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SOCIÉTÉ - L’association pourrait fermer ses portes, à moins d’une assistance immédiate Les enfants de l’Upel risquent de se retrouver à la prison de Roumieh(photo)

Depuis l’année 1936, l’Union pour la protection des enfants (Upel) se bat pour améliorer les conditions de vie des enfants en conflit avec la justice. Aménagement de centres de rééducation, de réhabilitation et de prévention, assistance aux mineurs auprès des tribunaux: l’ONG a réussi à mettre en place, au fil des années, avec l’aide de l’Unicef et la collaboration du ministère des Affaires sociales, une chaîne de protection des enfants. Elle a même réussi à sensibiliser l’opinion publique à la nécessité de rééduquer les jeunes délinquants au lieu de les enfermer dans des prisons comme de véritables criminels.

Mais le centre de prévention de l’upel de Fanar, unique en son genre au Liban, car il accueille ces mineurs, risque incessamment de fermer ses portes, à cause d’un important déficit financier. L’État, son principal pourvoyeur de fonds, se fait tirer l’oreille pour s’acquitter de sa dette. Les mineurs en conflit avec la loi n’auraient plus que les cellules de la prison de Roumieh pour y cacher leur misère. Quant à leurs chances de rééducation et de réinsertion sociale, elles s’amenuisent désormais, comme peau de chagrin. À moins que le Premier ministre Hariri ne décide de sauver le centre et les jeunes, comme il l’aurait laissé entendre.
Il n’y a pas si longtemps, la maison de rééducation et de réhabilitation de l’Upel de Fanar accueillait près de 90 mineurs en conflit avec la loi, en détention préventive ou après leur jugement. Mineurs issus de milieux défavorisés, de familles disloquées, et qui ont généralement commis des vols, parfois même des délits mineurs comme le vagabondage, ou plus rarement majeurs comme des agressions ou des crimes.
Il n’y a pas si longtemps donc, la maison de l’Upel hébergeait ces enfants délaissés, inadaptés, souvent analphabètes, qui n’avaient jamais reçu ce qu’un enfant doit normalement recevoir, à savoir: l’éducation, l’amour et la stabilité familiale. Grâce à l’ensemble de son équipe, formée d’éducateurs spécialisés, d’assistantes sociales et de techniciens formateurs, l’association œuvrait à donner à ces enfants ce qui leur a toujours manqué : un équilibre, une vie stable, l’hygiène, des loisirs, une rééducation, un apprentissage de la vie en société, des cours d’alphabétisation et une formation professionnelle.
Forte du soutien de l’Unicef, du ministère des Affaires sociales et de nombreuses ONG, l’association avait même entamé les travaux d’aménagement d’espaces supplémentaires afin d’abriter l’ensemble des mineurs délinquants détenus dans les prisons du pays, estimés à 130, exclusion faite des récidivistes et des délinquants lourds, proches de 18 ans. Mineurs qu’il était indispensable de protéger en les sortant de l’espace carcéral traditionnel, normalement réservé aux adultes, comme le prône la Convention internationale des droits de l’enfant, à laquelle le Liban avait adhéré en 1990.

Victime d’un conflit
entre deux ministères ?
Aujourd’hui, après avoir remercié l’ensemble de ses éducateurs spécialisés, de ses assistantes sociales et de ses techniciens, faute de pouvoir payer leurs salaires, la maison de réhabilitation de l’Upel n’accueille plus qu’une trentaine d’enfants. La fermeture des portes n’est plus qu’une question de jours. « Les fonds manquent cruellement et nous n’avons pas pu payer les salaires des derniers employés encore en fonction », déplore le directeur, Georges Matar. « Nous n’avons même plus de quoi assurer la nourriture de nos jeunes pensionnaires », ajoute-t-il.
Au 30 novembre 2003, le déficit du centre a atteint 500 millions de livres libanaises. Le ministère des Affaires sociales, sous la tutelle duquel il était placé depuis 1953, lui avait accordé un crédit de 430 millions de livres. Crédit dont il n’a effectivement obtenu que 200 millions, depuis que la tutelle du centre a été transférée cette année au ministère de la Justice. Ce n’est d’ailleurs qu’en novembre dernier que ces 200 millions de livres ont été payés, avec 10 mois de retard. « Aujourd’hui, observe M. Matar, les banques ne nous accordent plus de crédits. Malgré les aides et les dons que nous recevons parfois de particuliers ou d’organisations internationales, nous ne sommes plus capables d’assumer les frais fixes du centre, comme le loyer, l’eau, l’électricité et les salaires, qui s’élèvent à 500 millions de livres libanaises par an. »
Si le centre de réadaptation de l’Upel ne reçoit pas immédiatement les fonds que lui doit l’État, il risque de fermer ses portes avant la fin de l’année. « La trentaine de mineurs qui s’y trouvent encore, et qui sont âgés entre 12 et 18 ans, finiront très probablement en prison, avec les véritables criminels, déplore Georges Matar. Il sera très difficile de les aider à réintégrer la société et à reprendre une existence normale. D’ailleurs, entre 100 et 130 mineurs sont actuellement incarcérés dans les prisons libanaises, alors que leur place est ailleurs », constate-t-il amèrement.

