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SOCIÉTÉ - Entretien avec Claire Brisset, défenseur des tout-petits en France Les enfants de plus en plus exposés à la violence(photos)

Après le journalisme et les années à l’Unicef, dont elle a hérité un désir de protéger les enfants en difficulté, Claire Brisset est aujourd’hui le défenseur des enfants en France, un poste dont la création remonte à trois ans. Rencontrée en marge du congrès sur la santé mentale des adolescents et sur les droits des enfants, organisé par l’hôpital Saint-Georges, cette grande spécialiste de l’enfance parle du travail de son institution, de la violence directe ou indirecte qui affecte les jeunes, de la laïcité qui, selon elle, doit caractériser les statuts personnels, de l’adolescent, éternel oublié de la société, et aussi de son parcours remarquable.
Claire Brisset a été nommée à ce poste par le Conseil des ministres français en 2000. Elle reçoit principalement des cas individuel qui sont dans une impasse. «Ceux qui peuvent me saisir sont les enfants eux-mêmes, par courrier ou par Internet, leurs parents ou des associations, explique-t-elle. Mais je dois ajouter que je m’autosaisis dans un certain nombre de situations, quand j’estime que c’est nécessaire.»
Le défenseur des enfants intervient dans des situations diverses: quand les tiraillements entre les parents subsistent malgré les décisions judiciaires, ou dans des situations de conflits au sein de l’école (notamment lorsque des enseignants commettent des brutalités contre des élèves), ou quand des parents n’arrivent pas à scolariser correctement leurs enfants handicapés, ou encore quand des personnes incarcérées n’arrivent pas à rester en contact avec leurs enfants. Elle s’occupe énormément de la situation d’enfants étrangers sur le territoire français. «Mon rôle est de vérifier si les lois en vigueur sont correctement et scrupuleusement respectées, précise Mme Brisset. S’il y a eu un dysfonctionnement qui a privé l’enfant de l’un de ses droits, je mets en relation les parents et les autorités concernées afin que la situation s’arrange. On arrive à sortir de l’impasse 40% des situations qui nous sont soumises. Dans 60% des cas, certains se désistent d’eux-mêmes, d’autres se retirent après avoir obtenu les informations judiciaires dont ils avaient besoin, etc.»
La deuxième mission consiste à mettre le doigt sur des dysfonctionnements collectifs, la troisième à soumettre des propositions de changement de lois ou de pratiques. Quant à la quatrième mission du défenseur des enfants, c’est de lancer des campagnes de sensibilisation dans tout le pays. Cette information est dirigée vers les enfants eux-mêmes afin qu’ils sachent qu’ils ont des droits, et vers les adultes qui considèrent souvent que les enfants sont leurs propriétés et ne leur reconnaissent pas des droits propres.
Mme Brisset présente un rapport au président de la République Jacques Chirac tous les ans, à l’occasion de la journée des droits de l’enfant qui tombe le 20 novembre. «Nous intervenons en France pour les enfants vivant sur le territoire, qu’ils soient français ou étrangers, dit-elle, et dans d’autres pays s’il s’agit d’enfants français.» Elle raconte comment, un jour, elle a empêché le mariage forcé d’une jeune fille de nationalité française dans son pays d’origine où ses parents l’avaient envoyée.

Le droit qu’on leur dise non
De tous les risques qu’encourent aujourd’hui les enfants, c’est la violence que le défenseur des enfants considère comme le principal fléau qui menace aujourd’hui les jeunes, notamment «la violence des images, brute ou pornographique, à laquelle ils sont plus souvent exposés de nos jours». Elle estime qu’il y a eu «une véritable aggravation depuis dix ans surtout, une exposition à des images ou des messages que les enfants ne peuvent assimiler ou tolérer».
Il y a aussi la violence dans les rapports sociaux, notamment la désagrégation de la cellule familiale. «Nous vivons dans une société rude, très urbanisée, où les familles sont souvent éclatée, constate-t-elle. Les enfants ne savent plus vers qui se tourner quand leurs protecteurs naturels, c’est-à-dire les parents, sont en conflit. Dans certains cas qui me sont soumis, les enfants ne sont pas seulement les otages, mais utilisés comme des projectiles.»
Et puis, il y a les adultes qui abdiquent, qui se disent que les jeunes n’en mourront pas ou qui deviennent des «copains», mus par un sentiment de culpabilité après la séparation. «Les enfants ont beaucoup de droits, mais il en est un qu’il ne faut pas oublier, celui qu’on leur dise non, qu’on leur définisse des limites», explique-t-elle. Elle ajoute qu’il y a une autre violence, «invisible» celle-là, qu’elle soit verbale, ou qu’elle se transmette par certaines attitudes.
«On peut penser qu’il y a plus de maltraitance sexuelle aujourd’hui qu’avant en raison de l’omniprésence des activités sexuelles ou sexualisées dans les images publiques, souligne également Mme Brisset. Quand la sexualité sort de la sphère privée, il y a un certain nombre de verrous qui sautent, y compris chez les adultes.»

