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Parti ? Pas parti ? La visite fantôme du Premier ministre à Damas a secoué le landernau politique Deux tests pour Hariri : le Conseil des ministres, puis le dîner à Baabda

Un observateur vif, alerte, même si un peu partial, subjectif, posait hier la question suivante : « Avec tout ce qui se passe, tout ce qu’“on” est en train de lui faire subir, vous n’avez pas envie de prendre Rafic Hariri dans vos bras ? » Tout commentaire serait superflu.
Hier, l’invisible Premier ministre a été le héros malgré lui d’une hitchcockerie politique que n’aurait pas reniée H.G. Wells. À 10h30, Koraytem s’est fendu d’un communiqué annonçant que Rafic Hariri avait pris la route de Damas. À 14h, Radio-Orient, qui appartient au Premier ministre, a annoncé que ce dernier avait été reçu pendant deux heures par le président syrien, Bachar el-Assad. Plus aucune allusion n’a pourtant été faite à ce sujet dans les bulletins suivants, contrairement à ceux de la Voix du Liban qui, jusqu’à 17h15, confirmait l’entretien sur les rives du Barada. Interrogée sur le point de savoir pourquoi elle n’avait évoqué qu’une seule fois cette fantomatique rencontre, Radio-Orient a demandé d’attendre un éventuel communiqué de Sana, l’agence officielle syrienne. Qui a indiqué n’avoir aucune information à ce sujet. Idem pour sa consœur libanaise, l’Ani. Personne n’a confirmé, ni infirmé la nouvelle. Quant au bureau de presse de Koraytem, il a assuré aux uns que le Premier ministre ne s’était pas rendu à Damas, laissant planer, pour d’autres, l’ambiguïté la plus totale. Idem pour des sources ministérielles « de confiance », qui n’ont dit ni oui ni non. Sans compter certaines autres, qui ont soutenu que le n° 3 de l’État s’est bien rendu dans la capitale syrienne, mais pour s’entretenir avec son ami le vice-président, Abdel-Halim Khaddam, de moins en moins écouté à Damas, dit-on. La seule certitude : Rafic Hariri a été reçu par... le chef des services de renseignements syriens au Liban, Rustom Ghazalé. C’était à Anjar disent les uns, à Chtaura assurent les autres.
Quoi qu’il en soit, cet épisode-thriller du quotidien désormais mouvementé de Rafic Hariri laisse bien des questions en suspens, dessine bien des scénarios, alimente bon nombre de rumeurs.
Un : le Premier ministre a bien été reçu par le président syrien, mais personne ne veut le dire. Pourquoi ? Depuis quand un responsable libanais s’empêcherait de se vanter d’avoir été reçu par le bon docteur Bachar ? Ou alors, les décisions qui auraient été prises au cours de cet hypothétique entretien seraient tellement énormes que personne ne voudrait s’en arroger officiellement la paternité ? Il n’en reste pas moins que l’hypothèse d’un entretien Assad-Hariri s’est avérée, au fil de la soirée, de moins en moins plausible.
Deux : le Premier ministre n’a pas été reçu par Bachar el-Assad. La question-clé serait alors la suivante : cet entretien était-il prévu ? Des sources bien informées avaient prévu et évoqué, au lendemain du sommet Lahoud-Assad dans la capitale syrienne, un aller-retour Beyrouth-Damas pour Nabih Berry et Rafic Hariri, assorti d’un entretien avec le n° 1 syrien. Et si la réunion avec le n° 3 de l’État avait été programmée, a-t-elle été annulée au dernier moment ? Ce serait un camouflet assez retentissant pour le Premier ministre. D’autant plus que lorsque l’on s’appelle Rafic Hariri, il est toujours un peu humiliant de ne pas être reçu par Dieu, mais par l’un de ses saints – fût-il l’omniscient Rustom Ghazalé. Un camouflet, ou bien un avertissement.
Parce que tous ces rebondissements autour de la non-visite à Damas, toute cette valse de supputations, cette baisse ostentatoire de la cote du Premier ministre à Damas (et la réduction naturelle de ses chances d’entretien au palais des Mouhajerine), toute cette agitation et tout ce bruit ont une explication on ne peut plus logique lorsqu’on l’observe à la loupe libano-libanaise : le dîner en l’honneur de Lula. Il y a deux jours, on faisait dire à Rafic Hariri (ou alors lui-même a-t-il voulu jouer avec le feu) qu’il refusait d’assister au dîner que donnera demain jeudi Émile Lahoud à Baabda en l’honneur du président brésilien, Luiz Inacio Lula da Silva. Chat échaudé craignant l’eau froide, le maître de Koraytem n’avait pas oublié l’expérience Khatami, qu’il refuse de revivre, et son sentiment d’avoir été totalement occulté, en tant que président du Conseil, lors des entretiens officiels à Baabda avec le président iranien. Conséquence immédiate de ce refus d’aller dîner au palais : les foudres à peine maîtrisées, à peine voilées, du locataire de Baabda se sont déchaînées devant un Melhem Karam médusé et pris en otage, Émile Lahoud vouant aux gémonies ceux « qui pratiquent à la perfection le double langage et tentent d’imputer à d’autres la responsabilité de la détérioration de la situation du pays ».
