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RÉGIONS - Un port, des barques et une ville tournée vers la mer depuis l’éternité Saint Frumentius, l’enfant de Tyr qui a christianisé l’Éthiopie (PHOTOS)

Un port de pêcheurs, une plage de galets et des maisons qui datent du début du siècle dernier. Des ruelles étroites, certaines piétonnes, relient les unes aux autres les vieilles bâtisses à deux étages et aux plafonds de poutres. Le quartier chrétien de Tyr. Une ville calme et tranquille, où l’on sent rarement le temps passer. Patrimoine mondial de l’Unesco, la cité a vu défiler les civilisations, tournée vers la mer depuis l’éternité.

Il y a eu Europe, la fille d’un roi de la ville qui a donné son nom au Vieux Continent et qui avait été enlevée par Zeus alors qu’elle se reposait sur le rivage. Il y a eu aussi le sable et le murex, le verre soufflé et la couleur pourpre qui ont fait la richesse des habitants de Tyr dans l’Antiquité, Alexandre le Grand, dont la flotte a assiégé durant sept mois la ville qui avait refusé de se rendre.
Et ce port, l’un des plus importants de la Méditerranée antique, a été utilisé par le roi Hiram pour transporter jusqu’à Jérusalem le bois de cèdre qui avait servi à la construction du temple de Salomon. Il a également été emprunté par la princesse Élissa (ou Didon) pour fuir sa ville natale et fonder Carthage.
Tyr, l’une des premières villes christianisées du monde, servait aussi, à l’instar de beaucoup de ports de l’ancienne côte cananéenne, pour l’embarquement des disciples du christianisme vers la capitale et les autres villes de l’Empire romain.
Parmi eux, un saint méconnu au Liban qui, pourtant, fait partie de ces innombrables habitants de Tyr qui avaient un jour pris un bateau… Saint Frumentius rentrait dans sa ville natale d’un voyage en Inde lorsqu’il a échoué dans un port d’Afrique, ce qui lui permit de christianiser l’Éthiopie.
L’histoire remonte au IVe siècle. Un navire vient de jeter l’ancre au port d’Adoulis, en Éthiopie, sur les côtes de la mer Rouge. À son bord, le philosophe Méropius de Tyr revient d’un voyage en Inde, accompagné de ses deux neveux et élèves, Frumentius et Edésius.
Méropius et ses compagnons s’apprêtent à débarquer pour demander aux sujets du roi d’Axoum les vivres nécessaires à leur voyage. Mais tout à coup, les passagers sont pris de panique : les Barbares, loin de les accueillir, se précipitent sur eux et les massacrent. Le navire est pillé. Les deux enfants de Tyr, Frumentius et Edésius, tremblant de peur, sortent de leur cachette et courent se réfugier à terre.
Ils restent de longues heures cachés sous un arbre. Quand la nuit commence à tomber, pour briser le silence qui les entoure, ils récitent les dernières leçons qu’ils ont apprises. Les Barbares les découvrent et les conduisent à la cour du roi d’Axoum dans l’intention de les vendre comme esclaves.

