphelins depuis le drame ont trouvé en M. Faddoul celui qui les aidera peut-être à ne pas ajouter à leur peine la colère, la frustration et la révolte. Dans le collimateur des proches des victimes, une compagnie, l’UTA, et un homme, Ahmed Khazem, ou comme on dit au Sud, cheikh Ahmed. Dans les milieux des émigrés libanais en Afrique, tout le monde semble se connaître, si ce n’est de vue, au moins de nom. Et c’est un peu une grande famille qui s’est retrouvée hier à l’hôtel Phoenicia, grâce à l’initiative de M. Faddoul. Une famille éprouvée et triste, qui cherche à resserrer les rangs pour trouver la force de continuer à vivre, après la tragédie. M. Faddoul, lui-même, a choisi de mener le combat pour lutter contre le désespoir et, entre deux phrases, il tire des bouffées de son long cigare, tout en s’excusant : « Ça me calme un peu de fumer. » Pour la plupart des personnes réunies à la salle Sidon, Zouheir Faddoul est devenu un bienfaiteur, une sorte de leader et, en tout cas, un homme très écouté, et c’est donc lui qui tout naturellement préside la séance. D’abord, une minute de silence où chacun revit son propre drame. Le souvenir n’est pas si vieux et les larmes n’ont pas encore eu le temps de sécher, puis tout le monde s’assoit et les débats commencent. Pour M. Faddoul, l’enquête menée par les autorités libanaises se dirige vers la mauvaise direction. Selon lui, il est évident que l’avion était en état de voler, puisqu’il avait fait plusieurs navettes entre Conakry-Cotonou et Beyrouth. Plutôt que de chercher des défauts mécaniques dans le Bœing, il faut donc identifier la compagnie qui l’affrettait et l’empêcher de poursuivre son œuvre de mort. La surcharge, une pratique courante à bord de l’avion Les personnes présentes se sont surtout demandé comment les autorités libanaises pouvaient donner une autorisation d’atterrissage à une compagnie aussi louche, qui n’a visiblement pas fourni tous les documents nécessaires. L’une d’entre elles s’étonne d’ailleurs que le Sierra Leone, qui a eu 5 victimes dans le crash, se soit empressé de fermer les bureaux de la compagnie à Freetown, alors qu’au Liban, ceux-ci sont encore ouverts, comme si de rien n’était, et fournissent des visas à ceux qui le souhaitent. Un autre renchérit : « C’est vrai, ils m’ont donné hier un visa pour la France, puisque je retourne en Afrique sur Air France et j’ai donc une escale à Paris. » Mahmoud Hammoud (homonyme du ministre de la Défense) a présenté un témoignage terrifiant. Trois semaines avant le drame, il devait prendre l’avion à partir de Beyrouth. Le décollage était prévu à 4h du matin à l’AIB. À l’heure dite, le passager remarque que les responsables de la sécurité sont en train de poser des caisses sur les sièges. « Qu’est-ce que c’est ? » demande-t-il. « Il n’y a plus de place dans la soute à bagages, alors on les met ici », lui répondent-ils. Entre-temps, l’avion tente en vain de décoller. Le passager s’approche de la cabine de pilotage et il entend le pilote affirmer qu’il y a trois tonnes de plus à bord. À six heures, l’avion ne parvient toujours pas à décoller et Mahmoud Hammoud s’adresse au responsable de la sécurité de l’avion : « Faites descendre les 3 tonnes en surcharge ou alors nous descendons tous. » « Si vous avez peur, descendez, mais n’effrayez pas les autres passagers », lui répond-on. Mahmoud Hammoud alerte les autres passagers et, finalement, à cause de leurs cris, les 3 tonnes sont débarquées au sol. L’avion décolle finalement à 6h30. Ce témoignage laisse les journalistes sans voix : d’abord, cela signifie que l’UTA a l’habitude de surcharger son avion. Ensuite, il pose le problème du contrôle subi par l’avion à l’AIB. On dirait que toutes les autorités semblaient s’être donné le mot pour faciliter les formalités de cet avion et éviter de le contrôler. Un autre habitué de la ligne desservie par l’UTA raconte ensuite qu’une semaine avant le drame, il a vu, avant de prendre l’avion, une série de caisses rangées les unes à côté des autres et attendant d’être embarquées. Ayant lui-même un problème avec la douane, il demande au fils de « cheikh Ahmed », Abbas, qui se trouvait sur place, de faire passer ses valises avec les caisses. Et l’autre lui répond : « Je ne sais pas, j’ai encore plein de caisses qui attendent. » Un témoignage enregistré attend le procureur Addoum Apparemment, l’avion en question transportait régulièrement des tonnes de marchandises en plus, dans un trafic sans doute des plus douteux. Et si les passagers n’ont pas suffisamment de maturité pour penser à leur propre sécurité, c’est