« Les raisons qui nous poussent à refuser autant les incinérateurs que les décharges sont nombreuses, explique M. Pakradouni. L’incinération émet des gaz cancérigènes. L’enfouissement des déchets, lui, pose des problèmes multiples : les déchets en terre produisent du lixiviat (liquide) qui vient polluer le sol. Même dans les installations les plus élaborées, l’usure du temps fait son œuvre. De plus, si l’on doit tout enfouir, il faudrait réserver 200 000 mètres carrés par an pour cette seule fonction. C’est énorme pour un pays comme le Liban, où les terrains sont si limités. »
M. Pakradouni fait également remarquer, chiffres à l’appui, que la réhabilitation des anciens dépotoirs et décharges est extrêmement onéreuse. « La réhabilitation de l’ancien dépotoir du secteur Normandy n’est pas encore terminée qu’elle a déjà coûté 53 millions de dollars les deux premières années, dit-il. On estime que les travaux au niveau du dépotoir de Bourj-Hammoud ne dureraient pas moins de dix ans, avec l’éloquent budget de 500 millions de dollars. » Même pour les décharges sanitaires construites en principe selon les normes, le montant de la réhabilitation risque de s’élever à cinquante fois le coût initial. Sans compter qu’il faut de 20 à 30 ans d’entretien pour une utilisation en bonne et due forme du terrain en question.
Bref, on l’aura compris, selon M. Pakradouni, enfouir tous les déchets est une très mauvaise idée. « Pourquoi répéter les erreurs que les Occidentaux ont déjà commises et dont ils sont revenus ? », se demande-t-il. Il préconise de se tourner vers les nouvelles technologies qui « permettent d’éliminer les déchets tout en en tirant parti, pour en faire des engrais, produire de l’électricité par le biais des gaz émis ou créer de la pierre calcaire, utile pour l’asphaltage ».
Mais ces techniques ne sont-elles pas trop sophistiquées et coûteuses pour un pays comme le Liban, où le suivi et l’entretien laissent souvent à désirer ? « Pas du tout, elles sont moins chères et plus avantageuses », assure le ministre, qui rappelle qu’à Vienne et à Monte-Carlo, les centres de traitement se trouvent en pleine ville, sans qu’il n’y ait de désagréments pour personne.
Par ailleurs, M. Pakradouni précise que le document qu’il présentera aux ministres et aux responsables concernés ne privilégiera pas une technique en particulier, mais proposera d’ouvrir le débat sur ces nouvelles possibilités. Il ajoute également qu’il n’est pas de son ressort d’établir des contacts avec des sociétés et qu’il ne l’a pas fait avant d’entreprendre cette étude. « Le tout est d’ouvrir le débat et d’opter pour la technologie qui convient le mieux au cas du Liban, explique-t-il. Ce sont les autorités concernées qui se chargeront de contacter les sociétés spécialisées plus tard. »
Entre-temps, l’étude préliminaire a été distribuée aux ministres et aux parties chargées du dossier, notamment au Conseil du développement et de la reconstruction (CDR), qui prépare actuellement un cahier de charges en vue de l’appel d’offres pour le futur contrat. M. Pakradouni confirme que « le CDR ne retient actuellement que l’option des décharges, qu’il considère comme la meilleure ». Quant au ministère de l’Environnement qui, rappelons-le, a fait exécuter une étude sur le sujet (celle-ci n’a pas été soumise au Conseil des ministres bien que le dossier soit brûlant), il a opposé à l’initiative du ministre pour le Développement administratif un mutisme total.
M. Pakradouni a remis son document à deux autres personnages-clés, le président de la République, le général Émile Lahoud, et le patriarche maronite, Nasrallah Sfeir. Il a décrit la réaction des différents responsables comme « très positive ».
Comment compte-t-il mener sa bataille contre l’incinération et les décharges ? « Nous nous appuierons sur l’opinion publique et sur des propositions concrètes que nous présenterons au Conseil des ministres, dit-il. Je voudrais établir le contact avec tous les mouvements verts du pays afin qu’ils m’aident dans ma campagne contre l’adoption de solutions peu écologiques, comme l’incinération ou l’enfouissement. Si certaines de ces associations, ou des sociétés établies dans le pays, possèdent des études sur ce sujet, je les invite à les mettre en commun avec nous. »
Par ailleurs, dans le texte de l’étude préliminaire, il est précisé qu’ « il est inutile d’accorder un budget supplémentaire de 400 à 500 000 dollars au CDR pour compléter une étude, quand nous pouvons préparer un document définitif et complet sans contrepartie, avec l’aide de cinq professionnels universitaires qui nous offrent leurs services gratis ».
Interrogé sur les techniques proposées par le ministre, notamment le plasma et le compostage anaérobique sur lesquels il a insisté, le porte-parole de Greenpeace au Liban, Waël Hmaïdane, précise que « la technologie du plasma est une sorte d’incinération, d’où le fait que nous y sommes totalement hostiles ». Il explique qu’elle est de surcroît « chère et extrêmement compliquée, sans compter qu’elle est polluante ».
Pour ce qui est du compostage anaérobique, « il s’agit tout simplement d’une sorte de compostage dans une atmosphère sans oxygène, ce qui est tout à fait écologique ». Selon lui, l’avantage d’une telle technologie, c’est qu’elle est beaucoup plus rapide que le compostage aérobique (à l’air libre). Mais son principal désavantage est qu’elle est techniquement bien plus compliquée.
Enfin, le porte-parole de Greenpeace fait remarquer que « le problème du traitement des déchets n’est pas simplement technique ».
S.B.
Les plus commentés
Israël est en train de perdre, mais pas autant que les Palestiniens
Don de l'UE : après avoir déclaré la guerre à Mikati, les chrétiens proposent la paix ?
Frontière terrestre libano-israélienne : où en sommes-nous ?