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Un profond problème national, l’infidélité de la Constitution


Sommité constitutionnaliste, Edmond Rabbath citait souvent ce constat hégélien : pour être authentique, la Constitution d’un pays doit faire fidèlement écho à la mentalité comme aux traditions de son peuple. Les textes s’en trouvent alors infléchis dans tel ou tel sens. Et quand ce n’est pas le cas, leur application n’en respecte pas la lettre.
Au Liban, depuis la loi fondamentale de 1926, et surtout depuis l’indépendance en 1943, jamais la praxis n’a pu se conformer totalement aux dispositions couchées noir sur blanc. On sait ainsi que les présidences sont réparties entre les trois principales communautés du pays, tradition que la Constitution omet pudiquement de consacrer. La présidence de la République est attribuée aux maronites, celle de la Chambre aux chiites et celle du Conseil aux sunnites. Le chef de l’État s’en tenait toujours aux us et coutumes, en ne se souvenant de la Constitution que dans des circonstances exceptionnelles. Par exemple, il avait sur le papier le droit de former un gouvernement à son gré et de choisir parmi les membres un Premier ministre. Mais, en pratique, il effectuait des consultations, pressentait une personnalité pour diriger le cabinet, puis la désignait si elle ne se récusait pas. Ensuite, nouveau round de consultations, pour composer l’équipe. Plus avant, le chef de l’État, bien qu’il en eût le pouvoir constitutionnel, ne révoquait le gouvernement ou un ministre que dans de rares cas extrêmes. Il en allait de même pour son pouvoir de dissoudre la Chambre. Dans le même esprit de retenue, imposé par la règle tacite mais impérative du consensus, le chef de l’État n’usait guère de son droit de vote en Conseil des ministres.
Prérogative que Taëf lui a du reste retirée, comme tant d’autres encore plus régaliennes. On serait dès lors tenté de penser que le nouveau pacte a voulu coller aux réalités courantes, aux traditions qui avaient de fait force de loi sans en avoir l’habit. Il est désormais officiel que le chef de l’État ne nomme pas motu proprio le président du Conseil. Les consultations parlementaires facultatives sont transformées en vote impératif de désignation, à la majorité. La formation du cabinet n’est plus du ressort de la seule présidence de la République, mais obéit à sa coopération avec le chef de gouvernement désigné.
Mais pour le fond, Taëf non plus ne respecte pas la mentalité, forcément consensuelle, d’un peuple composite, comme pouvaient le souhaiter Hegel et Rabbath. En effet, la Constitution nouvelle ne prévoit pas un mécanisme, aussi élémentaire qu’indispensable, pour arranger les choses « à la libanaise », en cas de conflit au sein du pouvoir. Grave omission, qui provoque une crise dont les Libanais paient lourdement le prix, économiquement, socialement et financièrement. Le président de la République ne peut plus trancher. Pour limoger un ministre, il faut l’accord des deux tiers du Conseil. Le gouvernement n’est plus démissionnable et ne disparaît de la scène qu’en mourant de mort naturelle. C’est-à-dire en cas de décès de son président, en cas de fin du mandat présidentiel ou de mise en place d’une nouvelle législature. Bien sûr, il peut être renvoyé à ses foyers si la Chambre lui retire sa confiance, mais cela ne se voit jamais. Quant à l’Assemblée, elle est pratiquement inamovible : on ne peut la dissoudre que si elle ne se réunit pas pendant toute une session, ou si elle renvoie le budget dans le but de paralyser le gouvernement. Le président de la République n’a même plus le droit de conclure des traités internationaux, s’il n’a pas le chef du gouvernement à ses côtés. Bien que chef suprême des armées, il ne peut leur donner des ordres, car désormais l’autorité de fait (et de principe) appartient au Conseil des ministres. D’où, au nom des équilibres, dilution, voire éviction, du pouvoir d’État.
Émile KHOURY
Sommité constitutionnaliste, Edmond Rabbath citait souvent ce constat hégélien : pour être authentique, la Constitution d’un pays doit faire fidèlement écho à la mentalité comme aux traditions de son peuple. Les textes s’en trouvent alors infléchis dans tel ou tel sens. Et quand ce n’est pas le cas, leur application n’en respecte pas la lettre.Au Liban, depuis la loi...