à la compagnie de le faire, si elle a le moindre sens moral. Mais ce n’est apparemment pas le cas et la pratique du surpoids et des caisses non contrôlées semblait être monnaie courante à bord de l’avion de l’UTA. N’y aurait-il pas là un crime de complaisance de la part des autorités de l’Aviation civile libanaise ? Le procureur général, qui mène inlassablement l’enquête, aurait dû commencer par là, à entendre les témoignages des membres de la colonie libanaise en Afrique, des habitués de cette ligne, dont ils viennent malheureusement de faire les frais. M. Faddoul raconte, lui, une histoire encore plus dramatique. Un ami de son fils, Gaby Kdeih, fils de Ghazi Kdeih, est monté à bord de l’avion le 25 décembre dernier pour faire ses adieux à Michael Faddoul qui rentrait au Liban avec sa femme et ses deux enfants. En descendant, il a entendu le pilote de l’avion dire en anglais : « Nous avons plus de 8 tonnes en surcharge. Je ne peux pas décoller. » Mais le responsable de la compagnie a insisté et l’avion s’est écrasé. M. Faddoul affirme avoir enregistré le témoignage du jeune homme, avec l’accord de celui-ci, et il compte le remettre au procureur Addoum. Selon le manifeste qui se trouve actuellement en la possession de M. Faddoul, l’avion serait parti avec 45 personnes embarquées au Sierra Leone, 41 à Conakry, (dont 9 sont descendues à Cotonou), 63 à Cotonou, 10 à Lomé et avec un équipage de dix personnes, ce qui donne un total de 160 personnes. « Ma famille a été la dernière à monter à bord. Sans bagages », dit-il, un sanglot dans la voix. Un autre proche des victimes prend le relais et affirme que l’avion qui s’est écrasé était au départ un avion de fret et la compagnie a ajouté des sièges pour pouvoir transporter des passagers. La plupart des présents connaissent Ahmed Khazem et ses fils, notamment Darwiche et Abbas. Certains l’appellent même « cheikh Ahmed », tant l’homme se présente désormais comme un notable et se veut le bienfaiteur de sa région. Ancien membre d’une organisation palestinienne, il aurait vendu une partie de l’armement des Palestiniens en 1982. Puis il s’est rapproché de l’ALS. Il a d’ailleurs dû quitter le pays à un certain moment, sous la pression de la résistance. Puis, comme par miracle, il est revenu en 1995-96, plus riche que jamais et bénéficiant apparemment de puissants appuis. Certains le soupçonnent même d’avoir mis son avion au service de certaines personnalités influentes, tantôt pour la collecte de fonds auprès de la colonie libanaise, impossible par voie bancaire, et tantôt pour des trafics de pièces de voitures ou de fruits exotiques. Bref, cheikh Ahmed affirmait vouloir rendre service à la colonie libanaise en Afrique, en cassant les prix des billets, tout en n’étant pas très regardant sur les marchandises transportées. Certains le décrivent d’ailleurs comme un homme très cupide, d’autres comme un personnage avide de notoriété et d’effacer son passé avec l’ALS. Et l’éthique morale dans tout ça ? En tout cas, il semblait manquer étrangement de moralité. C’est d’ailleurs le point relevé par M. Zouheir Faddoul, qui s’est demandé comment les autorités libanaises donnent une autorisation à une compagnie sans faire une enquête sur son éthique morale et sur ses capacités financières et techniques. «Savez-vous que le capital initial de l’UTA est de 20 000 dollars ? Et personne n’a trouvé la somme dérisoire, puisque la compagnie a été autorisée à travailler au Liban ? » M. Faddoul a répété que ce n’est pas l’argent qui l’intéresse, mais il veut à tout prix poursuivre l’affaire jusqu’au bout, « pour empêcher les criminels de continuer à tuer des innocents ». Il compte déposer une plainte au Liban, mais aussi en France. « Ce n’est pas parce que je n’ai pas confiance dans la justice libanaise, mais parce que le Liban n’ayant pas signé la convention de Montréal, celle-ci est plus contraignante pour la compagnie d’assurances. » Le Liban est en effet signataire de la convention de Varsovie, qui permet à la compagnie d’assurances de ne pas payer des indemnités en cas de faute. Par contre, la convention de Montréal stipule que la compagnie d’assurances ne peut arguer d’une faute professionnelle pour éviter de payer. De plus, elle ne prévoit aucun plafond pour les indemnités. En tant que citoyen français, ainsi que les quatre membres de sa famille décédés dans le crash, Faddoul estime pouvoir porter plainte en France. Il demande toutefois aux personnes présentes si elles souhaitent se joindre à lui, dans les deux plaintes qu’il compte déposer, au Liban et en France, tout en