Expansion rapide
de la nouvelle religion
Le souverain comprend que les connaissances des deux jeunes Romains peuvent lui être utiles. Frumentius, le plus âgé, est sage et perspicace. Il lit et écrit le grec, la langue officielle de l’Empire romain qui est aussi la langue écrite employée à Axoum. Il devient alors son secrétaire, tenant les comptes et les archives du royaume, tandis que son jeune frère Edésius est nommé échanson du roi. Leurs compétences sont vites appréciées par la famille royale, et les deux jeunes prisonniers sont bien traités.
Le roi d’Axoum meurt. Avant de rendre l’âme, il désigne son épouse comme régente du royaume, en attendant que son tout jeune fils, Ezanas, soit en âge de régner. Il avait aussi rendu la liberté à ses deux fidèles serviteurs, Frumentius et Edésius.
Les deux frères peuvent désormais regagner Tyr. Pourtant, ils ne partent pas. La reine sollicite leur aide pour gouverner et protéger l’héritier du trône. Elle les charge de l’éducation et de la formation du futur roi, Ezanas.
Frumentius et Edésius s’acquittent de leur tâche avec loyauté et conscience. Les deux jeunes Romains sont chrétiens : ils ont reçu oralement la tradition chrétienne, grecque et syriaque à Tyr avant de partir en voyage avec leur oncle. Ils racontent à leurs élèves royaux la vie du Christ et celle des Apôtres.
Pendant ce temps, Frumentius, qui partage le pouvoir avec la reine, met en place une politique religieuse favorable au christianisme. Il se renseigne sur la situation des chrétiens dans le pays dont il assure la gouvernance. Constatant les liens commerciaux entre l’Abyssinie et le monde romain, il octroie des facilités aux marchands chrétiens dans leurs activités économiques et les autorise à établir des lieux de culte, leur donnant des terrains pour la construction d’églises. De petites communautés chrétiennes s’organisent alors dans les villes du royaume d’Axoum. Les premières conversions permettent l’expansion rapide de la nouvelle religion. Le christianisme pénètre pour la première fois en Éthiopie.
Le futur roi est bientôt en âge de prendre lui-même en charge le royaume. La tâche de Frumentius et d’Edésius est achevée, ils peuvent regagner Tyr. Edésius rentre dans sa ville natale et est ordonné prêtre.
Frumentius, lui, gagne Alexandrie. Il raconte son histoire à l’évêque Athanase et lui demande d’envoyer à Axoum un homme digne d’être évêque pour diriger ce nouveau peuple chrétien.
Saint Athanase considère que seul Frumentius est susceptible de remplir cette mission. Il le sacre aussitôt évêque et l’envoie diriger l’Église d’Abyssinie, entre 328 et 356. Commence alors la seconde œuvre missionnaire de Frumentius dans le royaume d’Axoum, nouvelle terre chrétienne.
Les monnaies du royaume sont frappées à la croix du Christ. Le christianisme se développe. Et le roi Ezanas embrasse la foi chrétienne. Même si le royaume ne s’est converti officiellement au christianisme qu’au Ve siècle, la flamme de la foi y était déjà présente.

Un millier d’habitants
permanents
Diverses légendes font des habitants de l’Éthiopie les plus anciens chrétiens du continent africain. D’après certains récits, saint Thomas aurait été l’artisan de leur conversion. D’autres attribuent ce rôle à la reine de Saba, sans s’arrêter au fait que celle-ci a vécu mille ans avant la naissance du Christ. Cependant, les données historiques permettent de dater la christianisation de l’Éthiopie à la seconde moitié du IVe siècle grâce à l’action de Frumentius.
La fête de saint Frumentius, né à Tyr vers 315, mort à Axoum vers 380, connu sous le nom d’Abba Salama (père de la paix), est célébrée le 27 octobre par les latins, le 30 novembre par les grecs et le 18 décembre par les coptes.
Cette année, et pour la première fois, Tyr a marqué le 30 novembre la fête de saint Frumentius dans le calendrier oriental.
La journée du dimanche passé a d’ailleurs été bien chargée dans le quartier chrétien de la ville puisque le nouvel évêque maronite de Tyr, Mgr Maroun el-Hajj, a célébré sa première messe en l’église Notre-Dame de la mer.
Ce quartier chrétien, seule zone de la ville ayant préservé son cachet ancien, ne compte plus qu’un millier d’habitants permanents. Ils étaient plus de 7000 à la fin des années soixante. Ceux qui ont choisi d’élire domicile à Beyrouth, à Baabda, au Metn ou au Kesrouan sont partis – entre autres – pour assurer des études scolaires et universitaires et un meilleur avenir à leurs enfants. Ils ne regagnent plus leur ville natale que l’espace d’un été, d’un week-end, d’un mariage ou d’un enterrement… Située à 83 kilomètres de Beyrouth, Tyr, à l’instar d’autres villes périphériques du pays, est une oubliée des grands projets de développement. Mais cela est une autre histoire…

Patricia KHODER
Un port de pêcheurs, une plage de galets et des maisons qui datent du début du siècle dernier. Des ruelles étroites, certaines piétonnes, relient les unes aux autres les vieilles bâtisses à deux étages et aux plafonds de poutres. Le quartier chrétien de Tyr. Une ville calme et tranquille, où l’on sent rarement le temps passer. Patrimoine mondial de l’Unesco, la cité a vu...