Diplômés au terme
de 7 mois de formation
Nichée entre les habitations, la maison de rééducation des mineurs de Fanar ressemble plutôt à un pensionnat technique, avec ses hauts murs, son bâtiment impersonnel aux salles de classes alignées et aux dortoirs bien rangés, ses ateliers équipés d’imposantes machines de menuiserie et de forgerie, sa cuisine industrielle immaculée en aluminium, ses deux cours de récréation, parsemées de tables de ping-pong et de paniers de basket-ball. Seule la lourde porte d’entrée en fer, maintenue fermée à longueur de journée, ainsi que quelques grillages de sécurité, peints en blanc et placés en certains endroits « sensibles », trahissent la raison d’être de cette maison de rééducation. Çà et là, les quelque 30 pensionnaires encore là, divisés en petits groupes, suivent un cours d’alphabétisation, une session de formation en cuisine, ou disputent une partie de ping-pong. Les ateliers de menuiserie ou de forgerie ont été désertés, les responsables de formations ayant été remerciés, faute d’argent. Seuls quelques adolescents se livrent à de menus travaux, histoire de mettre en pratique les techniques apprises, durant la dernière formation qu’ils ont suivie.
Et pourtant, pour une importante partie de ces mineurs, le séjour au centre de l’Upel a été plus que bénéfique. Au terme d’une formation professionnelle de 7 mois, une trentaine de détenus obtenaient, chaque année, des diplômes de menuisier, d’aide-cuisinier ou de forgeron, délivrés par l’Office national de l’emploi, et étaient fin prêts à intégrer le marché de l’emploi. « D’ailleurs, et malgré les préjugés sociaux freinant l’embauche d’anciens détenus, certains pensionnaires du centre sont employés à la journée dans des supermarchés de Fanar où ils se rendent utiles, et sont très appréciés par leurs employeurs », constate Georges Matar. « Malheureusement, observe-t-il, la majorité des mineurs que nous accueillons sont de passage et ne terminent pas toujours la formation entamée. » Quant aux loisirs, aux sorties et aux contacts avec le monde extérieur, une place importante leur est accordée. Ainsi, de temps à autre, les jeunes pensionnaires vont en permission auprès de leurs familles, ou participent aux excursions et sorties organisées par le centre à leur intention. Parfois même, ils reçoivent la visite de groupes scolaires ou d’associations de jeunes.
Durant de nombreuses années, l’essentiel de la tâche du centre de l’Upel s’est concentrée sur la rééducation des mineurs en conflit avec la justice. Une rééducation qui, pour être réussie, nécessite la prise en charge de l’enfant par une équipe pluridisciplinaire durant un temps déterminé. « Rééducation qui doit constituer l’essentiel du jugement », précise Georges Matar.
Mais qu’adviendra-t-il de ces enfants si le centre de rééducation de l’Upel fermait ses portes? « Il n’est pas exclu qu’ils soient incarcérés à la prison de Roumieh », répond M. Matar, avec un geste d’impuissance. « Traités comme des cas sociaux lorsqu’ils dépendaient du ministère des Affaires sociales, ils sont désormais considérés comme des criminels depuis qu’ils relèvent du ministère de la Justice », déplore-t-il. « Fermer une école, pour remplir une prison », est-ce vraiment la meilleure solution ? Alors que l’on sait pertinemment que la prison est le vivier de la criminalité ?
Quel objectif l’État vise-t-il en prenant la décision de réduire la subvention qu’il accorde au centre de l’Upel, tout en évitant de régler sa dette, prétextant un manque de moyens ? Après avoir voté la loi sur l’incarcération des mineurs en 2001, cherche-t-il à affaiblir l’Upel qui joue, parallèlement, un important rôle dans l’assistance à ces derniers auprès des tribunaux?
La réponse promise par le Premier ministre Rafic Hariri se fait toujours attendre. Mais d’ici là, l’Upel aura peut-être fermé ses portes…
Anne-Marie EL-HAGE
Depuis l’année 1936, l’Union pour la protection des enfants (Upel) se bat pour améliorer les conditions de vie des enfants en conflit avec la justice. Aménagement de centres de rééducation, de réhabilitation et de prévention, assistance aux mineurs auprès des tribunaux: l’ONG a réussi à mettre en place, au fil des années, avec l’aide de l’Unicef et la collaboration...