Ce n’est donc point étonnant qu’un grand nombre de journalistes étrangers et d’attachés de presse d’ambassades occidentales assistent à la réunion, la première du genre que le Liban connaît depuis son indépendance.
L’affaire dépasse en effet le simple cadre procédural lié aux prérogatives de la Chambre lorsqu’elle est saisie ou qu’elle s’autosaisit d’un dossier en rapport avec un éventuel abus de pouvoir, puisqu’elle touche directement à la gestion des affaires publiques, qui a connu de nombreux dérapages au fil des ans.
Comme le soulignent plusieurs parlementaires deux jours avant la réunion, il n’est pas question de se lancer dans une chasse aux sorcières, aveugle et arbitraire, pour montrer que la Chambre a fini par demander des comptes à l’Exécutif, mais de voir si MM. Siniora et Barsoumian se sont effectivement rendus responsables d’un abus de pouvoir, entraînant une dilapidation de fonds publics.
Pour l’occasion, l’hémicycle se tranformera en tribunal, avec un procureur et un avocat pour chacun des deux hommes. M. Barsoumian, qui sera présent à la réunion, voulait assumer sa propre défense, mais le président Nabih Berry s’y est opposé la semaine dernière et a fait savoir aux parlementaires que le texte de la loi relative au jugement des présidents et des ministres est clair : c’est l’avocat en charge du dossier qui doit assumer la défense de l’officiel qui risque la mise en accusation.
Deux procureurs, en l’occurrence les députés Nasser Kandil, pour M. Siniora, et Sélim Saadé, pour M. Barsoumian – à en croire l’agence al-Markaziya –, donneront lecture des deux pétitions réclamant la mise en accusation des deux hommes et exposeront les chefs d’accusation retenus contre eux, explique-t-on de sources parlementaires.
Les avocats se chargeront ensuite de défendre leurs clients avant que la Chambre ne décide s’il est ou non opportun de former une commission d’investigation ad hoc, qui bénéficie des mêmes prérogatives que le juge d’instruction, en ce sens qu’elle a le droit de convoquer des témoins, de délivrer des mandats d’amener ou de recherche... Mais pour qu’une commission d’enquête soit formée, il faut que la majorité absolue des membres de la Chambre et non pas des présents (65 députés) vote en ce sens.
Ira-t-on jusqu’à ce point ? Il est prématuré de répondre à cette question, surtout en ce qui concerne l’affaire Barsoumian. Car, dans le cas de M. Siniora, le problème semble réglé : de plus en plus de députés semblent persuadés de l’innocence du ministre, à qui l’on reproche d’avoir signé en 1997 avec l’Italie un accord engageant la responsabilité financière de l’État pour le règlement d’une dette contractée par la Fédération des municipalités du Metn dans le but de financer la construction d’une usine de compostage qui n’a jamais vu le jour. Les procès-verbaux des réunions du gouvernement et du Parlement au cours desquels le remboursement de la dette avait été approuvé montrent que M. Siniora s’y était fermement opposé. De sources parlementaires, on s’attend ainsi à ce que la Chambre s’abstienne de voter pour la formation d’une commission d’enquête, ce qui signifie que l’affaire s’arrêtera là et que le dossier est clos. Une fois pour toutes.
Pour M. Barsoumian, soupçonné de dilapidation de fonds publics à cause de la vente de pétrole sous le label de résidus pétroliers, à l’époque où il détenait le portefeuille du Pétrole, le problème se pose différemment : les parlementaires estiment que les charges retenues contre l’ancien ministre peuvent être parfaitement plausibles, mais ils attendent d’entendre l’avocat de la défense pour se prononcer. Parmi eux, plusieurs sont en faveur de la formation d’une commission d’enquête, qui pourra faire la lumière sur cette affaire et vérifier si les soupçons qui pèsent sur M. Barsoumian sont légitimes ou pas. « Il n’est pas possible de savoir à l’avance quelle tournure cette affaire prendra », commente un député. « Le résultat du vote sera en quelque sorte le fruit de ce que la conscience de chaque député lui dictera », ajoute-t-il, excluant d’éventuelles interventions politiques, qui barreront la route à la poursuite de la procédure qui risque peut-être de conduire M. Barsoumian devant la Cour chargée de juger les présidents et les ministres. Mais tous les députés ne sont pas de cet avis et estiment qu’il faut attendre mardi pour voir si l’élément politique entrera en jeu, au cas où l’Assemblée s’orienterait vers le maintien de la procédure engagée contre l’ancien ministre et où l’on voudrait éviter que le scandale du pétrole n’éclabousse d’autres personnalités, éventuellement impliquées dans cette affaire, si la dilapidation de fonds publics au ministère du Pétrole se confirme.
C’est surtout pour cela que des journalistes étrangers assisteraient à la séance de demain. La crédibilité de l’État, et non seulement du Parlement, est en jeu.
Tilda ABOU RIZK
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