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Sinistre - Les 14 pauvres victimes pratiquement oubliées à la morgue Le drame de Nahr el-Mott se double d’un abominable scandale humanitaire

Comme si de rien n’était. Parce qu’il s’agit d’humbles ouvriers et ouvrières d’une usine de plastique, étrangers de surcroît, les 14 victimes de l’incendie d’une usine de plastique n’auront eu droit ni aux honneurs de la République ni même à une larme décente des autorités de leurs pays (l’Égypte exceptée), sous forme de suivi humanitaire d’autre part.
Ces êtres ont été piégés. Pour connaître une mort atroce. Ils ont été surpris dans leur sommeil par le feu, asphyxiés, brûlés vifs, dans leur dortoir-prison tout en bois, bourré de matières inflammables, sans issue de secours et des barreaux métalliques aux fenêtres.
Hier encore, trois longs jours après la tragédie qui a eu lieu dans la nuit de lundi, les investigations consistaient surtout dans un répertoire des noms. L’unique expertise effectuée penche pour l’hypothèse suivante : les ouvriers ont préparé un repas sur un réchaud à gaz, mal éteint ensuite. Pendant qu’ils dormaient, le gaz s’est enflammé. Mais pas à cause d’un court-circuit électrique, car l’installation n’est pas touchée. Mais il n’y a rien, dans l’enquête qui n’a pas été élargie comme il fallait, sur les responsabilités. Et encore moins de rapport d’intérêt public sur l’inexistence ou l’ignorance des règles les plus élémentaires de sécurité sur les lieux de travail. Que cela soit dans les fabriques, sur les chantiers de construction, sur les routes, dans les bois ou même aux champs.
Indiens, Bangladais ou Égyptiens, les 14 immolés involontaires, dont 4 jeunes femmes, gisaient hier encore dans les macabres tiroirs de la morgue de l’hôpital gouvernemental de Baabda. Quelques apparitions comme effrayées de leurs compagnons de misère, quelques contacts timides de leurs ambassades en vue du rapatriement.
La responsable de la morgue, Juliette Hitti, qui en a pourtant vu, cache mal sa révolte. Elle clame que personne ne se préoccupe des morts malheureux du brasier, aux chairs calcinées. Et gronde : « Comment des gens peuvent-ils mourir sans que personne ne demande rien à leur sujet, sans que cela ne fasse ciller personne ? Je suis pratiquement la seule à les veiller, par devoir humain. Je les ai tous fait envelopper dans des sacs de nylon, parce qu’il ne serait pas tolérable de les contempler dans l’état où ils sont. Je pleure, dit Juliette, sur l’humanité perdue en ce pays. »
De fait, les dépouilles sont toutes informes, de charbon noir tordu dans tous les sens. Un Bangladais a péri les doigts crochetant le ciel, dans un spasme d’appel au secours, comme certains pétrifiés de Pompei. Un autre a été figé la tête entre les genoux, sans doute dans un réflexe de trouver un peu d’air. Plusieurs corps ne sont presque plus que poudre cendreuse, noirâtre.
L’objectivité oblige à dire que les Égyptiens ont été les premiers, pour ne pas dire les seuls, à réagir comme il fallait ou à peu près. Leur ambassade n’a pas tardé à prendre contact avec les autorités pour entamer les formalités de prise en charge et de rapatriement de ses ressortissants décédés. Joseph Naaman, cadre qui s’est chargé du transfert des dépouilles mortelles (on peut même parler, malheureusement, de translation des cendres), relancé par téléphone, refuse de livrer des détails sur l’opération. Il indique, avec dignité, que c’est confidentiel et que seules les ambassades concernées ont moralement le droit, si elles le souhaitent, de s’exprimer sur un tel sujet. L’ambassade indienne, également interrogée par téléphone, répond qu’elle compte prendre livraison des corps lundi ou mardi au plus tard. Une pleine semaine après le drame. Jusqu’à hier cette chancellerie n’avait encore effectué aucune démarche auprès des autorités compétentes libanaises. L’un des cadres de l’ambassade a fait allusion, au cours de la conversation téléphonique, au rôle que devrait jouer au niveau de la destination des corps le propriétaire du local incendié, Ara Badarian. Ce fonctionnaire indien indique qu’il s’est rendu sur les lieux et qu’il a ensuite vu les victimes à la morgue de l’hôpital de Baabda.
Quant au Bangladesh, dont les ressortissants tués sont les plus nombreux, il n’a pas été possible d’en joindre l’ambassade. Les autorités judiciaires précisent que cette légation a été dûment avisée, mais n’a encore effectué aucune formalité.
Pour sa part, le propriétaire, Ara Badarian, se dit disposé à contribuer au transfert des corps et à offrir toute aide humanitaire possible. Dernier détail macabre à signaler : le ministre de la Santé, Sleiman Frangié, a fait livrer des tiroirs supplémentaires à la morgue de Baabda qui n’en avait pas assez pour toutes les victimes.
J.I.
Comme si de rien n’était. Parce qu’il s’agit d’humbles ouvriers et ouvrières d’une usine de plastique, étrangers de surcroît, les 14 victimes de l’incendie d’une usine de plastique n’auront eu droit ni aux honneurs de la République ni même à une larme décente des autorités de leurs pays (l’Égypte exceptée), sous forme de suivi humanitaire d’autre part.Ces...