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Salah Honein donne l’argument juridique clé contre la reconduction de l’actuel locataire de Baabda Le renouvellement du mandat Lahoud, « une violation de la Constitution »

Tout entière empêtrée dans ses problèmes de plus en plus inextricables avec les États-Unis, dont les troupes continuent d’occuper sa frontière est, et persuadée que le Liban doit rester, dans cette bataille tout-terrains, une de ses cartes maîtresses – un Liban fort et soudé, du moins en apparence –, la Syrie s’est fait fort d’interdire à ses lieutenants libanais (c’est-à-dire aux très nombreux dirigeants et autres responsables qu’elle a peu ou prou imposés à leurs postes respectifs) quelques-unes de leurs plus élémentaires prérogatives. Les voilà tous désormais empêchés de se prononcer sur la très épineuse échéance présidentielle. Un comble, lorsque l’on sait que cette étape majeure de la vie politique locale est prévue dans à peine plus de dix mois...
Sauf que la Syrie c’est la Syrie, et le Liban... reste malgré tout le Liban. Un espace où les hommes politiques exclus du pouvoir (ceux de l’opposition), ceux qui n’en font plus partie – du moins pour le moment –, sans compter ceux à qui Damas ne peut rien refuser, prennent ou s’arrogent le droit de s’exprimer. Pour refuser le plus souvent, à l’exception notoire des allusions de Hassan Nasrallah, des conditions de Sleimane Frangié ou des ambiguïtés de Walid Joumblatt, tout amendement de la Constitution permettant à l’actuel locataire de Baabda, Émile Lahoud, de retrouver son fauteuil pour un nouveau mandat. Ce refus de toucher à la loi fondamentale (bien plus que l’incapacité de l’ancien commandant en chef de l’armée à appliquer ne serait-ce qu’une infime partie de son discours d’investiture) est d’ailleurs l’argument le plus souvent avancé par la grande majorité de ceux qui veulent un réel renouveau au lieu d’un stérile renouvellement.
Il n’en reste pas moins qu’une question se pose – et c’est Salah Honein, le député de Baabda, membre de Kornet Chehwane et du bloc Joumblatt, qui l’a fait : pourquoi refuser l’amendement de la Constitution ? Sur quels critères ? Au nom de quoi ? Sa réponse est claire et nette : « La Constitution peut être amendée à n’importe quel moment, à condition que l’amendement donné soit introduit dans le but de blinder cette Constitution, de garantir sa continuité et sa pérennité. » La procédure est effectivement simple : dix députés proposent un amendement, que la Chambre doit approuver aux deux tiers de ses membres ; cette proposition doit être ensuite entérinée par les deux tiers du gouvernement qui la renvoie aussitôt en projet de loi à la Chambre, qui doit de nouveau l’approuver aux deux tiers également des voix des députés.
Ainsi, partant du fait qu’un amendement de la loi fondamentale n’est destiné qu’à rendre service à l’ensemble des citoyens et qu’à assurer la pérennité de la Constitution, vouloir modifier cette dernière pour le renouvellement « une seule fois et à titre exceptionnel » d’un mandat présidentiel vient contredire totalement le concept de pérennité et celui de l’intérêt public. « Dans ce cas, ce n’est plus un amendement, c’est une violation de la Constitution », dit le député de Baabda, qui se base sur des faits qui se sont déjà produits – Émile Lahoud reconduit à la tête de l’armée et Élias Hraoui à celle de la République – et qui refuse catégoriquement, appuyé en cela par la quasi-totalité des Libanais, tout amendement à des fins purement personnelles, ou qui serait fonction de « circonstances exceptionnelles ». Lorsque le patriarche maronite, en tournée en Europe, avait fait part de son refus de voir la Constitution amendée, sauf en cas de circonstances exceptionnelles, Salah Honein – un proche de Bkerké – s’était demandé ce que ces « circonstances » en question pouvaient bien signifier. Un tremblement de terre ? La situation régionale ? La guerre d’Irak ? Le Golan et les fermes de Chebaa pas encore libérés ? « On peut tout inventer, on peut considérer n’importe quoi comme étant une “circonstance exceptionnelle” pour justifier une violation de la Constitution », souligne-t-il. S’inspirant visiblement des mœurs et de la logique politiques pour le moins singulières des dirigeants libanais et de leurs tuteurs syriens.
La question corollaire devient ainsi bien simple : et si la Constitution, une fois amendée, stipule qu’un président de la République pourrait désormais assurer, « une fois élu par les députés », deux mandats (de x années) non renouvelables ? Serait-ce une violation de la loi fondamentale ? « Oui, si celui qui a initié cet amendement – c’est-à-dire le président en exercice – en bénéficierait. » En gros, selon Salah Honein, si cette modification est destinée à servir les intérêts de la nation et des Libanais, et à garantir la pérennité de la Constitution, elle ne devrait pas concerner le président en exercice, mais ses successeurs. « Le président Chirac a prouvé qu’il est un véritable homme d’État en réduisant, avec la gauche, le septennat présidentiel à un quinquennat. Et il se l’est appliqué à lui-même. »
Quelle est la première mission inscrite sur le cahier des charges du chef de l’État ? « Être le garant de la Constitution, son gardien », répond Salah Honein. « Il doit donner l’exemple, rectifier les erreurs du passé, ne pas les répéter, ne pas bafouer cette Constitution. Sinon, n’importe qui se prévalerait de cette violation pour s’en permettre une ou plusieurs autres », ajoute-t-il, rappelant que le pouvoir de substitution auquel fait constamment allusion Kornet Chehwane depuis des mois n’est rien d’autre – à défaut d’alternance que ne pourrait faire advenir qu’une loi électorale saine et juste – qu’un renouveau politique. Tout, donc, sauf un renouvellement ou une reconduction.
Il est vrai qu’Émile Lahoud donne l’exemple. Qu’il ne faut pas violer la Constitution. Il le fait en refusant sans ambiguïté et sans concession aucune tout projet – aussi embryonnaire fût-il – d’implantation au Liban des réfugiés palestiniens. Se basant pour cela, comme hier à Genève, sur le respect de cette Constitution. « Comment alors se permettrait-il de la violer en acceptant un renouvellement exceptionnel et pour un seul mandat » de sa fonction, demande Salah Honein...
Comme un écho aux interrogations aujourd’hui totalement désabusées des Libanais. Émile Lahoud a eu six ans pour gouverner. « Pas assez », disent les uns, « six ans de trop », rétorquent les autres, affolés à l’idée qu’un second mandat Lahoud soit celui qui consacrerait – sur demande de Damas et avec la jubilation d’une grande partie des responsables libanais prosyriens – un régime ultrasécuritaire dont on devine depuis quelque temps les esquisses –, voire même militaire.

Ziyad MAKHOUL
Tout entière empêtrée dans ses problèmes de plus en plus inextricables avec les États-Unis, dont les troupes continuent d’occuper sa frontière est, et persuadée que le Liban doit rester, dans cette bataille tout-terrains, une de ses cartes maîtresses – un Liban fort et soudé, du moins en apparence –, la Syrie s’est fait fort d’interdire à ses lieutenants libanais...