«Tendre vers des statuts
personnels plus laïcs»
La perception des droits des enfants peut-elle varier selon les cultures? Mme Brisset, qui connaît bien le Liban, déclare que ce qui l’y frappe, c’est que «le confessionnalisme se glisse même dans le statut personnel». «Cela me paraît devoir évoluer, estime-t-elle. Prenons l’exemple du droit de l’héritage, le texte de la convention des droits de l’enfant s’exprime contre la discrimination entre les mineurs, donc entre garçons et filles. Dans tous les pays où ce problème se pose, les enfants gagneraient à ce que le droit de la famille ne soit pas régi par des lois religieuses.»
«Un traité international doit tenir compte de tous les systèmes, d’où le fait qu’il peut paraître assez vague, dit-elle. D’un autre côté, il est normal qu’une convention aussi récente ne trouve pas d’application immédiate. Mais il me semble qu’on devrait évoluer vers un droit de la famille inspiré des grands principes laïcs.»
Interrogée sur son parcours qui l’a menée du journalisme à l’Unicef, puis jusqu’au travail au sein d’une institution indépendante, bien que financée par l’État, Mme Brisset en souligne la «continuité». «Le journalisme oblige à une exigence envers soi-même puisque tant qu’on n’a pas compris la notion, on ne peut pas la transmettre aux autres, explique-t-elle. Or, il arrive un moment de la carrière de journaliste où l’on n’a plus envie de rester du côté de la description, mais de passer du côté de l’action. Cette exigence intellectuelle continue de m’aider dans mes fonctions actuelles puisque j’ai besoin de comprendre un problème pour être en mesure d’apporter une assistance.»
«Quand j’étais à l’Unicef, poursuit-elle, j’ai énormément voyagé dans les pays les plus pauvres et vu des enfants dans les situations les plus terribles. C’est là que je me suis intéressée aux droits des enfants.»
Si les enfants font l’objet d’une attention particulière et justifiée, les adolescents, eux, sont souvent laissés pour compte. La raison à cela pourrait être historique : dans le temps, comme l’espérance de vie était courte, on n’avait pas le temps d’être adolescent. Mais les temps changent, et les systèmes doivent se modifier en conséquence. C’est une bataille qui tient beaucoup au cœur de Mme Brisset.
«Nous sommes dans des systèmes sociaux et économiques où l’on peut permettre à l’humain de se construire davantage, poursuit-elle. L’adolescence est aussi un âge où beaucoup sont en crise. Toute cette période doit s’accompagner d’une politique, au sens le plus élevé du mot, pour soutenir les quelque 15% d’adolescents qui ne vont pas bien, selon les statistiques. On a besoin de définir une culture commune à toutes les institutions concernées par l’approche de l’adolescence.»
Le défenseur de l’enfant a inclus cette recommandation dans son dernier rapport présenté au président Chirac. «C’est absolument prioritaire puisque c’est le groupe d’âge qui souffre le plus sur nos 14 millions de mineurs», dit Mme Brisset.

Suzanne BAAKLINI
Après le journalisme et les années à l’Unicef, dont elle a hérité un désir de protéger les enfants en difficulté, Claire Brisset est aujourd’hui le défenseur des enfants en France, un poste dont la création remonte à trois ans. Rencontrée en marge du congrès sur la santé mentale des adolescents et sur les droits des enfants, organisé par l’hôpital Saint-Georges, cette grande...