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EN DENTS DE SCIE La main dans le sac

Deuxième semaine de 2004. Au-delà de cette certitude que les hommes politiques, quel que soit leur poste, se doivent de partager – qu’un des devoirs premiers d’un journaliste, quel qu’il soit, est d’être un passeur entre ses lecteurs et des responsables qui, au Liban, le deviennent de moins en moins chaque jour – ; au-delà de la (très) déplacée manifestation antifrançaise initiée par un Hezbollah en mal de publicité et d’idées ; au-delà de la scandaleuse tendance d’un Donald Rumsfeld à abuser d’œillères et de Beyrouth à préférer l’autruche et sa politique ; au-delà, enfin, de la belle image de reprises des cours à l’Université libanaise, c’est l’insensée farce du cellulaire qui aura marqué d’un sceau rouge, entre honte et ridicule, ces sept derniers jours. Quelle République digne de ce nom, quel État (présumé) de droit, quel peuple un tant soit peu à cheval sur sa fierté, sa dignité et, surtout, sa réputation, auraient accepté que ne restent en lice, dans l’appel d’offres lancé pour la privatisation de la téléphonie mobile, que deux sociétés : Investcom, dont les actionnaires sont, entre autres, le ministre des Travaux publics et des Transports, Négib Mikati, ainsi que son frère et sa sœur, et LibanCell, du groupe Dalloul, et dans laquelle le Premier ministre lui-même, Rafic Hariri, est (indirectement) intéressé ? La classe politique libanaise, pervertie, dans sa quasi-totalité, jusqu’à la moelle, a fait des Libanais, applaudis à l’extérieur pour leur savoir-faire, des citoyens de troisième zone. Et du Liban – pays tutellisé, État déliquescent, nation désincarnée – une entité surendettée et au bord du dépôt de bilan, que les étrangers semblent désormais fuir comme une peste. Quand dans l’Irak post-Saddam, pourtant dévasté et toujours occupé, les offres affluent ; que les koweïtiennes AsiaCell et Atheer, ainsi que l’égyptienne Orascom se voient attribuer trois licences GSM de téléphonie mobile, il est difficile de concevoir, encore moins de croire, que la française Orange, l’allemande Detecom, la koweïtienne MTC ou la grecque OTE n’aient pas rempli les conditions fixées par le cahier des charges libanais. Ou, encore plus hallucinant, qu’elles n’aient pas réussi à obtenir des garanties bancaires ! Légitimement horrifiées par la praxis et les mœurs politiques du Liban, ces compagnies d’Europe et du Golfe ont privilégié un (très compréhensible) forfait. Elle est belle, bien belle, cette indispensable confiance des autres dans un pays que ses dirigeants ont forcé, avec beaucoup de talent et de persévérance, à dépendre, vitalement, de ces autres. Elle est belle cette crédibilité gagnée au forceps par un joli coup de poker mythomane, à la face de quelques-uns des plus grands donateurs de la planète, au cours de ce qui restera comme un des plus jolis hold-up d’après-guerre : Paris II. Piégés par leurs propres soins, empêtrés dans leurs mensonges, leurs micmacs, leurs incapacités – carrément la main dans le sac –, les dirigeants libanais, tous, ont agi, sur ce coup, comme de véritables débutants, dénués de tout bon sens, du plus infime instinct de conservation. Au lieu de perdre un temps fou avec une 497e commission ministérielle (ce sont des citoyens « normaux » qui auraient dû y siéger) ; au lieu d’attendre encore, comme de petits voyeurs, la nouvelle et malsaine querelle entre le ministre des Télécoms et le secrétaire général du Conseil supérieur pour la privatisation ; au lieu que ne continuent de se mêler du dossier le président de la République, le chef du Parlement et le Premier ministre ; au lieu de s’échiner à demander (c’est pourtant la moindre des choses) au gouvernement de poser la question de confiance, etc. Au lieu de tout cela, que l’Exécutif fasse un mea culpa général et public, annule tout, et confie au seul Jean-Louis Cardahi – comme plus tard au seul Ayoub Hmayed, ou à son successeur, l’électricité ou l’eau – la gérance de cette privatisation. Et si ces ministres échouent, qu’ils soient révoqués, lynchés haut et court. Il n’y a rien de pire que l’amateurisme infligé aux Libanais par le pouvoir en place. Rien, à l’exception de cette désolante évidence : ce pouvoir a fait de nous de pathétiques imposteurs. Ziyad MAKHOUL
Deuxième semaine de 2004.
Au-delà de cette certitude que les hommes politiques, quel que soit leur poste, se doivent de partager – qu’un des devoirs premiers d’un journaliste, quel qu’il soit, est d’être un passeur entre ses lecteurs et des responsables qui, au Liban, le deviennent de moins en moins chaque jour – ; au-delà de la (très) déplacée manifestation...