À l’exception du courant du Futur (haririen) qui a boycotté l’événement, tous les partis politiques – du Hezbollah chiite à l’opposition chrétienne en passant par toutes les formations de gauche – étaient présents. Quelques jeunes des universités privées étaient également au rendez-vous. Dans un geste hautement symbolique, les étudiants de l’AUB et de l’USJ sont venus se joindre aux manifestants, histoire de rappeler que la défense de l’enseignement est l’affaire de tous.
Entre le pont de Barbir, point de départ de la marche, et la place Riad el-Solh – point de convergence, un immense cordon humain s’est formé sous un tapis de banderoles réclamant une amélioration des conditions de l’enseignement et l’autonomie de l’université vis-à-vis du pouvoir politique. La réhabilitation des conseils de faculté de l’université, par le biais d’une loi, seule garantie de la démocratisation de l’institution universitaire, revenait comme un leitmotiv sur toutes les bouches.
Encadrés par les forces antiémeutes déployées en nombre, les étudiants scandaient des slogans hostiles au Premier ministre et au gouvernement auxquels ils imputent la responsabilité de la dilapidation des fonds publics et l’anéantissement de l’UL. Mobilisés pour une cause qui, disent-ils, transcende les seules revendications du corps professoral, les étudiants ont unanimement dénoncé les conditions dans lesquelles ils sont obligés de poursuivre leurs études ; une situation qui se résume par ces mots : « C’est la misère totale », relève un professeur de la faculté du Liban-Nord en décrivant l’état de délabrement des locaux et des laboratoires de la faculté.
Des étudiantes du Hezbollah ont défilé aux côtés des gauchistes portant des t-shirts à l’effigie de Che Guevara et d’autres de l’opposition chrétienne. Celle-ci était notamment représentée par les aounistes et les Forces libanaises qui avaient appuyé depuis quelques jours le mouvement de grève.
« Nous voulons un gouvernement de patriotes et non une bande d’escrocs », « Hariri, Siniora, voleurs », « Non à l’intervention des politiciens dans le destin de l’UL », scandaient en chœur les étudiants. Arrivée à destination avec quelques minutes de retard, la délégation de l’USJ a été accueillie par des ovations. Le nouveau président du bureau de la faculté de droit à l’amicale estudiantine de l’université, Amine Assouad, a parlé au nom des étudiants en général et des étudiants en droit de l’USJ en particulier, qui, a-t-il dit, « reçoivent leur diplôme de l’UL », une raison qui les motive doublement à se solidariser avec leurs camarades de l’Université libanaise.
Pour marquer cet esprit « d’unité nationale » dont les organisateurs ont fait leur cheval de bataille, les manifestants ont crié : « Musulmans et chrétiens, tous unis pour sauver l’université des pauvres. » Un slogan que reprendra d’ailleurs le député du Hezbollah Abdallah Kassir qui a voulu marquer sa présence par une brève allocution, ce qui fera immédiatement dire à Talal Khawaja, professeur à la faculté des sciences, que « les professeurs aussi bien que les étudiants refusent de qualifier l’UL d’université des pauvres. C’est une institution libanaise qui fournit un enseignement académique de qualité », a-t-il dit. Non content de voir défiler quelques députés à la tête de la manifestation, un étudiant nassérien a critiqué « la politique des deux poids, deux mesures, dont font preuve les représentants du peuple. Que font-ils aujourd’hui parmi nous, ceux-là mêmes qui votent tous les ans une réduction du budget de l’université », s’est interrogé le militant.
Malgré la multiplicité des revendications – celles-ci variaient entre réclamations financières, structurelles et politiques – un seul mot d’ordre a circulé : l’université libanaise ne disparaîtra pas.
En tous les cas, les professeurs et les étudiants semblaient déterminés hier à défendre bec et ongles le seul espace national réservé aux générations de demain. D’ailleurs, et dans le but de simplifier à l’opinion publique leurs demandes, les organisateurs ont imprimé des tracts qu’ils ont distribués tout le long du parcours, réclamant un enseignement démocratique de qualité et la dépolitisation de l’université.
Pour Sleiman Hareth, professeur à l’UL et membre du mouvement de Renouveau, cet événement est sans aucun doute un « exploit » dans la mesure où il a pu rassembler l’ensemble de la société civile venue défendre une même cause.
« C’est en quelque sorte une réponse à toutes les allégations selon lesquelles les professeurs de l’UL sont en train d’entraver l’année universitaire et de mettre en jeu l’avenir des jeunes », a-t-il dit en relevant que ce sont leurs propres intérêts que les étudiants sont venus défendre aujourd’hui. « C’est toute la question des réformes dans son ensemble qui est aujourd’hui en jeu », a-t-il précisé. Soulignant que le budget annuel d’un étudiant universitaire est de $ 1 400 dans les pays en développement et de $ 2 000 dans les pays industrialisés, M. Hareth se demande comment ceux de l’UL peuvent survivre avec moins de 700 $.
Abondant dans le même sens, le professeur Naji Mokalled affirme que « l’importance d’une telle mobilisation n’est pas tant dans le volume de la participation que dans la qualité et l’esprit de solidarité dont sont animés les protestataires ». Entendre : c’est la première fois au Liban qu’une cause parvient à rassembler toutes les formations politiques, sans que ces dernières ne cherchent nécessairement à exploiter politiquement l’événement. Certes, aucun signe représentatif de l’appartenance politique n’a été brandi au cours de ce rassemblement, sauf peut-être pour le mouvement Amal, dont quelques membres se sont hasardés au début à agiter le drapeau de leur formation. Plus discrets, les membres du Hezbollah, qui s’est mobilisé en force, se sont contentés du port des brassards frappés d’un slogan proclamant leur « fidélité à l’UL et à la résistance ». Un incident opposera d’ailleurs les partisans des deux formations à ce sujet, avant d’être immédiatement circonscrit. En attendant la réaction des responsables qui, selon M. Kfoury, « devraient agir en conséquence ou démissionner », la Ligue des professeurs jure qu’elle n’abdiquera pas avant d’obtenir satisfaction.
Jeanine JALKH
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