affirmant que les frais de justice sont totalement à sa charge. De nombreuses mains se lèvent, comme galvanisées par tant de détermination. Faddoul s’en prend aussi à la compagnie d’assurances, précisant qu’elle a une grande part de responsabilité dans l’accident, puisqu’elle a assuré une compagnie qui ne respecte pas les règles élémentaires de sécurité. Elle lui a donc donné une couverture sans laquelle celle-ci n’aurait jamais pu opérer. « Il ne faut pas qu’elle puisse tirer son épingle du jeu », lance-t-il, aussitôt approuvé par les personnes présentes. Un comité de plus de dix personnes est ainsi formé et certains avocats planchent déjà sur le dossier. L’ancien député Hussein Alawiyé met même son étude d’avocat au service de la cause. M. Faddoul suggère encore la formation d’un comité qui collecterait des fonds pour les familles, victimes du drame, ayant perdu un soutien financier. Il donne lui-même dix milles dollars pour encourager les autres à suivre son exemple. Beaucoup retiennent leurs larmes, car si l’argent est utile, rien ne peut remplacer la présence d’un fils, d’un père, d’un frère ou d’un mari aimés. Les quelque 80 familles frappées par la tragédie ont le sentiment de ne pas pouvoir s’en sortir, car si la lumière n’est pas faite sur toute l’affaire, elles auront l’impression d’avoir tué elles-mêmes leurs proches. Mais au-delà de cet horrible drame humain, cette tragédie met en relief la politique inconsciente de l’État libanais vis-à-vis de ses émigrés. Depuis des années, le dossier a été confié à Amal, comme si, parce que les émigrés en Afrique sont généralement de confession chiite, l’État se désistait de ses responsabilités pour les confier à une partie privée, sans jamais chercher à fixer des normes ou même à s’intéresser à ce qui se passe. Comme si les Libanais d’Afrique n’étaient que chiites et, par conséquent, ils ne dépendaient plus du pays, mais des structures confessionnelles. Aujourd’hui, cette politique montre ses horribles limites, et ce ne sont pas les déclarations du procureur Addoum ou d’autres qui parviendront à convaincre les Libanais que leur État a accompli son devoir à leur égard. Scarlett HADDAD Mikati : Des causes fonctionnelles L’analyse de la boîte noire de l’appareil de l’UTA qui s’est écrasé au décollage de l’aéroport de Cotonou révèle que « des causes fonctionnelles et non techniques » sont à l’origine du crash, a affirmé hier le ministre des Transports, Négib Mikati, citant Hatem Zebian, représentant du Liban dans la commission d’enquête béninoise chargée d’enquêter sur les causes de la catastrophe aérienne qui a fait 130 morts et une dizaine de disparus. « Nous en saurons plus de la bouche de M. Zebian, qui est attendu ce soir (hier) », a ajouté M. Mikati. De la déclaration du ministre des Transports, il semble clair que l’accident n’est pas dû à une défaillance technique ou une panne, mais à l’excès de poids qui a empêché l’appareil de prendre de la hauteur assez vite. Hatem Zebian, précise-t-on, est l’homme qui accorde les autorisations de décollage et d’atterrisage à l’AIB. Il devait normalement être entendu par le procureur général Addoum, dès son arrivée au Liban. Sur un autre plan, le ministre des AE, Jean Obeid, a reçu hier le consul honoraire du Bénin au Liban, Assaad Chaghouri, avec lequel il a mis au point le programme du séjour de la délégation ministérielle béninoise attendue lundi prochain au Liban, dans le cadre d’une visite de sympathie et de condoléances aux familles des victimes. La délégation sera présidée par le ministre béninois des Affaires étrangères et comprendra aussi le ministre de la Famille et celui de la Santé. L’ULCM exige une enquête internationale L’Union libanaise culturelle dans le monde (ULCM) a adressé à l’Orient-Le Jour un message concernant le crash de l’avion de Cotonou. Elle y exige notamment « une enquête internationale » du fait notamment que les investigations à ce sujet « sont longues et apportent peu de réponses ». « En conséquence, ajoute l’ULCM, après avoir consulté des experts libanais en sécurité internationale, la commission des relations internationales (...) exige des recherches approfondies au niveau international sur l’accident d’avion. »

Ce n’est pas le noir « paillettes et strass » qui a envahi, hier, comme d’habitude, la salle Sidon à l’hôtel « Phoenicia», mais celui du deuil et de la souffrance. Les proches des victimes du crash de Cotonou ont répondu nombreux à l’appel de M. Zouheir Faddoul (qui a perdu son fils, sa bru et leurs deux enfants dans l’accident), afin de former un comité qui se...