Du coup, les tuteurs syriens, d’habitude si prompts et si zélés à colmater les brèches entre les deux pôles de l’Exécutif – à se demander s’ils ont fini par inscrire cette criante ingérence dans leur Constitution – ont vu rouge, se seraient déclarés « de plus en plus outrés » par les réactions de Rafic Hariri et décrété que cette fois, ils ne pouvaient plus être neutres. Car, auraient-ils avancé, lorsque l’on décide de boycotter le président (ou la présidence) de la République, c’est l’État dans son ensemble que l’on boycotte. Ajoutant que personne au monde ne se permet ce genre d’écart. D’autant que des intermédiaires bien intentionnés entre Koraytem et Damas avaient multiplié ces derniers jours les assurances d’une très bonne volonté et d’une coopération de Rafic Hariri « sur tous les dossiers, y compris l’échéance présidentielle ».
Le voilà, le véritable problème : la présidentielle de 2004. Ce que fait le Premier ministre depuis quelques jours semble vouloir dire une chose – et une seule : qu’il boycottera Baabda tant qu’Émile Lahoud en sera le locataire. Et les Syriens ne veulent ni ne peuvent accepter cela. Le chef de l’État est leur premier allié, le plus fidéle, ce qui les pousse à accuser aujourd’hui Rafic Hariri, sans état d’âme ni vergogne, « de vouloir donner une image divisée du Liban, même dans le paraître ».
Sauf que désormais – et les réactions suscitées par la non-visite à Damas le prouvent – l’échéance présidentielle et l’éventualité d’un changement gouvernemental vont de pair. En parallèle. Et la journée turbulente de Rafic Hariri (qui était absent du Sérail et dont le seul interlocuteur connu, hier, a été l’émir Khaled ben Fayçal) a été marquée, aussi, par deux interventions. Celle de l’ancien Premier ministre, Omar Karamé – rival officiel du maître de Koraytem : « Rien de bien sérieux ou de bien réel ne laisse supposer un changement de cabinet, et je partage l’avis du président Hariri : l’actuel gouvernement restera en place jusqu’à la fin du mandat » Lahoud. Celle, également, du ministre de la Santé, Sleimane Frangié, en visite hier à Bkerké. Dr Jekyll et Mr Hyde, le député de Zghorta a affirmé qu’il était du même clan politique que le chef de l’État, mais que personnellement, il est plus proche du Premier ministre, auquel il a néanmoins fait assumer la responsabilité de la situation économique du pays. Assurant que ce ne sont ni les sondages ni les bla-bla qui font un président, « mais la situation régionale », il a indiqué qu’un renouvellement ou une reconduction « serait la solution », sauf si, face à l’actuel locataire de Baabda, se présentait un homme faisant partie du même bord politique. « Là, je suis pour une élection. Notre camp politique regorge de présidentiables très valables », a-t-il dit.
Il n’empêche que le ramdam d’hier ne semble pas destiné à (per)durer. Hier matin, la presse de Rafic Hariri assurait que ce dernier assistera au dîner à Baabda en l’honneur de Lula, et les milieux proches du palais présidentiel rapportaient des propos d’Émile Lahoud bien moins belliqueux que ceux de la veille. Sachant que pour le Conseil des ministres d’aujourd’hui, le baromètre n’indique pas de tempêtes (voir par ailleurs). Force est de parier, enfin, que Rafic Hariri sera chaudement prié d’emprunter la route de Damas jusqu’au palais de Bachar el-Assad dès que le dîner pour Lula sera digéré et dès que les apparences entre les deux pôles de l’Exécutif seront de nouveau préservées. Deux tests, donc, aujourd’hui et demain. Sans compter la réunion surprise et lourde de menaces aujourd’hui à 8h 30, de l’ensemble du bloc parlementaire de Rafic Hariri.
Et ainsi de suite, pendant que le Liban et les Libanais se noient.

Ziyad MAKHOUL
Un observateur vif, alerte, même si un peu partial, subjectif, posait hier la question suivante : « Avec tout ce qui se passe, tout ce qu’“on” est en train de lui faire subir, vous n’avez pas envie de prendre Rafic Hariri dans vos bras ? » Tout commentaire serait superflu.Hier, l’invisible Premier ministre a été le héros malgré lui d’une hitchcockerie politique que...